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une sorte d'ivresse dont ils avoient besoin pour soutenir la république.

Il arriva que deux soldats français pendirent deux soldats corses, sous prétexte d'incivisme. Les Corses n'étoient pas gens à se laisser pendre impunément. La crainte des représailles décida l'amiral à partager ses forces et à faire agir séparément la petite armée corse. Il la chargea d'attaquer les îles du détroit de Boniface; Buonaparte, à la tête de cette expédition, s'empara d'abord de Saint-Étienne et de son fort, et prit possession de la Madeleine au nom de la république; mais il ne put garder long-temps ses conquêtes.

L'expédition de Truguet avoit eu le résultat le plus désastreux. Deux de ses bâtimens avoient touché dans le port d'Ajaccio, et ne marchoient. qu'avec peine. Les tempêtes avoient dispersé ceux que commandoit le capitaine la Touche; et les Sardes, résolus de se défendre, avoient répondu au feu de la flotte française par des décharges à boulet rouge; plusieurs de nos navires furent endommagés dans leurs mâts et leurs vergues un d'entre eux fut brûlé. Les bombes des Français n'atteignirent que les faubourgs au-delà de Cagliari, et l'ennemi n'eut que cinq hommes à regretter dans cette attaque. Pendant le bombardement, les Français

avoient tenté plusieurs fois des descentes sur le rivage, mais, constamment repoussés, ils avoient perdu près de six cents hommes.

Les montagnards de Sardaigne déployèrent, dans cette occasion, une rare intrépidité, et de tout ce que les Français jetèrent d'hommes sur la côte, il y en eut peu qui ne furent tués ou blessés. L'amiral avoit tellement compté sur le succès de cette expédition, qu'il avoit amené avec lui une grande quantité de bâtimens de transports, pour charger les grains dont les magasins de l'île étoient richement pourvus.

Lorsque la convention apprit l'issue de cette malheureuse entreprise, elle en ressentit un extrême dépit ; mais elle le dissimula. A peine en parla-t-on dans les séances publiques; on se contenta de lire une lettre du contre-amiral, qui attribuoit ses défaites à l'indicispline de l'armée, et aux désordres qui régnoient dans toutes les parties de l'administration (1).

(1) On se feroit difficilement une idée des excès et de l'anarchie qui régnoient à bord. Une lettre de Corse, publiée à cette époque dans les journaux français, por

toit :

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« On a encore manqué, l'un de ces jours, de pendre un homme, qui, le lendemain, a été reconnu très-inno» cent. Il est fâcheux qu'il n'y ait pas une justice plus sé

Ainsi de toutes parts la république couroit les plus grands dangers. Paoli, indigné de l'assassinat de Louis XVI, fatigué de la tyrannie révolutionnaire, ne cachoit plus ses desseins. Hors d'état de résister, avec ses propres forces, aux armées républicaines, il avoit invoqué le secours de l'Angleterre, attaqué et battu l'armée française, et s'étoit peu de temps après rendu maître d'Ajaccio et de plusieurs autres places.

Les commissaires de la convention s'efforçoient en vain d'arrêter ce mouvement; ils n'avoient ni assez de puissance ni assez de génie ; et Paoli, mis hors de la loi par la représenta→ tion nationale, bravoit également et ses décrets et ses soldats. Les menaces, les proclamations et les violences de Lacombe-Saint-Michel ne faisoient qu'irriter de plus en plus les esprits; le parti montagnard s'écrouloit de tous côtés, et les anarchistes poursuivis, proscrits sur tous les

» vère pour ces pendeurs de profession, qui se font un » jeu d'assassiner, et un honneur de s'en vanter. On ne >> peut se figurer le mauvais effet que cette conduite pro» duit sur les étrangers. Aussi les Sardes se préparent>ils à se défendre vigoureusement, parce qu'on leur » a peint les Français comme des impies et des violeurs » de femmes ».

points de l'île, furent enfin réduits à l'abandonner. Buonaparte lui-même, frappé d'un décret de bannissement particulier, se vit contraint de quittersa patrie avec toute sa famille(1).Elle étoit nombreuse et pauvre. Sa mère emmenoit avec

(1) Il est certain que Buonaparte fut banni de la Corse avec une foule de révolutionnaires, qui se retirerent, les uns à Livourne, les autres en France. L'auteur d'un ouvrage intitulé, Examen de la campagne de By naparte en Italie, dans les années 1796 et 1797 prétend que Napoléon fut banni pour un crime qui méri toit la mort; voici de quelle manière il raconte le fait':

«En 1792, Buonaparte, retiré à Ajaccio, travailloit » ses compatriotes dans les principes du jacobinisme. Il » trouva une résistance à laquelle il ne s'attendoit pas » et dont il crut devoir se venger. Le jour même de la » seconde fête de Pâques, à huit heures du matin, au >> moment où les fidèles sortoient de l'église cathédrale, » il fait tirer sur le peuple par des brigands qu'il avoit postés exprès la nuit précédente dans le voisinage de » cette église. Qu'on juge de la surprise et de l'effroi de » ce peuple, qui ne soupçonnoit rien de pareil. Plusieurs » furent blessés, quelques-uns perdirent la vie. Toutes » les circonstances aggravoient le crime et appeloient une punition éclatante; néanmcins Buonaparte en fut quitte pour un décret de bannissement et d'infamie. Ce décret est existant et consigné dans les archives du

elle trois filles et son fils Jérôme, encore enfant. Joseph, Lucien et Louis, compris dans la proscription de leur frère Napoléon, étoient sans emploi ; leur oncle Fesch, qui avoit profité de la liberté révolutionnaire pour quitter l'habit et les fonctions ecclésiastiques, se trouvoit, comme eux, dénué de toute ressource (1),

» pays. Il fut provoqué et signé par le général Paoli, qui présidoit l'assemblée de la Corse ».

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L'écrivain qui cite ce fait, paroît, dans tout le cours de son ouvrage, un homme d'honneur, incapable d'un mensonge. Cependant, si ce fait est vrai, il est nécessaire d'en rapprocher la date; car il est constant que ce ne fut point en 1792, mais en 1-93 que Buonaparte rentra en France. Il étoit en 1793 engagé dans l'expédition de l'amiral Truguet contre la Sardaigne, et il rentra avec le reste de la flotte dans le port d'Ajaccio. Les recherches que nous avons faites sur le décret n'ont pu nous donner des renseignemens positifs, et si cet acte a jamais été consigné dans les registres, il est probable qu'on l'en aura fait disparaître depuis, ainsi que tant d'autres pièces qu'on a pris soin d'anéantir,

(1) Le cardinal Fesch est frère utérin de madame Buonaparte mère. Il appartient à une famille de négocians estimés à Bâle. Un de ses parens est attaché au conseil des prises maritimes comme secrétaire-interprète. Jamais ni l'empereur Napoléon, ni le cardinal n'ont rien fait pour lui; il les avoit vus malheureux, et c'étoit assez.

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