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sont, comme l'organisation d'une marine de guerre, réservées au gouvernement fédéral;

Attendu qu'un État existe comme personne juridique dès qu'il est reconnu comme puissance indépendante par la diplomatie, en d'autres termes l'Etat, corps politique, existe également comme personne civile (en se sens : Laurent, droit civil international, tome IV, page 250); que les droits essentiels d'un État comprennent notamment le droit de propriété (Pandectes belges, vo État, tome XXXVIII, p. 375);

II.

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Attendu qu'aucune loi ne prescrit formellement qu'une action intentée à la requête d'un État qui a une existence propre doive être poursuivie à la diligence de tel ou tel fonctionnaire déterminé; qu'il résulte des explications données par les défenseurs que le mandat de plaider pour les États-Unis d'Amérique n'est pas contesté (ce mandat résulte d'ailleurs de tous les éléments de la cause), mais que la qualité des fonctionnaires qui seraient intervenus pour donner mandat d'introduire l'action est seule discutée ;

Attendu que les mentions surabondantes (à la suite des mots « et pour autant que de besoin ») de l'ajournement, quant aux personnes à la diligence desquelles l'action est introduite, ne modifient point la situation qui résulterait d'une action intentée simplement à la requête des États-Unis d'Amérique; qu'y eût-il donc de ces divers chefs des critiques à formuler, qu'elles seraient irrelevantes et inopérantes, l'article 1030 Code de procédure civile prescrivant qu'aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul si la nullité n'en est pas formellement prononcée par la loi;

Attendu, au surplus, que tout en critiquant l'intervention de l'Attorney général, ministre de la justice aux ÉtatsUnis d'Amérique, le département de la jusiice s'occupe de tous différends relatifs à l'amirauté, les défendeurs ne disent même pas comment, selon eux, l'ajournement eût dû être formulé; qu'ils se bornent à dire vaguement que le pouvoir ad hoc de l'Attorney général n'est pas suffisamment prouvé ;

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III. Attendu que c'est à tort que les défendeurs invoquant les articles 232 et 233 de la loi du 21 août 1879, prétendent que l'action devrait être écartée comme non recevable, faute d'avoir été intentée dans le mois de l'abordage;

Attendu que la loi du 21 août 1879 est relative au commerce maritime et ne peut être appliquée qu'aux navires de commerce

et non aux navires de guerre, ainsi que les défendeurs l'ont fait observer eux-mêmes lors des débats dans l'action dirigée antérieurement contre eux par le capitaine Mahan et ainsi que le tribunal l'a admis dans son jugement du 4 juin 1895, confirmé par l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 19 février 1896;

Attendu que c'est la qualité du demandeur et les règles auxquelles cette qualité l'astreignait qu'il faut envisager pour savoir si telle ou telle formalité était nécessaire (en ce sens : Cour d'appel de Bruxelles, 3e chambre, 31 janvier 1896, P., 1896, II, p. 156).

IV.

Attendu qu'aucune prescrition légale ne subordonne la recevabilité d'une action en paiement d'avaries résultant d'un abordage à une expertise préalable, que le moyen soulevé comme fin de non-recevoir par les défendeurs doit donc être classé parmi les moyens de fond;

Au fond,

Attendu qu'il est exact qu'il n'y a pas eu d'expertise ordonnée in terminis « entre les États-Unis d'Amérique et les défendeurs, « mais que la preuve des faits qui ont amené un abordage ainsi que l'étendue du préjudice peuvent être établies par tous moyens de droit, même par présomption; que le juge peut donc puiser les éléments de sa conviction dans tous les éléments produits aux débats, et notamment dans l'expertise ordonnée par le jugement de ce siège du 11 juillet 1894, soit immédiatement après la collision entre le capitaine du Chicago, agent au service des États-Unis d'Amérique et les défendeurs, expertise qui a ainsi tous les caractères d'une mesure d'instruction contradictoire donnant au tribunal tous ses apaisements;

Attendu que des constatations des experts Van Coppenolle et De Baer, anciens capitaines au long cours, à Anvers, et Demblon, ingénieur maritime à Anvers, relatées dans un rapport déposé au greffe de ce siège par acte enregistré du 25 septembre 1894, résultent les faits suivants : Le Chicago se trouvait mouillé dans l'Escaut en rade d'Austruweel, affourché sur deux ancres du bossoir dans l'axe longitudinal de la passe et à peu près au milieu de celle-ci; avec des longueurs de câble de 30 brasses réunies au moyen d'un émerillon qui était à 2 mètres des écubiers. On effectuait des réparations importantes à ses chaudières et il séjournait depuis quelque temps dans la position décrite ci-dessus.

