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CHAPITRE XVII.

Révolution de Génes.

DEPUIS l'entrée des Français en Italie, Gênes avoit goûté peu de repos. Cette ville célèbre par l'éclat de ses palais, la prospérité de son commerce, l'opulence de ses habitans et le faste de ses temples, offroit, comme Venise, un appât trop irrésistible à l'insatiable avarice des républicains français. Elle fut, comme Venise, livrée aux désastres de la révolution. Son gouvernement, tempéré par la démocratie, sembloit fournir peu de prétextes à l'ardeur de ces fougueux républicains qui vouloient affranchir les peuples de l'oppression de leurs tyrans. Gênes étoit sans tyrannie. Mais elle avoit des familles nobles, riches et puissantes; c'étoit assez pour les apôtres de la liberté et de l'égalité. On avoit en France armé le peuple contre les aristocrates; on arma le peuple de Gênes contre les oligarques. L'insurrection avoit été préparée avec beaucoup de persévérance et de soins. Dès l'année précédente des émissaires secrets s'étoient introduits dans la ville; le ministre de France avoit ordre de les protéger, de préparer sourdement la mine, et d'y mettre le feu dès

qu'elle seroit prête à jouer. Cette terrible explosion eut lieu le 22 mai (1).

Le succès des émissaires francais avoit été lent, et leur apostolat difficile. Le peuple paroissoit attaché à son gouvernement. L'ivroie de l'évangile révolutionnaire germoit avec peine, et pendant long-temps il ne fructifia que dans la boutique d'un apothicaire nommé Morando. C'étoit chez lui que se rassembloient les adeptes. Mais peu à peu le troupeau s'augmenta, la confiance des fidèles s'accrut; on forma des groupes ; des orateurs pérorèrent; des poëtes composèrent des hymnes, et les chants patriotiques commencèrent à retentir dans l'enceinte de la ville.

Tant que le sort de la Lombardie fut incertain, le ministre français et ses complices se tinrent dans les bornes d'une prudente circonspection; mais lorsque l'indépendance de la république cisalpine eut été solennellement

(1) L'auteur de l'Examen des Campagnes de Buonaparte en Italie confond ici les faits et les dates. Il fixe au 17 septembre le soulèvement du peuple à Gênes. Il se trompe par conséquent de quatre mois. Il attribue à M. Cacault le complot et le succès de cette odieuse révolution. M. Cacault étoit alors à Rome, et non à Gênes. C'étoit M. Faypoul que le directoire avoit choisi pour son ministre auprès du gouvernement génois.

proclaméé, alors les patriotes génois ne gardèrent plus de mesure.

Le dimanche 21 mai ils se rassemblèrent sur une place qui sert de promenade publique. On commença par des chansons, on finit par des actes de violence. Les nobles furent insultés; on courut dans les rues, en criant, à bas les excellences! on se porta en foule au théâtre pour y faire chanter des hymnes révolutionnaires. Les portes en étoient fermées. On fut obligé de se retirer. Mais, avant de se séparer, on se rendit chez le ministre français pour lui demander l'élargissement de deux factieux, que le gouvernement avoit fait arrêter quelques jours auparavant. Le ministre promit d'adresser à ce sujet une note au gouvernement, et l'on se retira satisfait.

Le succès de cette première journée enflamma le courage des séditieux. Ils se reprochèrent d'avoir différé le bonheur du peuple et le triomphe de la liberté. Dès le lendemain, ils se rassemblèrent en grand nombre, proclamèrent la souveraineté du peuple, et nommèrent par acclamation cinq députés pour notifier leurs résolutions au sénat, et obtenir l'abolition du gouvernement. Le chef de la députation étoit l'apothicaire Morando; les autres étoient choisis dans les derniers rangs de la société.

Les patriotes restèrent assemblés, prêts à

tout entreprendre pour le maintien de la liberté et de l'égalité. Mais ils étoient sans armes.. On se porta partout où l'on se pouvoit flatter d'en trouver. On s'empara du vieux Mole et de plusieurs batteries. Les troupes qui les gardoient n'opposèrent aucune résistance. Une troupe de forcenés courut au bagne, l'ouvrit, et, pour augmenter le nombre des patriotes, lâcha les galériens.

Qu'on imagine la terreur et la confusion de toute la ville! Les gens riches fuyoient, les femmes effrayées cherchoient un asile contre la violence. Dans ce désordre, le gouvernement ne vit d'autre moyen de salut public, que de céder à l'orage, et d'accorder aux factieux ce qu'ils auroient bien su lui ravir. Il rédigea un acte par lequel il déclaroit qu'il étoit prêt à accorder au peuple toutes les concessions qu'il pouvoit réclamer. Il adressa une copie de cet acte au ministre Faypoul, en le conjurant de se rendre auprès des républicains, et de les engager à rendre le calme à leur pays. Le ministre céda aux instances du doge, pérora les patriotes, et ne changea rien à la disposition des esprits. Pour achever la révolution, il expédia un courrier au général en chef, et lui demanda des troupes.

Cependant le peuple génois, indigné contre les factieux, s'armoit de tous côtés, résolu de

sauver la république et de conserver ses lois. Dans l'espace de quelques heures le palais fut entouré de citoyens de tous les rangs, prêts à verser leur sang pour le maintien du gouvernement.

Ils se battirent avec une extrême bravoure; repoussèrent les patriotes, et les chassèrent jusqu'à leurs batteries, où le combat se prolongea une grande partie de la nuit.

La terreur saisit bientôt l'armée républicaine. Ces révolutionnaires pleins d'audace,qui avoient juré de vaincre ou de mourir, fuyoient de toutes parts. Plusieurs périrent sous le fer des Génois fidèles. Des Français, mêlés parmi eux, ne furent point épargnés. Des maisons suspectes furent enfoncées et pillées; et le ministre Faypoul lui-même, pour éviter une fin malheureuse, fut obligé de rester dans le palais jusqu'au soir. Le peuple le désignoit comme auteur de la sédition. On n'ignoroit pas qu'il venoit de demander des secours à Buonaparte, et l'on ne pouvoit douter que ces troupes ne vinssent pour appuyer la révolte. On exigea de lui qu'il écrivit à Buonaparte contre les rebelles, et qu'il contremandat les troupes qu'il avoit appelées. Le ministre effrayé consentit à tout, et n'obtint qu'à ce prix la liberté et la vie.

C'étoit une opinion généralement répandue, qu'il avoit dirigé lui-même ce mouvement révolutionnaire, et l'on prétendoit en avoir des

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