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420 du Code de procédure civile qui règle la compétence entre tribunaux français, ne peuvent pas être appliquées dès lors qu'il s'agit de déterminer la juridiction en choisissant entre un tribunal français et un tribunal étranger; mais que c'est à plus juste titre que Lehnemann invoque la clause du marché par laquelle Edmond Boissière avait admis que toutes difficultés entre lui et l'acheteur se régleraient à l'amiable par la chambre syndicale et de conciliation d'Anvers, clause remplacée plus tard par celle qui attribuait la décision des difficultés à des arbitres amiables, et non plus à la chambre, que cette clause compromissoire ne peut être comprise que comme dérogation aux articles 14 et 15 du Code civil et à la règle qui sans cela eût été tutélaire : actor sequitur forum rei; or, Edmond Boissière n'a pas établi que la clause compromissoire, qui aurait été nulle aux termes de la loi française, était nulle aussi aux termes de la loi étrangère, que si sa validité est indiscutable en Belgique, comme il semble d'ailleurs, Boissière a pu, en se soumettant à l'arbitrage, attribuer juridiction à d'autres tribunaux qu'aux tribunaux français; qu'à la vérité c'est un tribunal de commerce ordinaire et non un tribunal arbitral qui a statué, mais que, s'il en est ainsi, c'est la faute de Boissière; que Boissière a été assigné pour avoir à désigner son arbitre, et que ce n'est qu'à défaut de cette désignation que le tribunal d'Anvers prononce une condamnation pécuniaire contre lui; attendu que si la justice française doit protection aux nationaux et doit scrupuleusement veiller à ce qu'il ne soit porté aucune atteinte à leurs droits, elle doit aussi, dans l'intérêt supérieur de la probité publique et de la sécurité des relations commerciales, amener les nationaux à l'exécution scrupuleuse de leurs engagements; attendu que le jugement du 11 mai est donc régulier en la forme; attendu qu'au fond le délai de vingt-quatre heures à partir de la signification qu'il impartit à Edmond Boissière pour désigner son arbitre est trop bref; que Boissière n'avait peut-être même pas reçu le pli de la poste avant l'expiration du délai, et qu'en tous cas il n'a pas eu le loisir nécessaire pour prendre parti; que sans doute il a eu entre le 5 juin, date de la notification du jugement et le 11 juin, date du procès-verbal de carence, le temps suffisant pour former une opposition, qu'il aurait même pu aller en appel; mais que ces procédures pouvaient ne pas lui convenir et qu'il y a lieu d'augmenter le délai ; attendu que si Edmond Boissière persiste à refuser de désigner son arbitre,

il convient, comme l'a fait le jugement d'Anvers, de le frapper d'une pénalité; que la condamnation à 2,300 francs est autant une peine qu'une allocation de dommages-intérêts; attendu néanmoins que le montant de la condamnation est trop élevé ; que si Boissière a été en retard pour faire partir les sarrasins, alors qu'il ne peut en toute sincérité se couvrir d'aucune circonstance de force majeure pendant ce retard, que si le prix des sarrasins a monté sensiblement, il n'est pas suffisamment prouvé que la baisse était survenue au moment de l'arrivée et que M. Lehnemann a été privé du bénéfice de la hausse momentanée; qu'il est résulté toutefois des ennuis et une perte sur le fret d'Anvers à Dunaldorff; qu'en outre, Edmond Boissière a manqué à livrer les quantités qu'il aurait offertes, qu'il a laissé un déficit de 90 tonnes sur le maximum du marché ; que sans doute l'indication d'un minimum et d'un maximum laisse une certaine latitude, même au vendeur, pour la livraison; mais que les principes du droit admettent ici plutôt l'option de l'acheteur que celle du vendeur, et que dans tous les cas, c'est la capacité du navire transporteur qu'il faut surtout considérer pour déterminer en définitive la quantité à livrer; qu'ici le steamer Trelleborg, dont l'affrètement avait été mentionné dès le début, aurait pu transporter aisément les 90 tonnes manquantes; que Boissière a préféré laisser un vide dans le navire après y avoir mis 50 tonnes pour un acheteur qui payait 50 centimes de plus que Lehnemann; que semblables agissements montrent une volonté bien ferme de restreindre l'étendue du marché suivant l'intérêt du vendeur seul; et que ce procédé ne saurait être encouragé; que pour régler les causes du préjudice qui subsistent et réprimer la faute volontaire de Boissière, la somme à payer peut être équitablement arbitrée à 1,800 francs;

