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Une notice historique, publiée à Londres vers la fin du dernier siècle, assure même qu'en 1793 il prit courageusement sa défense; qu'il afficha de sa propre main, sur les murs d'Ajaccio, les remontrances de la municipalité contre le décret qui déclaroit Paoli ennemi de la république et le mettoit hors la loi; on ajoute que les proconsuls, irrités de cette audace, décernèrent contre lui un mandat d'arrêt; qu'il n'obtint qu'avec peine sa liberté, et qu'il revint en France à l'époque du siége de Toulon.

J'ai lieu de croire que l'auteur de cette notice a été mal informé ; je ne trouve aucun acte propre à confirmer ces faits; il en existe au contraire qui les démentent, ainsi que je me propose de le faire voir dans le chapitre sui

vant.

CHAPITRE III.

Siége de Toulon; commencemens de la fortune militaire de Buonaparte.

ON

Na remarqué avec raison que le caractère des hommes ne se montre sous ses véritables couleurs, que dans les circonstances extraordinaires de la vie. Rien de plus propre à nous mettre à l'épreuve que les révolutions; car il ne s'agit plus alors de remplir paisiblement les devoirs de la vie civile; c'est au milieu des orages et dans la lutte de toutes les passions, qu'il faut prendre un parti.

L'ame alors se trouve attaquée par tout ce qui peut mettre sa vertu en péril, la crainte, l'espérance, l'amour, la haine, l'ambition; et, dans cette extrême agitation, il n'est donné qu'à un petit nombre d'êtres privilégiés, de rester fidèlement attachés à leurs devoirs. Combien de personnes, nées avec les plus heureuses dispositions, n'auroient donné que des exemples de sagesse, de probité, d'honneur, si elles n'eussent été exposées aux périlleuses épreuves de notre révolution ! La vertu étoit facile avant cette malheureuse époque; mais lorsqu'elle fut

arrivée, il fallut, non-sculement du discernement pour y démêler le bien et le mal, mais du courage pour résister, tantôt aux sollicitations de la cupidité et de l'ambition, tantôt au choc des factions, tantôt à la crainte des périls qui nous assiégeoient de toute parts.

On vit alors se jeter dans les rangs des novateurs, deux classes d'hommes fort différentes. L'une, guidée par l'amour du bien et l'espoir d'une heureuse amélioration, se forgeoit en imagination de nouveaux cieux et une nouvelle terre; entraînée par un heureux délire, elle ne rêvoit que l'âge d'or et le règne d'Astrée. L'autre étoit composée de ces hommes que Salluste a si bien peints dans son histoire de la conjuration de Catilina : Quos flagitium, egestas, conscius animus exagitabat : Que tourmentoient la misère, le remords et les passions.

Ce fut dans ce dernier parti que se jeta Buonaparte. Il embrassa avec une sorte de fanatisme les idées démagogiques, résolu de servir constamment la faction triomphante, quels qu'en fussent les chefs, les principes ou les actions. Il s'étoit attaché à Paoli, tant qu'il l'avoit vu protégé par l'assemblée constituante et la convention; il l'avoit ménagé encore lorsque son crédit commençoit à s'affoiblir; il l'abandonna tout-à-fait et s'arma contre lui, quand il le vit frappé d'ana

thème par les démagogues. L'auteur anglais de la notice dont j'ai déjà parlé, convient qu'il s'embarqna sur des bâtimens destinés à une entreprise contre Ajaccio, et qu'il vint au nom de la république française sommer cette ville de se rendre. Mais elle étoit défendue par un de ses parens, officier d'un rare mérite, nommé Masseria, qui brava les menaces de Napoléon, et le força de se retirer.

La république avoit alors à lutter contre toutes les forces du continent; ses frontières étoient envahies de toutes parts; les forces de la Vendée s'accroissoient tous les jours; les soulèvemens se multiplioient sur tous les points de la France. L'horreur qu'inspiroit la convention sembloit la menacer d'une insurrection générale; l'état touchoit à une dissolution complète; mais le danger ne faisoit qu'accroître la violence et l'énergie de cette cruelle et redoutable assemblée; elle répondoit aux attaques de ses ennemis par de nouveaux excès et de nouvelles fureurs : on eût dit que le génie du mal étoit venu fixer son séjour au sein de la représentation nationale.

On avoit levé dans le cours de 1793 plus d'un million d'hommes; la république en comptoit sous ses drapeaux quinze cent mille, partagés en quatorze armées, qui défioient tous les rois

de l'Europe, qu'on ne désignoit plus que sous le nom de tyrans.

Le pavillon tricolore osoit même affronter les mers et braver les flottes anglaises. Dès le mois de décembre 1792, le contre-amiral Truguet étoit entré dans le port d'Ajaccio pour aller attaquer la Sardaigne. Cette flotte ne portoit, à la vérité, que quinze cents hommes; mais elle devoit se fortifier des bâtimens que commandoit devant Naples le capitaine de la Touche; elle devoit aussi prendre à bord deux bataillons de garde nationale corse, troupe audacieuse et aguerrie, qui ne redoutoit ni les fatigues ni les tempêtes. Avec ces ressources, la conquête de la Sardaigne paroissoit immanquable. Malheureusement quelques circonstances imprévues trompèrent toutes les espé

rances.

Dans ces temps de confusion et d'anarchie, il s'étoit formé au sein des villes et des armées des compagnies de pendeurs, qui, pour l'amour de la république, étrangloient fraternellement leurs camarades, et se livroient sans remords à tous les genres de forfaits. Les représentans du peuple n'osoient s'opposer à ces excès, soit dans la crainte d'être pendus euxmêmes, soit afin d'entretenir le peuple dans

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