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révolution; aucun commissaire de la convention ne l'avoit dévastée au nom de la liberté et de la fraternité; on pouvoit espérer d'y rentrer, et le cabinet anglais ne se montroit point trop éloigné de la paix.

Buonaparte délibéra quelque temps avec ses amis; son avancement rapide lui promettoit un avenir glorieux ; il pouvoit, s'il obtenoit le commandement d'une armée, aspirer un jour aux plus brillans partis; mais, pour obtenir cette armée, il falloit conserver la faveur du directeur Barras, et le mariage qu'on lui proposoit en paroissoit la condition nécessaire (1).

(1) La vie du directeur Barras pourroit faire le texte d'un roman assez curieux :

Il est né en 1755, à Foxemphoux en Provence, d'une des plus anciennes familles de la province. On disoit des maisons les plus distinguées, qu'elles étoient nobles comme les Barras; et des Barras, qu'ils étoient vieux comme les rochers de Provence. Barras entra, en 1775, dans le régiment de Pondichery; en 1776, il s'embarqua sur le vaisseau le Duc de Duras. Ce bâtiment, surpris par la tempête, fit naufrage près des îles Maldives; on périssoit, lorsque Barras proposa de construire un radeau, mit le premier la main à l'ouvrage, fit embarquer les passagers, y monta ensuite, et arriva avec sa petite colonie dans une île sauvage. Ils y souffrirent les plus cruelles privations, réduits à vivre de quelques modiques

Il se soumit, obtint le commandement qu'il dé◄ siroit, et pour gage de sa reconnoissance, donna sa main à Joséphine. Nous avons rapporté son acte de mariage; on voit qu'il a été si

provisions de riz gâté, obligés de se défendre contre les naturels, qui les menaçoient tous les jours. Ils passèrent un mois dans cet état de détresse. Barras arriva à la côte de Coromandel, sans chaussure et presque sans vêtement. Le général Belcombe le chargea des expéditions les plus périlleuses. Il se battit avec beaucoup de courage à Pondichéry, et sauva par sa présence d'esprit et son intrépidité le parlementaire le Sartine. Il s'embarqua sur l'escadre du général Suffren, et y déploya le même caractère. A son retour en France, il eut des démêlés fort vifs avec M. de Castries, et porta dans la discussion beaucoup de hauteur et d'indépendance. Cette querelle détermina vraisemblablement sa conduite dans la révolu tion. En 1789, il écrivit contre la cour et les courtisans ; il attaqua la Bastille le 14 juillet, fut nommé administrateur du département du Var, puis juge de la haute cour d'Orléans; contribua personnellement à l'insurrection du 10 août, fut élu à la convention, y vota la mort du roi, fut envoyé à Marseille et au siége de Toulon, monta à l'assaut du fort Faron, et se signala par la vengeance qu'il exerça sur cette ville. Il revint à Paris avant le 9 thermidor, prit une part active à cette journée mémorable, et fit sortir des prisons des milliers de victimes. Sa haine pour le parti de la montagne lui avoit réconcilié tous les esprits, lorsqu'il se les aliéna de nouveau par la journée du 13 vendémiaire.

gné par Barras, Tallien, l'aide-de-camp Le Marrois, et l'avocat Calmelet. Joséphine ne jouit pas long-temps des douceurs de l'hymen; son époux, pressé de se signaler à la tête d'une grande armée, partit trois jours après pour se rendre à son poste, et fut remplacé par le général Hatry. En partant, il laissoit à sa femme un titre honorable(1), telque la république pouvoit le donner; un séjour agréable à la Malmaison, que le directeur Barras lui avoit fait obtenir comme indemnité d'une partie des biens de son premier mari. Napoléon avoit quitté Marseille en proscrit, au mois d'avril 1795; il y revint triomphant et glorieux, au mois d'avril 1796. Après avoir embrassé sa famille, et passé en revue la garnison, il partit pour Nice. Le général Leclerc, commandant de la place, le suivit, et fut remplacé par le général Grillon.

(1) Il passoit pour constant que le galant directeur avoit joint à ce présent une somme de 500,000 fr. pour servir de dot à Joséphine.

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CINQ mois s'étoient écoulés depuis la funeste journée de vendémiaire, jusqu'au départ de Napoléon. Il n'avoit point perdu ce temps dans la dissipation et les plaisirs. Dévoré des feux de l'ambition plus que des feux de l'amour, il vivoit loin de la société, et employoit une partie de ses loisirs à étendre ses connoissances; sa lecture habituelle étoit celle des meilleurs ouvrages de tactique, il étudioit la marche des armées sur le terrain, et, l'œil fixé sur une carte géographique, il se rendoit compte à luimême de leurs succès et de leurs revers. Il est impossible, pour peu qu'on ait réfléchi sur ses opérations militaires, de ne pas reconnoître qu'il avoit puisé la meilleure partie de sa science dans Polybe, Arrien, Quinte-Curce, et surtout dans les Commentaires de César.

Il mêloit à ces occupations l'étude du théâtre anglais et français, recherchoit la société des poëtes et des acteurs tragiques, et surtout celle de Chénier et de Talma, pour lesquels il avoit un attachement particulier.

Ceux qui l'observoient prévoyoient facilement qu'avec de semblables dispositions, il ne pouvoit manquer de se signaler un jour par de grands succès (1); lui-même il ne dissimuloit pas ses espérances, et dans la joie qu'il éprouva, lorsqu'il apprit sa nomination à l'armée d'Italie, on l'entendit s'écrier: J'y perdrai la tête, ou l'on me reverra plus haut qu'on ne s'y attend.

Il étoit parti pour Nice, vers le milieu du mois de mars, ayant pour aides-de-camp son frère Louis, M". de Marmont, Junot, Le Marrois,etc.; et pour secrétaire, son professeur de mathématiques, M. Patraud, homme d'un esprit fin et étendu. L'armée d'Italie comptoit alors parmi ses généraux des hommes déjà célèbres par leur courage et leur habileté (2). Dès 1793, le général Dumerbion s'étoit distingué par de grands succès. En 1794, le général Masséna avoit annoncé aux villes du Piémont son entrée dans les états du roi de Sardaigne

(1) Avancez-le, disoit un général au directoire, ou il s'avancera sans vous !

(2) C'étoient les généraux Cervoni, Augercau, Joubert, Masséna, Rampon, Berthier, La Harpe, etc. Le général Kellermann commandoit l'armée des Alpes; le général Serrurier étoit à la tête de l'armée d'observa

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