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jours, 'Clech se présentait à la visite du docteur qui mettait à sa disposition l'eau blanche, la graine de lin et les autres médicaments dont il avait besoin en lui laissant le soin de se les appliquer lui-même ou de les faire appliquer par un de ses camarades; que la guérison se faisant attendre, Clech demanda à son arrivée à Rio-de-Janeiro, à entrer à l'hôpital; mais que, sur l'observation qui lui fut faite que la fièvre jaune y sévissait et qu'il s'exposait à un plus grand danger que celui qui pouvait résulter de sa blessure, il y renonça; que, le Caravellas étant rentré au Havre le 29 janvier 1895, après quatre-vingt-deux jours de navigation, Clech s'adressa au commissaire de l'inscription maritime, qui, après l'avoir fait visiter par le médecin de la marine, le fit, sur l'avis de ce dernier, admettre d'office à l'hôpital le 31 du même mois; que l'amputation du doigt malade ayant été jugée nécessaire, fut pratiquée quatre jours après ;

Attendu que Clech a renoncé à prétendre, comme il l'avait fait à tort au début de l'instance, que la lampe mise à sa disposition n'était pas conforme au modèle prescrit et que le danger que présentait son maniement a été la cause initiale de Taccident; qu'il a également renoncé à faire reproche à la -compagnie de ce que le médecin du bord et le capitaine ne l'ont pas fait débarquer à Rio-de-Janeiro pour le faire entrer à l'hôpital de cette ville; que les seules fautes relevées par le jugement attaqué comme entraînant, par application de l'article 1384 C. civ., la responsabilité de la compagnie des Chargeurs Réunis sont, d'une part, que le médecin du bord ne lui aurait pas donné les soins nécessaires; que, notamment, « il s'était contenté de lui prescrire certains médicaments et des injections antiputrides; qu'il lui laissait le soin d'effectuer lui-même ou de faire opérer par un de ses camarades les pansements voulus; que, vu la gravité du mal et en l'absence de tout infirmier, il était du devoir du médecin de procéder lui-même à toutes ces opérations, au lieu de les abandonner à des mains inexpérimentées et ignorantes des soins antiseptiques; d'autre part que dès l'arrivée du Caravellas au Havre, le médecin du bord, préoccupé de la maladie de Clech, aurait dû le faire entrer d'urgence à l'hôpital; qu'en omettant cette précaution il a donné une nouvelle preuve de la légèreté avec laquelle il le soignait »>;

Sur le premier grief:

Attendu qu'il est à considérer tout d'abord que le décret du

17 septembre 1864 n'impose la présence d'un médecin ou chirurgien à bord des navires de commerce que si le personnel (équipage et passagers) est de cent personnes; que le Caravellas n'avait que quarante et un hommes d'équigage et sept passagers, et que, dès lors, la compagnie n'était nullement tenue d'y préposer un médecin; qu'on serait d'autant plus mal fondé à faire tourner contre elle la précaution qu'elle a bénévolement prise à ce sujet et à ses frais dans l'intérêt des marins et des voyageurs, qu'on ne saurait prétendre et qu'il n'est pas allégué, du reste, que l'opération pratiquée par le médecin et le traitement antiseptique qu'il a prescrit ne fussent pas appropriés à l'état et à la nature de la blessure et qu'il eût été préférable pour Clech qu'elle restât dépourvue de tous soins;

Attendu qu'en supposant, contrairement à toute vraisemblance, que, par une indication inopportune, le docteur Duncan ait aggravé le mal au lieu de le guérir, la faute par lui commise lui serait exclusivement personnelle; que ni le capitaine ni les autres officiers du bord n'avaient, en effet, les connaissances scientifiques nécessaires pour apprécier et contrôler le traitement qu'il faisait suivre au malade; que le diplôme de docteur en médecine dont est pourvu le sieur Duncan était et devait être pour eux une garantie suffisante de capacité professionnelle; qu'étant sans droit de l'empêcher de soigner le malade suivant qu'il croyait devoir le faire conformément aux règles de son art, ils ne pouvaient être responsables du traitement suivi et rendre, par suite, responsable elle-même la compagnie dont ils étaient les préposés; que la seule faute qu'on pouvait leur imputer serait de n'avoir pas veillé à ce que le médecin donnât exactement des soins au blessé; mais qu'à ce point de vue il est à remarquer que Clech, visité en moyenne une fois tous les deux jours, ne s'est jamais plaint au capitaine de n'être pas bien soigné et que le seul reproche qu'il fasse au docteur Duncan est de ne lui avoir pas posé luimême de ses propres mains les cataplasmes, les compresses et fait les injections antiseptiques;