Le 11 juillet 1894, à 7 heures et demie du matin, étant élongé au fleuve, son arrière se trouvant à 50 m. de l'aval de la 2 balise (palen hoofd d'aval), il fut abordé par l'Azov qui venant de Batoum remontait l'Escaut vers Anvers sous la conduite d'un pilote.

Le Chicago était à ce moment le seul bâtiment se trouvant en rade d'Austruweel.

L'Azov prit ses dispositions pour mouiller en amont du Chicago. Le courant du flux avait beaucoup de force et il ventait un bonne brise de l'ouest. L'Azov se dirigeait avec une vitesse modérée vers le chenal situé entre le Chicago et la rive droite en serrant un peu cette rive, comme on le fait généraiement pour amortir son aire, il stoppa ses machines lorsqu'il fut arrivé à distance de 400 à 500 m. en aval du Chicago;

Dès que son propulseur fut arrêté, son avant évita vers le large à l'encontre de la barre qui fut mise à tribord tout; pour agir contre l'embardée sur tribord le capitaine Jones fit machines en avant, d'abord doucement, puis à toute vitesse, mais l'Azov venait toujours sur tribord, et portait vers le Chicago, duquel il se rapprochait rapidement.

Alors comme manoeuvre suprême, pour éviter la collision devenue imminente, l'Azov renversa ses machines à toute vapeur et en même temps ordre fut donné de mouiller simultanément en pagale, les deux ancres de bassin. De l'ancre de tribord qui fut mouillée aussitôt, 50 brasses de chaîne filèrent d'un trait, la chaîne se rompit à 45 brasses. De l'ancre de bâbord larguée quelques secondes après, 35 à 40 brases avaient filé lorsque l'Azov alla buter de son étrave contre la muraille tribord du Chicago en regardant du inât de misaine sous un angle de 15 à 75 degrés (compris entre l'avant des deux navires).

Bien que l'étrave de l'Azov eût pénétré de 0,80 m. dans la muraille du Chicago (ou plutôt dans la saillie formée par une tourelle barbette) le contact ne dura que quelques instants; l'Azov se dégagea en culant à l'aide de ses machines et il étala à l'arrière du Chicago.

Quand l'équipage du Chicago vit le danger imminent auquel le croiseur était exposé, il fit larguer la retenue d'avant du tangon de tribord et commanda aux embarcations qui étaient amarrées de se sauver; aucune autre mesure ne fut prise;

Attendu qu'en présence des faits ainsi constatés les experts concluent à l'unanimité que la collision est due à une fausse manœuvre de l'Azov, ses machines ayant toujours manœuvré

à volonté; il pouvait, quand l'embardée s'est produite (à au moins 400 m. en aval du Chicago), continuer à stopper comme il venait de le faire, puis battre en arrière conformément au règlement; s'il eût manoeuvré de cette manière l'abordage ne se serait jamais produit; au lieu de ce faire le capitaine Jones battit en avant et augmenta sa vitesse en vue d'élonger l'Azov dans le chenal;

Attendu qu'en négligeant de temporiser le capitaine Jones a été la cause certaine de l'abordage; que comme le disent à bon droit les experts, en tout état de cause, c'était à l'Azov, steamer. en marche, à éviter le Chicago qui se trouvait à l'ancre dans une position normale au milieu de la passe;

Cette obligation était dans l'espèce d'une exécution facile, étant donné l'espace existant entre la rive droite et le Chicago et l'état complètement dégagé de la rade d'Austruweel, tant en amont qu'en aval de ce bâtiment;

