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une heure auparavant, la prise de possession de Livourne, et, en sortant de chez le prince, il fit sommer le ministre Manfredini d'expulser de la Toscane l'abbé Dejeon, agent du roi de France, et les émigrés dont la présence lui inspiroit des alarmes (1).

Jamais Buonaparte n'a parlé dans ses rapports des pertes de l'armée française. Il est constant néanmoins qu'elles furent souvent trèsconsidérables. Le 6 avril 1797, le général autrichien Kerpen ayant effectué sa jonction avec le général Laudon, ce mouvement obligea les Français à se retirer par la vallée de Paster. Ils furent poursuivis jusqu'à Brunoken, et perdirent dans leur retraite près de 4000 hommes, tant tués que prisonniers. Le 24 du même mois, dans le combat qui eut lieu près de Brixen l'armée française perdit encore près de cinq mille hommes. L'attaque du pont de Lodi, celle du pont d'Arcole, la défaite de l'armée française sur les bords de l'Adige, coûtèrent la vie à un grand nombre de jeunes et braves guerriers. Les histoires des guerres d'Italie, publiées jusqu'à ce jour, se taisent sur ces échecs; mais le directeur Carnot en convient dans ses

(1) Plusieurs gentilshommes français, et notamment M. le baron d'Imbert, furent témoins de cette odieuse et cruelle jonglerie.

mémoires. Il avoue même que,

dans un temps

de détresse, Buonaparte lui ayant demandé quinze mille hommes, il lui en fit passer trente. On peut estimer à près de quarante mille hommes les pertes de l'armée française dans le cours des deux campagnes (1).

- Si Buonaparte a couvert d'un grand éclat le nom français par ses nombreuses victoires, il a aussi jeté, le premier, le fondement de ces haines immortelles qui ont fini par armer l'Europe toute entière contre nous. Il a le premier appris aux peuples à rompre les liens qui les unissent à leurs souverains; il a non-seulement

(1) Au mois de février 1797, on distribua à Paris, dans les deux conseils, le tableau des campagnes faites par les armées républicaines. Il en résultoit que, depuis le 8 septembre 1793 jusqu'au 19 février 1797, les troupes fran

çaises avoient remporté deux cent soixante et une victoires, trente et une en batailles rangées; tué à l'ennemi cent cinquante-deux mille six cents hommes; pris trois cent trente-huit places fortes ou villes importantes, trois cent dix-neuf forts, camps ou redoutes; enlevé sept mille neuf cent soixante-trois bouches à feu, cent quatre-vingt-six mille sept cent soixante fusils,, quatre millions trois cent quatre-vingt-huit mille livres de poudre, deux cent sept drapeaux, cinq mille quatre cent quatre-vingt-six chevaux, etc. Mais on ne joignoit pas à ce tableau celui des hommes, des chevaux, des bouches à feu que nous avoient coûté ces brillans exploits.

renversé des trônes, mais ruiné la religion, les mœurs et les lois. Il a, pour assurer ses triomphes, déchaîné toutes les passions, cherché des auxiliaires dans les dernières classes de la société, et dans les derniers replis du cœur humain: de sorte qu'on le trouve dans cette première partie de sa vie politique, tel qu'il s'est montré dans tout le reste, religieux et impie, audacieux et réservé, prodigue et avare, modeste et arrogant, doux et cruel, suivant la nature et la diversité de ses vues; également indifférent au crime et à la vertu, au bien et au mal, au mensonge et à la vérité, au commandement et à l'obéissance, pourvu qu'il pût servir son ambition et assurer l'accomplissement de ses desseins ultérieurs. La plus grande gloire de Buonaparte n'est pas d'avoir gagné des batailles, mais d'avoir su se mettre au-dessus des autres hommes, les commander, les attacher à sa fortune, les intéresser à ses succès. Personne ne sut mieux que lui imiter ce Grec célèbre qui avoit appris à ses oiseaux à répéter sans cesse: Psaphon est un Dieu.

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CHAPITRE ADDITIONNEL.
ADDITIO

ON N a publié en 1797, chez le libraire Dupont, rue de Richelieu, à Paris, un petit écrit intitulé Quelques notices sur les premières années de Buonaparte, recueillies et publiées en anglais par un de ses condisciples, et mises en français par le citoyen B. Comme l'intention de l'auteur de ces mémoires est de ne rien négliger pour faire connoître le personnage célèbre dont il écrit l'histoire, il a cru devoir en extraire quelques notes.

Buonaparte, étant entré à l'école militaire de Brienne, se distingua bientôt par la singularité de son caractère. Il étoit sombre, concentré, sans amitié pour ses camarades. Un d'eux l'ayant un jour plaisanté sur la soumission de la Corse à la France : J'espère bien, réponditil, étre un jour en état de lui rendre son indépendance.

On donnoit aux élèves de l'école une portion de jardin qu'ils s'amusoient à cultiver ; il palissada le sien, et ne souffrit pas que personne y entrât; bientôt, ne le trouvant pas assez grand, il attaqua la propriété de ses voisins, et les força à lui céder leur petit enclos.

Les remontrances, les mortifications, les châtimens même ne pouvoient rien sur son caractère indomptable. Jamais on ne parvint à l'amener à aucun sentiment de bienveillance pour ses jeunes compagnons d'armes. Comme il avoit rang de capitaine dans son petit bataillon, on assembla un conseil de guerre qui le déclara indigne de commander ses camarades dont il repoussoit l'amitié. On lui lut la sentence qui le dégradoit, et il n'en parut point affecté. Cependant, après quelque temps de disgrace, ses condisciples se rapprochèrent de lui, et le choisirent pour directeur de leurs jeux. Il n'en imagina d'autres que des attaques et des batailles à coups de pierres. Les supérieurs de l'école supprimèrent les jeux, et réprimandèrent le général qui n'en parut nullement affligé. Il se retira dans son jardin comme dans un fort, et cessa de se mêler avec ses camarades. Cependant l'hiver ayant ramené les neiges, on vit reparoître toute son humeur guerrière. Il faisoit des redoutes, des retranchemens, des bastions, qu'il défendoit avec des pelotes de neige.

En 1785, l'école célébrant la fête de S. Louis, loin de prendre part à la joie de ses camarades, il troubla leurs plaisirs, et se livra à un violent excès de colère, parce qu'une explosion de poudre avoit causé quelque dommage à son

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