Attendu que ce reproche n'est pas sérieux; que l'application très facile de ces remèdes pouvait, en effet, être faite par le premier venu, et par Clech lui-même, dont la main droite était complètement libre ; qu'il n'apparaît pas, au surplus, qu'il ait demandé au médecin et, par suite, que ce dernier lui ait refusé de lui donner personnellement, par obligeance, ces sortes de soins, bien qu'ils ne rentrassent pas dans ses attributions;

Attendu, dans tous les cas, qu'il incomberait à Clech de prouver, en sa qualité de demandeur, la relation de cause à effet qu'il y aurait eu entre sa légère brûlure, le phlegmon qui s'est déclaré à la suite et l'amputation du doigt; que non seulement il ne fait pas cette preuve, mais qu'il y a tout lieu de croire que son mal n'a été que la conséquence, non de sa légère brûlure à bord du Caravellas, mais de ses blessures antérieures incomplètement guéries;

En ce qui touche le second grief:

Attendu qu'il est bien vrai que l'entrée de Clech à l'hôpital du Havre n'a pas été provoquée par les préposés de la compagnie appelante et qu'elle n'a eu lieu que le surlendemain de l'arrivée du navire; mais que de ce retard de trente-six à quarante-huit heures, alors que la blessure et l'incapacité de travail remontaient à plus de deux mois, on ne saurait mani. festement induire qu'il a entraîné la nécessité d'amputer le doigt malade, opération à laquelle les médecins de l'hôpital n'ont d'ailleurs procédé que quatre jours plus tard, d'où il suit que, sur ce point encore, la corrélation de cause à effet n'est pas établie ;

Par ces motifs.

Met à néant le jugement dont est appel;

Réformant, dit et juge que la compagnie des Chargeurs Réunis n'est en rien responsable de l'accident dont Clech a été victime en novembre 1894, à bord du Caravellas, ni du traitement ou des soins prescrits par le médecin du bord;

La décharge des condamnations prononcées contre elle; Déboute Clech de toutes ses demandes, fins et conclusions; Le condamne aux dépens de première instance et d'appel. »

Du 21 mars 1895. 2e ch. Prés. : M. Berchon, 1re prés; av. gén. M. Chanoine-Davranches; plaid.: Mes Marais et Allais. OBSERVATION. La responsabilité civile du commettant du fait de son préposé, dont le principe est contenu dans l'article 1384 du Code civil, suppose deux conditions: 1o que le commettant ait librement choisi son préposé; 2o qu'il ait le droit de le diriger, de le contrôler et au besoin de lui donner des ordres dans l'accomplissement de la tâche qui lui est confiée. En ce sens: Cass., 4 février 1880, S., 80, 1, 463; 25 octobre 1886, S., 87, 1, 457; 5 janvier 1891, S., 92, 1, 147. Larombière, Commentaire de l'art. 1384. no 8; Laurent, Droit civil, t. XX, no 570. Dans l'espèce sur laquelle a eu à se prononcer la Cour de Rouen, la

première des deux conditions existait bien; mais la seconde n'existait pas et ne pouvait exister. En effet, le diplôme de docteur en médecine crée au profit de son titulaire une présomption de capacité et lui confère en outre, d'après la législation existante, un droit exclusif d'exercer la médecine, qui est comme la sanction de la plus complète indépendance à l'égard d'autrui. Dans ces conditions, il était impossible à l'armateur de surveiller, de contrôler le médecin ou de lui donner un ordre quel qu'il soit. Par conséquent, une des deux conditions d'application de l'article 1384 faisant défaut, il n'y avait pas lieu de l'appliquer. Il a été aussi jugé dans des espèces différentes, mais toujours dans le même ordre d'idées, que l'Administration de l'Assistance publique ne saurait être déclarée responsable du fait des médecins, chirurgiens chargés du service des hôpitaux : Poitiers, 26 décembre 1892, D., 93, 2, 349; Trib. civ. de la Seine, 27 décembre 1894. Gaz. du Palais, 95, 1, 39.

