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CHAPITRE XIII.

Suite des victoires de Buonaparte; défaite totale du général Alvinzi; reddition de Mantoue.

L'ARMÉE des Autrichiens étoit battue, mais elle n'étoit pas détruite. En se rapprochant du Tyrol, le général Alvinzi se mettoit à portée de recevoir des secours et de reprendre l'offensive.

Si les Français avoient vaincu à Arcole, le sort des armes ne leur avoit pas été aussi favorable à Rivoli. La division du général Vau

bois avoit été battue par le corps du général

Davidowich, et forcée d'abandonner ses positions. Cet échec compromettoit le siége de Mantoue. Buonaparte se hâta de faire repasser l'Adige au général Massena; Augereau se mit en marche pour couper la retraite à l'ennemi. Massena et Vaubois, réunis, attaquèrent le général Davidowich, le battirent et reprirent toutes les positions que l'armée française avoit perdues. On se flattoit de faire prisonnier le général autrichien avec toute sa division, mais on ne parvint qu'à lui enlever une partie de son arrière-garde.

Le général Alvinzi s'étoit retiré sur la Brenta, et dans les montagnes du Tyrol où il étoit difficile de le forcer. Un mois s'écoula sans que les armées se trouvassent en présence. Mais Buonaparte n'oublioit ni le soin de sa renommée, ni les moyens de l'accroître encore. Il envoya au directoire les drapeaux pris à Arcole, et s'empara du château de Bergame: cette ville et son territoire appartenoient à Venise. C'étoit donc violer ouvertement la neutralité. Mais Buonaparte se justifioit en assurant que les Bergamasques n'aimoient pas les Français, qu'ils fabriquoient de fausses nouvelles, favorisoient la désertion des prisonniers autrichiens, et qu'on avoit tué, sur leur territoire, plusieurs soldats républicains. Venise fit de vains efforts pour repousser ces accusations; le temps approprochoit où elle devoit avoir elle-même des intérêts plus sérieux à discuter.

Les drapeaux d'Arcole furent présentés par l'aide-de-camp du général en chef Le Marois. Il parla beaucoup de la fidélité du général, de celle de l'armée, et du dévouement des soldats pour la constitution de l'an III. Le président du directoire fit un grand éloge de l'armée, mais prononça à peine le nom du général.

Buonaparte devenoit de plus en plus suspect. On ne se dissimuloit plus ses projets d'é

lévation. Il traitoit, avec les souverains, comme d'égal à égal, et ses rapports avec le gouvernement portoient un caractère d'indépendance qui alarmoit de plus en plus une autorité pusillanime, méprisée et haïe de tous les partis. On parloit hautement d'un projet de conspiration, dans lequel entroient Barras, Sieyes, et plusieurs autres personnages considérables, et qui tendoit à associer Napoléon à la puissance suprême. Il passoit pour constant que l'Autriche lui avoit fait offrir une souveraineté en Italie, et le roi de France l'épée de connétable ( 1 ). Ceux qui connoissoient son caractère lui supposoient des vues plus élevées encore. Il est certain que dès lors il aspiroit au pouvoir souverain, et que ses amis commençoient à lui en aplanir les routes.

On affectoit d'exposer partout son portrait. Quelques mois après on en fit une inauguration solennelle dans une des assemblées primaires de la ville de S....., et l'auteur de cet écrit, n'ayant pas voulu fléchir le genou devant la nouvelle idole, courut risque de la vie.

(1) Le comte de Mont-Gaillard prétend, dans ses mémoires, qu'il conseilla au Roi une alliance de sa famille avec Buonaparte; mais de quelle autorité peut être le témoignage du comte de Mont-Gaillard?

Aussi l'éclat des victoires de Napoléon ne produisoit-il pas l'effet qu'il en attendoit, ses partisans se plaignoient de l'indifférence publique, lui-même se plaignoit de la calomnie, et attribuoit sa défaveur à l'or et aux intrigues de l'Autriche ; mais ni l'or, ni les intrigues de l'Autriche n'avoient empêché qu'on applaudit avec enthousiasme aux victoires de Pichegru et de Moreau. Buonaparte honoroit par ses victoires le nom français; mais il en compromettoit la dignité par ses déprédations, sa mauvaise foi', et tous les défauts d'un caractère inaccessible à la justice et à la pitié (1).

(1) Plusieurs hommes de lettres, qui dirigeoient alors les journaux, s'élevoient avec raison contre la foiblesse du directoire, et son excès de complaisance pour le général en chef de l'armée d'Italie. Outre M. Roederer, qui s'étoit souvent expliqué à ce sujet avec beaucoup de liberté, M. Lacretelle s'étoit aussi distingué par la sagesse et le courage de ses observations. Il avoit blâme vivement la lettre de consolation du directoire à Buonaparte; s'élevoit avec la même force contre l'ingratitude et l'adulation: «Les légions romaines, disoit-il, n'auroient » pas été si dangereuses pour la liberté si l'on n'eût point » enivré leurs chefs d'éloges et de flatteries excessives. » Ces grands hommes qu'on élève inconsidérément audessus de leurs concitoyens, n'ont causé que trop sou>> yent la ruine de leur patrie ».

La perte de la bataille d'Arcole avoit alarmé, mais non pas découragé la cour d'Autriche. Décidée à faire les derniers efforts pour sauver la forteresse de Mantoue, elle avoit envoyé en poste l'élite de ses troupes, et dégarni une partie de ses frontières, pour secourir le général Alvinzi. La jeunesse de Vienne, exaltée par l'honneur et l'amour du prince, s'étoit associée à ce nouvel élan patriotique, et le feld-maréchal se trouva une seconde fois à la tête d'une armée formidable.

Loin de s'intimider de sa position, Buonaparte ne songea qu'à se couvrir d'une nouvelle gloire; il avoit reçu lui-même des secours puissans. Il en avoit tiré de Milan, de Pavie et de différentes villes qui avoient embrassé le parti républicain.

L'État Romain lui donnoit quelques inquiétudes; il tire de ses différentes divisions quelques troupes, en forme une colonne mobile, marche sur Bologne, et contient les forces pontificales.

Des lettres interceptées du maréchal Wurmser annonçoient l'intention de profiter des mouyemens d'Alvinzi, pour sortir de Mantoue et opérér une diversion utile. Napoléon se rend à Mantoue, fait toutes ses dispositions pour

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