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« rebelle, dans une heure n'existera plus.... ; mais « la vie d'un homme ne vaut pas ce prix : je ne suis « pas revenu de l'île d'Elbe, pour que Paris fût « inondé de sang! »

Napoléon avait trop pesé sur le monde. Après Waterloo et au milieu de la proscription dont chacun le frappait à l'envie, comme le lion malade, il sentit qu'il pesait aussi sur lui-même. Fatigué, dégoûté de lui et des hommes et des choses, cerné, pressé de toutes parts, il consentit enfin à signer la déclaration suivante :

AU PEUPLE PRANÇAIS.

<< En commençant la guerre, pour soutenir l'indé<< pendance nationale, je comptais sur la réunion «de tous les efforts, de toutes les volontés et le « concours de toutes les autorités nationales. J'étais « fondé à en espérer le succès, et j'avais brave « toutes les déclarations des puissances contre moi. « Les circonstances me paraissent changées. Je « m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la « France. Puissent-ils être sincères dans leurs décla«tions, et n'en avoir voulu réellement qu'à ma « personne! Ma vie politique est terminée, et je proclame mon fils sous le titre de Napoléon II, « empereur des Français. Les ministres actuels for« meront provisoirement le conseil de gouverne«ment. L'intérêt que je porte à mon fils, m'engage « à inviter les chambres à organiser sans délai la « régence par une loi. Unissez-vous tous pour le a salut public et pour rester une nation indépen«dante. » NAPOLÉON.

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Au palais de l'Elysée, 22 juin 1815.

Le duc d'Otrante, le duc de Vicence et le duc Decres, furent chargés par Napoléon de porter cette déclaration à la chambre des députés; le duc de Gaëte, le comte Mollien et le comte Carnot à la chambre des pairs. Rien ne manqua à la catastrophe de Napoléon. Un de ses ministres d'état lui avait déjà déclaré dans le conseil qu'il fallait abdiquer, que le salut de la France le demandait. Il revint lui dire que la chambre exigeait son abdication, et qu'il n'y avait pas un moment à perdre. Enfin, il pressa tellement Napoléon d'abdiquer, qu'après deux missions qu'il remplit pour le même objet, il envoya renouveler encore la même instance à Napoléon par un officier supérieur de la garde nationale, auquel Napoléon répondit : » Ces bonnes gens sont bien pressés : dites-leur que je sais ce que j'ai à faire. « Enfin il se décida à donner cette abdication. La chambre des représentans nomma alors une députation qui reçut ordre de se rendre auprès de Napoléon, pour lui exprimer avec quel respect et avec quelle reconnaissance la chambre acceptait le noble sacrifice que ce prince faisait à l'indépendance et au bonheur de la France.

Napoléon répondit ainsi à cette députation : « Je vous remercie des sentimens que vous m'exprimez. «Je désire que mon abdication puisse faire le bon« heur de la France; mais je ne l'espère point. Elle « laisse l'état sans chef, sans existence politique. « Le temps perdu à renverser la monarchie aurait « pu être employé à mettre la France en état d'écra<< ser l'ennemi. Je recommande à la chambre de « renforcer promptement les armées. Qui veut la

<< paix, doit se préparer à la guerre, Ne mettez pas « cette grande nation à la merci des étrangers. << Craignez d'être déçus dans vos espérances; c'est a là qu'est le danger. Dans quelque position que « je me trouve, je serai toujours bien si la France « est heureuse. Je recommande mon fils à la «France; j'espère qu'elle n'oubliera pas que je n'ai ་་ abdiqué que pour lui. Je l'ai fait aussi ce grand « sacrifice pour le bien de la nation : ce n'est « qu'avec ma dynastie qu'elle peut espérer d'être « libre, heureuse et indépendante. « C'était précisément cette vanité de dynastie qui perdait Napoléon pour la seconde fois. Jusqu'au dernier moment, il ne manqua jamais une occasion d'affecter hautement ce sentiment; car, un instant après, un ministre d'état se félicitant justement d'avoir provoqué l'hommage que Napoléon venait de recevoir de la chambre : « Puisque cette délibéra«tion est votre ouvrage, lui répondit-il, vous au«riez dû vous ressouvenir que le titre d'empereur » ne se perd point. » Effectivement, la délibération de la chambre ne parlait que de Napoléon Bonaparte. Ce trait si singulier dans une telle circonstance se reproduisit encore souvent, même sur le rocher de Sainte-Hélène ! Si Napoléon en débarquant au golfe Juan eût apporté avec lui non la contre-révolution de la monarchie, mais celle de l'empire, il n'eût jamais été responsable d'une défaite, et l'Europe aurait eu à abattre plus qu'un seul homme.

