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acharnée qu'elle déclare au catholicisme. Plusieurs Etats secondaires de l'Europe et du Nouveau-Monde manifestent la même tendance et comptent parmi leurs gouvernants des membres des sociétés secrètes, que les lauriers de Carteret empêchent de dormir. L'Italie, dont les finances baissent au prorata de ses vols, a supprimé les couvents de Rome et pillé leurs biens. Le Portugal, le Brésil, le Mexique regardent les corporations religieuses comme un péril pour la sécurité de la nation et croient avoir sauvé la patrie en leur refusant la liberté dont jouissent les plus vils personnages.

La France du moins ne trempe point dans cet inique complot et donne généreusement asile aux proscrits; mais, il faut le reconnaître, les persécuteurs ne manqueraient pas sur son territoire si le génie du mal et de la révolution les portait au pouvoir et inaugurait le règne d'une seconde Commune. Les journalistes et les orateurs du parti radical ne dissimulent point leurs sentiments à cet égard, et l'abolition des couvents entre dans leur programme politique au même degré que la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Le moment ne leur semble pas venu de discuter les moyens de purger le pays de ces moines qui blessent les regards de Garibaldi et de Gambetta; aussi se consolent-ils d'une attente forcée en se livrant à un nouveau genre de persécution, celle du dénigrement et du mépris. Sur leurs lèvres et sous leurs plumes on trouve chaque jour d'ignobles calomnies relativement à l'origine, à l'histoire et à la situation présente des congrégations religieuses. Ils avouent qu'elles ont eu leur raison d'être au moyen-âge, mais que leur existence devient incompatible avec les idées modernes, et que leur inutilité les condamne à disparaître tôt ou tard. A notre époque, où les institutions et les hommes s'apprécient uniquement au point de vue utilitaire, il est facile de provoquer dans le public des préventions et des haines contre les couvents, sous le spécieux prétexte qu'ils ne servent à rien. Les effets de cette guerre déloyale se sont affirmés pendant la Commune de Paris, qui eut soin de choisir le plus grand nombre de ses victimes parmi les religieux. Remarquons toutefois que deux ennemis acharnés de ces religieux, le sénateur Bonjean et un rédacteur du Siècle, furent, avec eux, détenus comme otages et lâchement assassinés!

Aux détracteurs ignorants et systématiques des congrégations religieuses, il est facile d'opposer le tableau vivant des services incontestables qu'elles rendent aux individus en particulier et à la société tout entière. L'histoire et l'expérience quotidienne nous fournissent des témoignages en si grande abondance que nous n'avons que l'embarras du choix; il faut les esquisser à grands traits pour ne pas devenir trop prolixe.

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II

ORIGINE DES COUVENTS.

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La vie religieuse a été fondée par cette loi formelle de l'Evangile, qui inspire aux cœurs généreux et aux âmes d'élite une perfection particulière. Un jeune homme, noble et riche, s'approcha, un jour, du Sauveur Jésus, et, fléchissant le genou, lui dit : « Bon Maître, que doi -je faire pour obtenir la vie éternelle ? Pourquoi m'appelez-vous bon ? reprit Jésus. Dieu seul est bon. Si vous voulez obtenir la vie, observez les commandements. Quels sont-ils ? Vous les connaissez : Tu ne tueras point; tu ne commettras point l'adultère; tu ne déroberas point le bien d'autrui ; tu ne rendras point de faux témoignages; honore ton père et ta mère; aime ton prochain comme toi-même. Seigneur, j'ai observé tous ces commandements, depuis mon adolescence. Que me manque-t-il encore?— Il vous manque encore une chose; si vous voulez être parfait, allez, vendez tous vos biens, donnez-en le prix aux pauvres; vous aurez ainsi un trésor dans le ciel. Venez alors et suivez-moi. » A ces mots, le jeune homme, désolé d'une telle réponse, s'éloigna plein de tristesse, car il avait des biens considérables. Il aspirait sans doute à la perfection et se sentait appelé à cette haute vocation, mais il n'avait pas le courage de faire le sacrifice de sa fortune. Jésus, le voyant ainsi affligé, se retourna vers ses apôtres, et leur dit : « Combien difficilement ceux qui possèdent des trésors entreront dans le royaume de Dieu!» (Cf. Matt. XIX, 15-30; Marc X, 16-31.)

Se trouvant à Capharnaum, au milieu de ses douze apôtres, après leur avoir conféré la puissance de remettre et de retenir les péchés, le Sauveur ajouta « Si deux d'entre vous s'unissent sur la terre pour demander quelque chose à mon Père qui est aux cieux, quel que soit l'objet de leur prière, elle sera exaucée. Partout où deux ou trois seront réunis en mon nom, je serai là au milieu d'eux. » De cette parole et de la précédente découlent les associations de prières, les congrégations religieuses et les couvents, œuvres inconnues de l'antiquité et que l'Eglise catholique seule conserve vivantes aujourd'hui dans son sein.

