Page images
PDF
EPUB

tant de valeur et d'habileté, que l'ennemi fut obligé de se replier partout, et que, dans le désordre général, Paoli se vit réduit à abandonner ses papiers.

L'armée corse étoit de trente-cinq mille hommes mal disciplinés, mais d'une invincible intrépidité; le malheur ne les découragea point. Ils se rallièrent bientôt et vinrent attaquer euxmêmes l'armée française, ils gravissoient sous le feu des Français, et sans tirer, les rochers les plus escarpés. Paoli se montroit en général et en soldat; il avoit formé un plan d'attaque dont le succès pouvoit décider du sort de l'île. On se battit sur le pont du Golo avec un acharnement sans exemple. Les Corses se crurent d'abord sûrs de la victoire; mais elle les abandonna bientôt. Les Français, aussi intrépides qu'eux, mieux conduits, mieux dirigés, les enfoncèrent partout; leur désastre fut complet, on leur tua beaucoup de monde, la perte des Français fut peu considérable.

Depuis ce jour, la cause de Paoli fut perdue: M. le comte de Vaux, aussi habile à profiter de ses avantages qu'à les assurer, pressa l'ennemi de toutes parts, et, sans lui donner le temps de se reconnoître, lui enleva successivement toutes ses positions. La campagne s'étoit ouverte au mois d'avril, elle fut terminée au mois

de juin, et, dans l'espace de quarante jours, la France se trouva maîtresse d'une importante et utile possession.

Paschal Paoli et son frère Clément s'embarquèrent, avec une suite peu nombreuse, sur deux bâtimens anglais qui les attendoient à Porto-Vecchio, et se rendirent à Livourne.

M. de Maillebois, vingt-cinq ans auparavant, avoit obtenu, pour un semblable service, le bâton de maréchal de France. M. de Vaux n'eut pour récompense, que l'honneur qu'il s'étoit acquis : le mérite n'est pas toujours pesé dans les mêmes balances.

Paoli, trahi par la fortune, se retira à Londres. Quelques centaines de braves quittèrent leur patrie pour se réfugier en Toscane. Paoli partagea avec eux les restes de son ancienne opulence. Il vécut en Angleterre sans prétention, uniquement occupé de l'étude des lettres. Le cabinet de Versailles lui fit inutilement des offres avantageuses pour l'engager à retourner dans sa patrie. Il ne put consentir à la voir asservie. En 1789, un décret de l'assemblée constituante l'ayant rappelé, il se laissa séduire

par des espérances de liberté, et revint parmi ses compatriotes en simple citoyen; mais avec ce titre, il n'en fut pas moins reçu comme un héros et presque comme un souverain. Son pa

triotisme porta ombrage à la convention, qui le décréta d'accusation, au mois d'avril 1795, et le déclara traître à la république, au mois de juillet suivant. Paoli retourna à Londres, et retrouva dans la solitude et la médiocrité, le bonheur que n'ont jamais donné ni l'éclat des richesses, ni les illusions du pouvoir. On a dit de lui que c'étoit un de ces hommes qu'on ne trouve plus que dans les vies de Plutarque.

CHAPITRE II.

Naissance et éducation de Buonaparte.

PARMI les braves qui avoient combattu sous les étendards de Paoli, pour la cause de la liberté, se trouvoit un jeune Corse, nommé Charles Buonaparte.

Il étoit né à Ajaccio en 1745, avoit étudié le droit à Rome, et se destinoit à la carrière du barreau; mais le goût des armes et l'amour de la patrie lui firent changer ces premières dispositions. Il quitta la robe pour l'épée, et déploya dans sa nouvelle carrière une bravoure et des talens si distingués, que le général Paoli se lia d'une amitié particulière avec lui.

Lorsque tout espoir d'indépendance fut perdu, et que Charles vit sa patrie soumise aux Français, il voulut quitter la Corse, et suivre la fortune de son illustre général; mais il fut retenu par son oncle, chanoine en Corse, et chef de sa famille.

Il avoit épousé de fort bonne heure une jeune personne célèbre par sa beauté, nommée Letitia Ramolini, dont il eut huit enfans,

cinq garçons et trois filles. Les garçons se nommoient Joseph, Napolione, Luciano, Luiggi, Gierolamo; les filles : Marianna Carletta, Annonciada. Napolione étoit né le 5 février 1768 (1).

(1) Lorsque Napoléon fut élevé sur le trône, il jugea å propos de retrancher une lettre de son nom de famille, et de se faire appeler Bonaparte au lieu de BuonaparteOn a remarqué que Roberspierre avait, avant lui, fait la même chose, et que, pour adoucir son nom, il avoit supprimé l'r de la seconde syllabe. Napoléon jugea égale ment convenable de se rajeunir d'environ dix-huit mois, en transportant le jour de sa naissance au 15 août 1769. On croit qu'il eut en cela deux intentions, La Corse n'avoit été soumise à la France qu'au mois de juin 1769 : il voulut se faire considérer comme Français.

Louis XII avoit mis son royaume sous la protection de la sainte Vierge, et ce vou se célébroit tous les ans le 15 d'août. Il voulut le faire oublier, se substituer à la Vierge, et se faire regarder lui-même comme le patron de l'empire. Les noms de baptême de ses sœurs ne lui sembloient pas non plus assez augustes, il leur en substitua de plus nobles, et les fit appeler Caroline, Eliza, Pauline.

Quelques personnes ont prétendu qu'il se nommoit luimême Nicolas et non point Napoléon : c'est une erreur ; deux actes authentiques que nous avons sous les yeux, fixent, à cet égard, toutes les incertitudes. L'un est un acte de tutelle déposé aux archives de la chambre des

« PreviousContinue »