Il résultait formellement, et sans discussion aucune, de l'acceptation de l'abdication de Napoléon en faveur de son fils par les deux chambres,

une raison de gouvernement toute faite, puisqu'elles avaient reconnu le père : c'était la reconnaissance de Napoléon II, et la proclamation de son avénement. Mais dans la deuxième chambre, des esprits orageux s'étudièrent à prouver à l'Europe l'entière vacance du trône et l'absence de tout pouvoir légal. L'un proposa à la chambre de se former en assemblée nationale, un autre en assemblée constituante. C'était proposer l'exhérédation de Napoléon II; c'était dénier l'abdication reconnue, en déclinant son objet, son but fondamental. Puisqu'on l'avait acceptée solennellement, on s'était retiré le droit d'en repousser la condition nécessaire; la chambre consentit à éluder la reconnaissance de Napoléon II, en admettant la formation d'une commission executive de cinq membres, deux de la chambre des pairs, et trois de celle des députés. Cette proposition communiquée à la chambre des pairs, fut violemment repoussée par le jeune et infortuné Labédoyère. « S'ils rejettent Napoléon II, s'écria-t-il, lempe«reur doit recourir à son épée et à ses braves, qui, « tout couverts de sang et de blessures, crient en« core vive l'empereur ! C'est en faveur de son fils « qu'il a abdiqué; son abdication est nulle si on ne reconnaît point Napoléon II........ Il y a peut-être encore ici des généraux qui méditent de nouvel« les trahisons, mais malheur à tout traître !.... » Hélas! la même mort devait bientôt réunir les accusés et l'accusateur ! Cette séance fut tumultueuse, et présenta le fatal caractère d'une société qui marche par le trouble à sa dissolution. Enfin un pair proposa d'adopter la proposition de la

chambre des députés, « sans rien préjuger sur « l'indivisibilité de l'abdication de Napoléon. »> Cette subtilité politique fut avidement saisie par la chambre, qui nomma de suite le duc de Vicence et le baron Quinette, pour faire partie de la commission exécutive. La chambre des députés nomma les généraux Carnot et Grénier, et le duc d'Otrante, lequel fut élu président par ses collègues. Ainsi il n'y avait que trois ministres de Napoléon dans la commission, tandis que l'acte de son abdication portait que ses ministres actuels la composeraient. Aussi donna-t-il avec raison le nom de directoire à cette autorité improvisée par les chambres.

Toutefois on pouvait croire, parce que c'était une chose de fait, que cette commission gouvernerait et publierait ses actes au nom de Napoléon II. Cependant la chambre des députés, divisée par les opinións et par les intérêts qui avaient partage la séance précédente, se crut encore obli· gée de laisser intervenir à cet égard une discussion au milieu de laquelle une sorte d'acclamation de circonstance, d'entraînement physique plutôt que de conscience politique, proclama que Napoléon II était empereur des Français. Une voix déjà connue dans la dernière séance fit cependant entendre ces paroles : « Si Napoléon Ier n'a pu « sauver l'état, comment Napoléon II le pourra«t-il davantage? D'ailleurs ce prince et sa mère u sont captifs. Avez vous l'espoir qu'ils vous "soient rendus ?... C'est de la nation que nous ❝ attendons le choix d'un souverain. La nation « précède tous les gouvernemens et survit à tous. »>

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