Par ces motifs,

Autorise l'exécution en France contre Boissière du jugement rendu le 11 mai 1891, par le tribunal d'Anvers, au profit de Lehnemann; le modifiant du moins dans son dispositif, accorde à Boissière un délai de quinze jours à partir de la notification du présent jugement pour désigner l'arbitre qui aurait à examiner à Anvers la difficulté pendante entre les parties et à la résoudre; faute de quoi, tant à titre de clause pénale, qu'à titre de dommages-intérêts ordinaires, condamne Edmond Boissière à payer à Lehnemann la somme de 1,800 fr. avec les intérêts à 6 0/0 depuis le 27 avril 1891; condamne

DROIT MARITIME. 12 ANNÉE.

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Boissière aux dépens de Nantes et d'Anvers; déboute les parties de leurs conclusions à ce contraires. »

Du 25 novembre 1895.

Prés. M. Van Iseghem; substitut du procureur de la République: M. Brunet; plaid. : Mes Ricordeau et Guist'hau.

OBSERVATION.

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- I. Sur le droit de revision, voir: Rouen, 22 décembre 1885, ce Rec., II, p. 264, et la note; Marseille, 19 avril 1887, ibid., III, p. 60 et la note. Sur l'absence de droit d'aggraver les condamnations, v. conf. Vincent et Penaud, Dictionnaire de droit international privé, vo Jugement étranger, no 213 et les nombreuses décisions y rapportées. II. Voir conforme: Rennes, 14 janvier 1892, N., 92, 1, 194. III. En droit, la disposition du jugement du tribunal civil de Nantes qui déclare que c'est plutôt à l'acheteur qu'au vendeur à se prévaloir de la latitude laissée par l'indication d'un minimum et d'un maximum, nous parait critiquable. En effet, chacune des parties contractantes a le droit d'invoquer n'importe quelle clause du contrat lorsqu'il n'y est pas formulé expressément qu'elle y a été insérée dans l'intérêt exclusif de l'une d'elles. Et l'indication d'un maximum et d'un minimum dans la quantité à livrer signifie que le vendeur sera tenu de livrer le minimum sans réduction et l'acheteur de recevoir le maximum sans augmentation. A part cela, la latitude laissée doit profiter, sauf disposition contraire du contrat, à l'une aussi bien qu'à l'autre des parties. En ce sens : Havre, 17 mai 1879, H., 1881, 2, 45.

TRIBUNAL DE COMMERCE DE LA SEINE

Abordage. Responsabilité pénale et responsabilité civile. Tribunal maritime. Décision. Influence du criminel sur le civil. Chose jugée. Brume. Vitesse. Obligation de ralentir. Règlement du 1er septembre 1884.

Navires: « Sully » et « Touraine ».

I. - En admettant que les jugements des tribunaux maritimes ne constituent pas chose jugée devant les tribunaux chargés de statuer sur les responsabilités pécuniaires résul tant d'un abordage, ces jugements peuvent être retenus

devant ces tribunaux aussi bien que les enquêtes administratives et l'avis de la commission des naufrages comme constituant des éléments de décision.

II. Les navires à vapeur doivent en temps de brume ralentir leur vitesse (règlement du 1er septembre 1884). En cas d'abordage pendant la brume entre un vapeur en marche et un navire au mouillage, c'est le vapeur qui doit être déclaré responsable, s'il a manqué à cette prescription. Est excessive en temps de brume la vitesse d'un vapeur qui d'un maximum de 18 à 19 nœuds ne l'avait réduite qu'à 16 nœuds et demi.

CAP. CORDIER C. Cie TRANSATLANTIQUE.