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

Cabotage. Grand et petit cabotage. Étendue et limite. Ordonnance du 18 octobre 1740. Interprétation restrictive. Jet à la mer. Avarie commune. Exclusion de la pontée.

I.

Navire « Pontaillac ».

Pontée.

L'ordonnance du 18 octobre 1740, qui a déterminé les limites du petit cabotage, n'a été modifiée par aucun règlement postérieur, en ce qui concerne les voyages de Bordeaux aux ports de la côte d'Espagne sur l'Océan.

Et cette ordonnance, en présence de ses termes mêmes doit être interprétée restrictivement. En conséquence, il n'appartient pas aux tribunaux d'étendre les limites du petit cabotage et de créer par assimilation ou analogie des exceptions nouvelles à la règle générale édictée par l'article 2 de la dite ordonnance. Dès lors, le voyage de Bordeaux à Pasages doit être considéré comme rentrant daus la catégorie du grand cabotage et ne saurait être assimilé au petit cabotage. II. Les marchandises chargées sur le pont, même du consentement des chargeurs, et sacrifiées pour le salut commun, sont exclues en principe de toutes contributions aux

avaries communes et leur admission n'est possible que dans les voyages au petit cabotage.

PANON C. FINOT.

A la date du 31 décembre 1894, le tribunal de commerce de Bordeaux avait rendu le jugement suivant:

« Attendu que Finot jeune expose que, suivant deux connaissements des 6 et 14 juin 1893, il devait recevoir de Pasages, par vapeur Pontaillac, 225 fûts vin, dont 107 fûts chargés sur le pont; que 64 fûts de la pontée ont été défoncés ou jetés à la mer pour le salut commun, que par deux actes du 7 juillet 1893, il assigne Panon, capitaine, Hinard et Langevin, proprié. taires armateurs du navire Pontaillac et demande au tribunal dire et ordonner que ces avaries seront réglées en avaries communes, condamner par suite les assignés à leur payer une somme de 8,429 fr. 05, et une autre de 2,747 fr. 65 pour la valeur des marchandises sacrifiées; subsidiairement, nommer un ou trois experts pour procéder à un règlement; attendu que Hinard et Langevin, de même que le capitaine Panon, déclinent toute responsabilité, les marchandises ayant été mises sur le pont avec le consentement des chargeurs; que pour prévoir le cas d'un règlement en avaries communes, ils appellent au procès J.-B. Hirigoyen, qui, en sa double qualité d'affréteur du Pontaillac et de consignataire unique de la cargaison, a pris livraison de celle-ci et leur en a donné décharge; attendu que J.-B. Hirigoyen assigne à son tour les compagnies d'assurances maritimes la Suisse, le Lloyd international, la Francfortaise, la Bâloise, le Nouveau Lloyd suisse et le Standard pour le garantir, le cas échéant, des contributions et des frais qui pourraient être mis à sa charge; attendu que les assureurs repoussent la demande en règlement d'avaries grosses comme non recevable, en tout cas mal fondée; qu'ils soutiennent que les marchandises arrivées à destination, non plus que le navire et le fret, ne doivent participer avec la pontée pour le salut commun; attendu qu'aux termes de l'article 11 des clauses imprimées des connaissements acceptés et signés par les chargeurs, le capitaine s'était réservé le droit de charger des marchandises sur le pont; qu'une annotation manuscrite sur ces mêmes connaissements indique que 107 fûts ont été chargés dans ces conditions, que le capitaine et les armateurs n'étaient donc responsables de ces fûts que dans la limite où ils l'étaient des marchandises chargées dans

DROIT MARITIME,

12 ANNÉE.

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