Attendu qu'en admettant que le Chicago eût pu au dernier moment tenter une embardée vers bâbord pour atténuer les conséquences de l'accident, cette embardée, de l'avis unanime des experts, eût été insuffisante pour conjurer les effets de l'abordage, vu la soudaineté avec laquelle l'Azov s'est jeté sur le Chicago;

Attendu que la faute légère qu'aurait commise le Chicago, dans cette hypothèse, ne serait donc qu'une faute in abstracto et qu'il n'y aurait conséquemment aucune relation de cause à effet entre cette faute et la collision, mais qu'il est certain que le Chicago ne devait pas s'attendre à voir le capitaine Jones ordonner la manoeuvre insensée de battre en avant en présence d'un steamer au mouillage, et qu'il se comprend que dans ces circonstances l'équipage du Chicago, alors que la collision était imminente, courant au plus pressé, ait songé avant tout à sauver les embarcations qui eussent pu être écrasées entre les deux steamers et à dégager l'avant bâbord du croiseur en larguant la retenue d'avant du tangon tribord; Attendu qu'il est de jurisprudence qu'à défaut de preuve contraire parfaitement établie, il y a lieu, en matière d'abordage, d'adopter l'avis des experts sur des points techniques, notamment sur la nature des manoeuvres qu'il fallait faire;

Attendu qu'il est exact qu'il n'y a point de présomption légale de faute à charge du navire en marche qui aborde un navire à l'ancre, qu'une faute doit être démontrée du chef de l'abordeur (en ce sens, Cour de cassation belge, arrêt du

17 juillet 1890), mais que les experts ne basent point leur avis sur pareille présomption, ni les faits et les conséquences qu'ils en tirent;

Attendu que le Chicago était à l'ancre en plein jour, par temps clair, à l'endroit prescrit par le règlement de police des rades d'Anvers et d'Austruweel du 24 juillet 1894 (art. 2), endroit indiqué par l'administration du pilotage, que l'Azov a donc pu voir le Chicago à bonne distance et qu'aucune critique ne peut être formulée quant à l'endroit du chenal qu'il occupait;

Attendu que l'Azov invoque comme excuse l'embardée qu'il a prise sur tribord, mais cette embardée s'est produite à au moins quatre cents mètres du Chicago; au surplus un incident de cette nature, qui doit entrer dans les prévisions de tout navigateur, ne constitue pas un cas de force majeure exonérant un capitaine de la responsabilité qu'il encourt en principe en allant aborder un autre navire;

Attendu que la faute initiale de l'Azov consiste à avoir sans aucune nécessité, commencé son évitage vers bâbord à courte distance du Chicago; qu'ultérieurement il a commis une faute en ne temporisant pas au moment de l'embardée sur tribord; et en battant en avant au lieu de battre en arrière; que les contre-temps qui se seraient produits ensuite pendant que l'Azov essayait de réparer les conséquences de ces fautes ne sont que la suite de celles-ci qui n'en subsistent pas moins et engagent pleinement la responsabilité des défendeurs; Quant au quantum des dommages-intérêts:

Attendu que les experts évaluent le coût de la réparation des avaries subies par le Chicago à 32,566 francs et déclarent qu'ils ont tenu compte dans leur estimation du surcroît des frais dans l'exécution des travaux spéciaux présentant des difficultés par leur nature et par la nécessité de les effectuer en pleine rade, loin des chantiers de construction; que le Chicago n'a pu entrer en cale sèche pour y effectuer ses réparations, ce qui devait nécessairement en augmenter le coût;

Attendu que les défendeurs prétendent à tort réduire l'indemnité taxée par les experts parce que le demandeur aurait actuellement des objets neufs, remplaçant des vieux; que rien ne prouve que les tóles, boulons, bordages, affûts, ferrures, charnières, joints, tuyaux, etc., qui ont dû être remplacés ou réparés fussent vieux; en tous cas avant la collision ils n'étaient pas hors de service; d'ailleurs il n'y avait pas lieu de

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