JUGEMENT

« Attendu qu'il est établi que le 17 mai 1894, par brume intense, à 1 h. 50 du matin, le Sully, du port de Fécamp, cap. Cordier ayant à bord 29 hommes d'équipage, et mouillé sur les lieux de pêche à Terre-Neuve par 43° 22' de latitude Nord et 52° 30' de longitude O., a été abordé par le vapeur La Touraine, capitaine Santelli, appartenant à la Cie Transatlantique et coulé; attendu que, pour résister aux demandes formées contre eux, les défendeurs font plaider que, si Cordier s'appuie sur les décisions rendues par le tribunal maritime commercial, ces décisions n'auraient pas l'autorité de la chose jugée; qu'une instruction scule pourrait démontrer si la responsabilité de l'abordage doit lui incomber; qu'ils soutiennent, en effet, que le transatlantique marchait à quinze noeuds à l'heure, c'est-à-dire la vitesse moyenne de la Touraine, vitesse déjà réduite de 4 nœuds, nullement exagérée, à laquelle au contraire la Touraine est le plus maniable; que d'ailleurs et en admettant qu'il soit démontré que la vitesse de quinze nœuds à l'heure était exagérée, il resterait a établir que c'est la vitesse exagérée qui est cause de l'abordage, c'est-à-dire qu'il y a un rapport direct entre la faute et ses conséquences; qu'enfin l'article 24 du règlement du 1er septembre 1884 prescrivait au capitaine du Sully de prendre toutes précautions commandées par l'expérience en les circonstances; que Cordier a su, quelques minutes avant l'abordage, que la Touraine arrivait sur lui; que, s'il avait tiré le pierrier qu'il avait à bord, l'abordage eût été évité ; qu'il a ainsi commis une faute grave de nature a engager sa responsabilité, et qu'en tous cas la

plus grande part de responsabilité devait lui incomber; mais attendu que si le jugement rendu par le tribunal maritime commercial contre le capitaine Santelli n'a pas l'autorité de la chose jugée et ne lie en aucune façon les juges qui ont à apprécier la demande en dommages-intérêts formée par le propriétaire du navire abordé, le tribunal trouve dans les débats et les pièces produites des renseignements suffisants et probants pour solutionner le litige sans ordonner une instruction; attendu qu'il convient tout d'abord de relever en ce qui concerne la faute imputée par les défendeurs à Cordier, qu'aucun règlement n'imposait au capitaine du Sully d'avoir à bord un pierrier; que d'ailleurs il n'est point justifié qu'il ait eu le temps de tirer; que les enquêtes établissent que ce bâtiment était au mouillage avec un feu clair, qu'il faisait entendre les signaux réglementaires en temps de brume et qu'aucune faute ne saurait lui être reprochée; attendu, par contre, que les mêmes enquêtes, l'avis de la commission supérieure des naufrages, les débats qui ont eu lieu devant le tribunal maritime commercial, composé d'hommes du métier, constatant d'une manière positive que le paquebot la Touraine marchait,au moment de l'abordage, à une allure exagérée; qu'à cette question: La vitesse du paquebot était-elle excessive? les juges ont répondu oui à l'unanimité; que cette manière de voir est complètement confirmée par les faits exposés devant ce tribunal; qu'en effet la vitesse de la Touraine est de 18 à 19 nœuds; qu'au moment où elle aperçut le feu du Sully, la Touraine se trouvait à 300 mètres environ du bâteau pêcheur, qu'elle marchait à la vitesse de 16 nœuds 5 dixièmes, soit 509 mètres à la minute; qu'à cette vitesse il lui fallait 35 secondes pour arriver sur le Sully; que les défendeurs ne peuvent sérieusement soutenir que cette vitesse ait été en l'espèce une vitesse modérée ; que l'on doit au contraire constater que la vitesse modérée prescrite par le règlement n'est pas, par temps de brume, une vitesse réduite de quelques noeuds sur le maximum qu'un bâtiment peut atteindre; que cette vitesse doit être proportionnée au degré d'intensité de la brume et à la probabilité de rencontrer d'autres navires; qu'elle doit être de nature à permettre au capitaine de rester toujours maître de son navire, afin non seulement d'éviter les dangers qui peuvent se présenter sur sa route, mais encore de n'être pas une cause de danger pour les bâtiments qu'il peut rencontrer; qu'en arrivant sur le banc de Terre-Neuve, route qu'il pouvait d'abord éviter, le capitaine Santelli devait

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