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l'Angleterre, et ordonna à ses plénipotentiaires de rester à Lille jusqu'au 25 de vendémiaire, pour y attendre le retour de lord Malmesbury. Il fit en même temps fabriquer, dans ses bureaux, une lettre qu'on attribua au plénipotentiaire de la Grande-Bretagne, et dans laquelle on lui faisoit dire tout ce qui pouvoit le rendre ridicule et justifier la conduite du directoire. On y parloit de la journée du 18 fructidor comme d'un événement funeste pour l'Angleterre; on y représentoit les députés proscrits comme les complices du cabinet de Londres, et lord Malmesbury s'applaudissoit d'avoir trompé le gouvernement français, et suspendu ses grands desseins par l'espoir trompeur d'une prochaine conciliation.

Cet écrit, d'une ironie froide et insultante, loin de tromper personne, mit dans tout son jour l'artifice et la duplicité du directoire, et les hommes d'un esprit éclairé ne virent dans cet événement que le présage de nouveaux excès et de nouvelles calamités.

En rompant les négociations de Lille, le directoire crut voir un moyen d'occuper un général dont l'ambitieuse inquiétude lui inspiroit les plus vives alarmes. Il falloit d'ailleurs imposer à l'opinion publique en choisissant pour commander l'expédition d'Angleterre un homme d'une réputation éclatante auquel rien

ne paroissoit impossible. Le sage et habile Pichegru venoit d'être transféré dans les déserts de la Guiane; Hoche étoit mort, et mille bruits fàcheux en couroient à la honte du directoire; Moreau, malgré sa pusillanime politique, venoit de perdre et la confiance du gouvernement et le commandement de l'armée. Buonaparte s'offroit donc seul aux glorieuses destinées qui alloient s'ouvrir pour les généraux français.

Il ne paroissoit point d'ailleurs éloigné du projet d'une guerre maritime. Après les événemens du 18 fructidor, il s'étoit non-seulement empressé d'en prévenir l'armée de terre, il avoit encore étendu sa prévoyance jusque sur l'armée de mer; il avoit adressé aux marins de l'escadre de l'amiral Brueys une proclamation où il ne dissimuloit point le désir de s'associer à sa gloire.

« Camarades, disoit-il, les émigrés, maîtres >>> des deux conseils, s'étoient emparés de la tri» bune. Le directoire exécutif, les représen>> tans restés fidèles à la patrie, les républicains » de toutes les classes, les soldats se sont ralliés >> autour de l'arbre de la liberté; ils ont invo» qué les destins de la république, et les parti» sans de la tyrannie sont aux fers.

>> Camarades, dès que nous aurons pacifié le >> continent, nous nous réunirons à vous pour

» conquérir la liberté des mers. Chacun de >> nous aura présent à la pensée le spectacle >> horrible de Toulon en cendres, de notre ar» senal, de treize vaisseaux de guerre en feu, et >> la victoire secondera nos efforts.

>> Sans vous, nous ne pourrions porter la » gloire du nom français que dans un petit coin » de la terre; avec vous, nous traverserons les » mers, et la gloire nationale verra les régions >> les plus éloignées (1). »

Ces dispositions étoient trop heureuses pour que le directoire ne s'empressât point d'en profiter. Le 26 octobre il rendit un arrêté qui portoit qu'une armée se rassembleroit sans délai sur les côtes de l'Océan ; qu'elle porteroit le nom d'armée d'Angleterre, que le général Buonaparte en prendroit le commandement en chef, et que provisoirement elle seroit commandée par le général Desaix. Par une circonstance particulière, à laquelle il est probable que le hasard ne présida pas seul, cet arrêté fut publié le jour même où Napoléon faisoit présenter à Paris, par le général Berthier, le traité définitif de Campo-Formio.

1) Cette proclamation étoit du 26 septembre, et ce n'étoit que le 19 du même mois que l'on avoit appris, à Paris, la rupture des négociations entre lord Malmesbury et les plénipotentiaires français.

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CHAPITRE XXII.

Traité de Campo-Formio; rappel de La Fayette; établissement de la république Cisalpine et de la république Ligurienne; fin des campagnes de Buonaparte en Italie.

DEPUIS l'armistice de Léoben, la situation de l'Italie n'offroit qu'un foible aliment à l'infatigable activité de Buonaparte. Tous les plans de révolutions étoient accomplis, et il n'entroit pas alors dans les vues du directoire d'en commencer de nouvelles. Napoléon lui-même sentoit la nécessité de diminuer le nombre d'ennemis qui menaçoient la république; et c'est une justice que l'histoire doit lui rendre, qu'à cette époque il s'occupa franchement de la paix, et pressa souvent le directoire de la conclure. Il soutenoit avec raison qu'une paix ne pouvoit être solide qu'autant que les clauses en étoient tolérables pour le parti vaincu; que trop de hauteur et trop d'exigence pouvoient irriter l'amour-propre d'une nation, et la porter au désespoir; que les sacrifices que l'on exigeoit de l'Autriche étoient assez douloureux pour elle, sans lui en imposer de nouveaux. Mais le gouvernement français répondoit mal à ses ins

le

tances les directeurs Carnot et Barthélemy entroient seuls dans ses vues. Les trois autres traitoient d'infàme l'armistice de Léoben, et soutenoient qu'on y avoit indignement compromis les intérêts de la France. Il est certain qu'ils craignoient et haïssoient Buonaparte, et que, même après s'être servis de lui pour succes du 18 fructidor, ils ne renonçoient point au projet de le perdre. L'ascendant que lui donnoient l'éclat de ses victoires et le dévouement de ses soldats, leur inspiroit une frayeur toujours croissante; ils voyoient d'avance en lui Marius ou César, et ne redoutoient rien tant que son retour. Chaque jour leur génie ombrageux inventoit de nouveaux incidens pour retarder la paix. Le traité de Léoben portoit que Mantoue seroit restituée à l'empereur, et le directoire vouloit conserver cette forteresse. Napoléon soutenoi: en vain que Pizzighitone suffisoit pour la sûreté de la république cisalpine: Rewbel, Barras et Laréveillère s'obstinoient à réclamer Mantoue. Enfin, Buonaparte proposa de céder les ruines de Venise pour les remparts de Mantoue. C'étoit, malgré l'état déplorable de la république vénitienne, accorder à l'empereur plus qu'on ne retenoit; cependant le directoire consentit à cette proposition; et, après cinq mois de débats, les plénipotentiaires signèrent un

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