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gereau, ni des massacres opérés dans la Romagne. C'étoit à ses yeux une simple correction qui avoit produit l'effet le plus salutaire et rétabli partout l'ordre et la tranquillité.

Le directoire célébroit à Paris ces déplorables et sanguinaires dévastations comme autant de victoires et de triomphes. On se glorifioit de ces

Tout ce récit ne paroît qu'une fable ajoutée à un bulletin assez insignifiant, pour lui donner quelque intérêt. Buonaparte connoissoit mieux qu'un autre l'art d'entretenir la crédulité du peuple, et d'en profiter. L'aventure de la religieuse devoit exciter une vive indignation contre les couvens ; et comme il s'agissoit de les piller et de les détruire, rien n'étoit plus à propos que de disposer les esprits aux violences qu'on se préparoit à exercer. C'étoit une idée assez répandue dans le peuple que l'intérieur de chaque couvent recéloit une prison souterraine, dans laquelle on enterroit tout vifs les religieux ou les religieuses dont on étoit mécontent. On appeloit ces tombeaux des vade in pace, et l'on supposoit qu'on n'y laissoit aux victimes pour toute ressource qu'un pain et un peu d'eau, avec lesquels ils soutenoient encore leur vie pendant quelques jours; après quoi ils mouroient. La révolution a ouvert tous les couvens; les officiers municipaux de toutes les communes, les patriotes de toutes les sectes, les ont parcourus, examinés à loisir. Il n'en est pas un seul dans lequel on ait trouvé ces prétendus vade in pace.

Mais pour Buonaparte il ne s'agissoit pas de dire la vérité, il s'agissoit de faire impression.

horribles attentats; et lorsque l'ex-bénédictin Poultier, qui rédigeoit un journal intitulé l'Ami des Lois, qu'on auroit bien plus justement appelé l'Ami de l'Anarchie, apprit que les Français étoient entrés à Vérone, il écrivit, avec un fanatisme révolutionnaire : La terreur est à l'ordre du jour, depuis les Alpes jusqu'au mont Aventin.

Elle l'étoit également dans l'intérieur de la France. Les jacobins conspiroient en faveur de la démocratie; les royalistes conspiroient en faveur de la monarchie, et le directoire cons-piroit contre tout le monde. Haï de tous les partis, fatigué des attaques qu'on lui livroit tous les jours, il s'abandonnoit à des actes de tyrannie, et la signaloit surtout contre les émigrés et les prêtres; on ne se contentoit pas d'assassiner, on demandoit leur extradition aux puissances voisines, pour les faire fusiller ou décapiter. A Toulouse, deux femmes disputèrent au bourreau et obtinrent l'atroce jouissance de guillotiner un de ces malheureux gentilshom

mes.

Tant de cruautés rendoient les Français insensibles aux triomphes de leurs armées, et l'on faisoit peut-être plus de vœux pour les Autrique pour la république.

chiens

CHAPITRE X.

Revers des Français; Prise de Vérone, de Brescia; siége de Peschiera, par les Autrichiens; Mouvemens en Italie; Inquiétudes du Directoire ; Levée du siége de Mantoue; Bataille de Castiglione; Victoire des Français.

Le maréchal Wurmser venoit de rassembler, dans le Tyrol, des forces considérables. Son armée, l'élite de l'armée du Rhin, réunie à celle du général Beaulieu, formoit un corps de près de cinquante mille hommes. L'armée française, étendue sur une ligne immense, s'étoit encore affoiblie par une suite de combats meurtriers. Les gazettes ennemies évaluoient à vingt-six mille hommes les pertes qu'elle avoit éprouvées depuis le 28 mai jusqu'au 7 du mois de juin. On supposoit également que les tentatives qu'elle avoit faites sur l'Adige lui coûtoient quinze mille hommes. Ces calculs étoient évidemment exagérés; mais en les réduisant à moitié, ces pertes étoient encore énormes. On étoit obligé d'entretenir des garnisons à Livourne, à Ferrare, à Urbin, à Vérone, enfin dans toutes les places fortes dont on s'é

toit emparé

le siége de Mantoue occupoit une partie de nos forces.

L'Italie, gémissant sous un joug de fer, jetoit les yeux sur le maréchal Wurmser, comme sur un libérateur, et n'attendoit qu'un moment favorable pour repousser la tyrannie de la liberté. Ce général, blanchi dans les travaux de Mars, montroit, dans un corps vieilli par les ans, toute l'ardeur d'une âme jeune et forte, aidée de soixante ans d'expérience.

Il commença par établir des lignes fortifiées avec beaucoup de soin entre la tête du lac de Garda et l'Adige, et se disposa ensuite à prendre l'offensive. Les Français, accoutumés à la victoire, vinrent l'y attaquer et obtinrent d'abord quelques succès. Un détachement d'infanterie, commandé par le chef de bataillon Marchand, le tourna par sa droite, escalada les hauteurs, parvint à lui tuer une centaine d'hommes, lui fit deux cents prisonniers, et lui enleva des bagages.

Un autre chef de bataillon eut le même succès à la gauche; les Autrichiens surpris abandonnèrent une partie de leurs retranchemens, et se concentrèrent sur des positions plus fortes.

Avant cette attaque, Buonaparte avoit adressé aux Tyroliens une proclamation insidieuse, dans laquelle il annonçoit qu'il ne marchoit que pour

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forcer la cour de Vienne à la paix; que c'étoit la cause même des Tyroliens qu'il venoit défendre; que, si la nation française aimoit et respectoit tous les peuples, elle aimoit plus particulièrement encore les habitans simples et vertueux des montagnes. Il promettoit, de la part de l'armée, la discipline la plus sévère, l'amitié la plus fraternelle. Mais il annonçoit en même temps que, si les habitans du Tyrol étoient assez peu éclairés sur leurs intérêts pour prendre part à cette guerre, les Français seroient terribles comme le feu du ciel, qu'ils brûleroient les maisons, dévasteroient les campagnes, couvriroient le de cendres et de ruines.

pays

Cette proclamation artificieuse et menaçante ne produisit aucun effet. C'étoit une arme qui commençoit à s'user; et les Tyroliens, peuple fidèle et franç, savoient d'avance ce que c'étoit que l'amour et le respect de Buonaparte pour les habitans simples et vertueux des montagnes. L'exemple de la Suisse et celui de l'Italie parloient assez haut. Ils restèrent attachés à leur souverain, et coururent aux armes pour repousser l'ennemi commun.

Soutenu de la volonté de ces peuples belliqueux, Wurmser se présenta brusquement devant la ligne française, et l'attaqua sur tous les

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