Peu de temps après l'Ascension de leur divin maître, les Apôtres, qui avaient eux-mêmes tout quitté par amour pour lui, virent les premiers enfants de l'Eglise naissante apporter à leurs pieds les trésors et le prix des patrimoines. L'acte de détachement, que le jeune homme avait trouvé impossible un an auparavant, s'accomplissait par huit mille Juifs convertis par l'Esprit-Saint, à la voix de saint Pierre. Sur ce nombre, deux seulement gardèrent au fond de leur cœur le culte de l'or, qui fut toujours le caractère spécial du peuple hébreu, et Ananie et Saphire furent miraculeusement frappés de mort. Cette Eglise de Jérusalem, selon la remarque de saint Chrysostôme, nous offre, à son berceau, le spectacle de la république des anges. Le livre des Actes raconte que la multitude des

croyants n'avait qu'un cœur et qu'une âme. Aucun n'appelait sien ce qu'il possédait, mais tout était commun entre eux. Nul n'était indigent, car tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient et en déposaient le prix, non pas entre les mains, mais aux pieds des apôtres. Cette vie commune, dans le renoncement et l'obéissance, dans la mortification et la prière, n'indique-t-elle pas l'origine des ordres religieux et les premiers fidèles ne formaient-ils pas un vaste monastère ?...

Ecartons d'un mot l'objection contemporaine qui prétend trouver là le fondement du communisme social. La communauté évangélique et religieuse exige l'oblation libre, le sacrifice volontairement accompli des biens terrestres, le renoncement à la volonté, l'obéissance absolue à l'autorité, et l'immolation constante de la chair. Le communisme, au contraire, promet des jouissances aux plus mauvaises passions, provoque le développement des appétits matériels et détruit l'autorité en ne reconnaissant pour règles de conduite que le besoin et le plaisir. La différence est radicale, comme entre le bien et le mal, entre le ciel et l'enfer!...

L'Evangile, après avoir indiqué l'origine des ordres religieux, trace la double voie qu'ils doivent suivre. « Or, dit saint Luc, il arriva qu'en poursuivant sa route, Jésus entra dans un village; et une femme, appelée Marthe, le reçut en sa maison. Elle avait une sœur du nom de Marie, laquelle vint s'asseoir aux pieds du Seigneur, écoutant sa parole. Cependant Marthe s'empressait aux soins multipliés du service. Elle s'arrêta soudain, et se tenant debout devant Jésus: Seigneur, dit-elle, ne prenezvous pas garde que ma sœur me laisse servir seule ? Dites-lui donc de me venir en aide. Mais le Seigneur lui répondit: Marthe, Marthe, vous êtes inquiète et vous vous préoccupez de mille soins! Or, une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera point enlevée. » (Luc X, 38-42). Les deux sœurs de Lazare sont regardées par tous les interprètes des livres saints comme les deux types de la vie nouvelle que le Sauveur apportait au monde, comme les symboles de l'action et de la contemplation.

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Dès ce moment, dirons-nous avec l'auteur de l'Histoire générale de l'Eglise, les âmes chrétiennes auront à choisir entre deux voies, dont la charité est également le but et le sommet: l'action, c'est-à-dire le ministère extérieur de l'amour de Dieu et du prochain, avec ses labeurs, ses fatigues, son dévouement sans mesure et sans bornes; la contemplation, c'est-à-dire l'élévation d'une âme humaine se rapprochant chaque jour davantage du foyer divin de l'amour, se faisant en quelque sorte l'intermédiaire des torrents de grâce qui s'échappent du cœur de Jésus, et se plaçant entre le monde divin et le monde terrestre, comme l'idéal de la plus haute perfection de l'un, et l'intercesseur le plus puissant près de l'autre. Le silence de Marie-Magdeleine, assise auprès de Jésus, a quelque chose du silence de Marie, mère de Jésus, « qui conservait, en les méditant dans son cœur, toutes les paroles de son Fils. » Quel essor ces nobles exemples n'ont-ils pas fait prendre aux âmes, depuis dix-neuf siècles?

A QUOI SERVENT LES COU VENTS

Quelle divine prophétie dans la réponse du Sauveur : « Marthe! Marthe ! vous êtes inquiète; vous vous agitez de mille soins. Or, une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la part excellente, qui ne lui sera point enlevée! » Combien de tentatives, cependant, pour arracher Marie et les âmes qui lui ressemblent à la contemplation de Jésus; à la méditation solitaire de la vérité; à la retraite des cloîtres; à la vie silencieuse d'un amour sans partage, et d'une prière qui ne cesse ni jour ni nuit! Chose étrange! ce sont les siècles et les pays qui auraient le plus besoin du secours d'en haut qui comprennent le moins la nécessité d'une pareille intercession près de Dieu. La manifestation extérieure, le mouvement actif et visible de la charité chrétienne gardent leurs attraits, même aux époques les plus troublées; mais la notion de la charité dans sa forme excellente, l'attitude de Moïse en prière sur la montagne durant le combat, ou de Marie-Magdeleine assise aux pieds du Sauveur, le sacrifice de l'individualité à sa plus haute puissance, la continuation par les âmes privilégiées de l'immolation du Golgotha, ne sont plus comprises des multitudes. Comme si l'œuvre de notre rédemption eût été complète par les œuvres de miséricorde extérieure du divin Maître! Comme si, dans l'agonie sur la croix, Jésus n'avait pas conquis plus d'âmes qu'en rendant la vue aux aveugles ou la santé aux malades! La faiblesse de nos conceptions humaines, ou les revirements de l'opinion, pas plus que la violence des passions déchaînées, ou la convoitise des instincts cupides, ne changeront rien à la divine constitution donnée par Jésus-Christ à son royaume. A l'heure présente, l'action et la contemplation, Marthe et Marie, sont encore l'une assise, l'autre empressée et laborieuse autour du divin Maître. Elles sont sœurs, et, dans l'union de l'amour, elles travaillent et prient pour le salut du monde. » (T. 5, p. 72.)

Si les ordres religieux n'avaient pas une origine évangélique ou divine, l'expérience nous atteste qu'ils n'existeraient plus depuis plusieurs siècles. Tous les genres de persécution se sont tour à tour acharnés à leur perte, mais sans résultat durable. Les injures du rationalisme et les railleries des protestants, les tracasseries de la politique humaine et les fusillades de la Commune ne sauraient arrêter leur développement. C'est en vain qu'au nom de la liberté quelques gouvernements refusent à des catholiques le droit de disposer de leur fortune en faveur des malheureux, de se consacrer au service des malades, de s'unir avec leurs frères qui ont soif de prières, de dévouement et de jeûnes, et de mettre leur faiblesse sous la sauvegarde des vœux d'obéissance, de chasteté et de pauvreté; c'est en vain que les défaillances de la nature et les instincts pervers du cœur leur ont toujours déclaré la guerre. L'étendard de la perfection évangélique flotte sur des milliers de couvents et défie la rage des persécuteurs suisses et allemands; l'histoire nous affirme donc, après l'évangile, que Jésus-Christ est lui-même le fondateur des couvents!...

A. LAURENT.

MÉLANGES

LES NOUVEAUX BÉNÉDICTINS

ET LE GALLIA-CHRISTIANA.

Dom Piolin, bénédictin de Solesmes, continue son édition du Gallia christiana laborieusement, modestement, magnifiquement, pour tout dire en un mot, monacalement. On voit se succéder avec exactitude, sinon avec rapidité, ces splendides volumes in-folio, comme il semblait que notre siècle ne pouvait plus en composer. Ils sortent des presses de la maison Palmé, rue de Grenelle-Saint-Germain, 25, qui, avec les seules ressources de l'industrie privée, a embrassé et mené déjà à bonne fin de si grandes entreprises. Cela semblait une témérité, il y a quinze ou vingt ans, de songer à reproduire les Acta sanctorum; nous avons aujourd'hui les soixante volumes de la collection des Bollandistes, augmentée désormais d'un volume de Tables qui n'est pas des moins précieux.

Nous avons en outre douze volumes du recueil des Historiens de France, et dom Piolin prépare le sixième du Gallia christiana.

Nous avons parlé en détail des premiers volumes; nous n'avons que faire de nous étendre sur les derniers. Ils comprennent les provinces ecclésiastiques de Rouen, de Toulouse, de Trèves, de Cambrai, de Cologne. Trèves et Cologne appartenaient à la Gaule. La province ecclésiastique de Cologne s'étendait au delà du Rhin, en Allemagne; les évêchés de Munster et de Paderborn, entre autres, en dépendaient; les Bénédictins ont laissé ces églises en dehors de leur travail. L'unique suffragant que cette province comprenait de ce côté du Rhin au dix-huitième siècle était l'évêché de Liége. La province de Trèves, à l'origine, comprenait dans sa juridiction toute la province de Cologne. L'église de Cologne devint métropolitaine au huitième siècle, et sa province comprenait dans la Gaule les évêchés les trois célèbres évêchés de Metz, de Toul et de Verdun. En 1777, à la veille de la Révolution, le Pape Pie VI érigea les deux évêchés de Nancy et de Saint-Dié, démembrés, tous deux, du vaste diocèse de Toul.

Les autres provinces dont les volumes du Gallia christiana contiennent l'histoire sont aujourd'hui entièrement françaises, hormis celle de Cambrai, dont dépendaient jadis les évêchés de Tournai et de Namur.

Nous avons expliqué à nos lecteurs, et la plupart la connaissent aussi bien que nous, la sage et belle ordonnance du Gallia christiana. Il comprend avec une notice sur chaque province et ensuite sur chaque évêché,

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