Page images
PDF
EPUB

que Blücher a été retenu à Brienne par la rupture du pont de Lesmont sur l'Aube. Il s'en réjouit ; cette faiblesse est pardonnable. Napoléon voudrait immortaliser par une grande bataille rangée, livrée pour le salut de la France, ce bourg de Brienne, son second berceau, cette école militaire, où naquit ce génie funeste qui lui met trente ans après les armes à la main pour la reprendre sur des légions de Russes et de Prussiens. L'action fut des plus vives. Dans l'attaque brusquée du château, Blücher pensa être pris au milieu de tout son état-major; il n'échappa que parce qu'il ne fut pas connu. Le bourg defendu par les Russes, le château par les Prussiens, ont vu la bataille la plus acharnée qu'une perte égale rend funeste aux deux armées. Il semble que Brienne soit pour elles un de ces lieux sacrés dont la conquête assurait la victoire aux anciens Grecs. La nuit même, après 12 heures des efforts les plus opiniȧtres, n'a point séparé les combattans. Elle pensa être funeste à Napoléon, qui, à 10 heures du soir, regagnait son quartiergénéral de Mézières. Un hurra de cosaques se jette au travers de sa colonne ; il va être frappé d'une lance, quand d'un coup de pistolet l'officier d'ordonnance Gourgaud abat le cosaque aux pieds de l'empereur. Cette journée est malheureuse; la fortune se plaît à rendre amers à Napoléon, les souvenirs de son enfance. L'empereur n'avait à opposer à Brienne aux forces bien supérieures de l'ennemi, qu'une petite partie de sa vieille garde et de son armée. Le gros de ses forces était en marche dans une autre direction. La nuit, l'ennemi s'est replié silencieusement sur Bar-sur-Aube. Le

30, à la pointe du jour, Napoléon va occuper Brienne, et passe la journée au château. Là, au milieu des vains projets qu'il forme pour rebâtir la ville incendiée et en faire une résidence impériale, il apprend que Blücher, qu'il doit croire isolé, a fait sa jonction avec Schwarzenberg, et que 100,000 hommes l'attendent dans les plaines de l'Aube. Il accepte le combat avec ses 50,000 hommes, presque tous conscrits de nouvelles levées. Il a en tête les vieilles bandes de toutes les nations, celles qui se sont formées à son école et sous son drapeau, l'élite de l'armée de Silésie, celle de l'armée autrichienne, la garde impériale russe ; un acharnement égal à celui de l'avant-veille anime les deux armées. Napoléon est au centre, au village de la Rothière, et soutient avec opiniâtreté tout l'effort de l'ennemi qui dirige sur ce point son attaque principale. Mais la supériorité numérique des alliés rend inutiles les miracles de l'intrépidité francaise : leur victoire fut le triomphe des masses. La nuit, Napoléon ordonne la retraite sur Troyes, et trompe ainsi Blücher, qui espère l'écraser le lendemain.

Cette bataille eut deux résultats très-graves au début de la campagne : elle soutint le moral de l'armée ennemie, qui pouvait s'attendre à ne pas gagner la première bataille rangée sur Napoléon au milieu de la France, et elle affecta singulièrement le moral de l'armée française, où le découra gement produisit la DÉSERTION! Elle laissa sur le champ de bataille 54 bouches à feu, et près de 6,000 hommes, dont la moitié prisonniers.

Le 2, l'armée française poursuit sa retraite sur la rive gauche de l'Aube après avoir coupé encore

une fois le pont de Lesmont, dont la destruction avait déjà arrêté Blücher. Napoléon l'avait fait réta blir pendant le combat. Mais le maréchal Marmont, chargé de protéger la retraite, est resté sur la rive droite, et il n'a plus d'autre route pour rejoindre, que le passage de la Voire à Rosnay, où il est attaqué par 25,000 Bavarois, que commande le général de Wrede. A ce nom, Marmont se souvient de ceux qui ont trahi la France à Hanau. L'épée à la main, il passe avec ses braves au travers de ces infideles alliés, et le même jour il arrive à Arcis. Mais la grande victoire que Napoléon a cherchée, et dont il ne peut se passer pour relever l'opinion, pour soutenir la France et pour la défendre, vient de lui échapper à la Rothière, et un grand prestige est détruit. Au sein même de la France, Napoléon n'est pas invincible. Il en résulte pour lui cette vérité fatale, que le trône des conquérans une fois menace ne peut plus subsister que par la victoire. Le 1er février, Bruxelles avait été évacuée. Ne pouvant plus défendre la Belgique, envahie par Bernadotte, le général Maisons était réduit à défendre pied à pied la frontière de Flandre Le 4, le prince Eugène était forcé, par la défection du roi Joachim, de se replier de l'Adige sur le Mincio, où il attendait les Autrichiens. Le 29 janvier, le vice-roi avait informé l'empereur de la nécessité où il était de faire ce mouvement rétrograde, en raison de la connivence des nouveaux intérêts du roi de Naples avec les opérations militaires de l'Autriche. Par sa lettre du 25 janvier, il avait donné à Napoléon la preuve de cette alliance, en lui rendant compte de la mission du général

Gifflenga qu'il avait envoyé au roi de Naples. Joachim avait répondu au général : « Aujourd'hui je « dois ma couronne à l'Autriche et à l'Autriche « seule. Elle pouvait la rendre à la reine Caroline, << elle a mieux aimé me la conserver. En conséquen« ce, je la servirai fidèlement et chaudement comme « j'ai servi l'empereur. Que le vice-roi se dépêche « de se retirer; je pars le 23, et infailliblement il « sera bientôt attaqué de front par Bellegarde, qui « a des forces supérieures, et je serai avant lui à « Alexandrie. » Joachim s'était trompé sur tout, même sur sa nouvelle fidélité. Les 50,000 vieux soldats de Bellegarde furent battus le 8 février à Valeggio et Pazzolo, par les 30,000 conscrits du vice-roi, et perdirent 8 à 9,000 hommes.

Le 19 janvier Napoléon avait été instruit de la défection de Joachim, par Joachim lui-même, qui, le 3 du même mois, lui avait expédié à Paris le duc de Carignano, chargé de lui remettre une lettre confidentielle; cette lettre, dont M. de la Besnardière parla au duc de Vicence dans la dépêche du 19 janvier, est remplie, dit-il, de protestations de reconnaissance et de regrets, mais annonce que le roi est forcé, par la nécessité, d'accepter les propositions de l'Autriche et de l'Angletterre.

Ainsi Napoléon était prévenu de la conduite du roi de Naples quinze jours avant la lettre du viceroi.

Cependant le 4 février, le congrès dont Napoléon avait proposé la réunion à Manheim, dès le mois de décembre, s'ouvrait à Châtillon-sur-Seine, département de la Côte-d'Or ; l'Autriche y était représentée par le comte de Stadion, la Russie par

le comte Razomowski, la Prusse par le baron de Humboldt, et le gouvernement britannique l'était près des souverains par lord Castelreagh, ministre des affaires étrangères. On sait que, d'après les lois anglaises, le prince de Galles ne peut quitter le sol de l'Angleterre. Les plénipotentiaires anglais étaient lord Aberdeen lord Cathcart, et Ch. Stéwart. Pour la France, c'était le duc de Vicence, ministre des relations extérieures, lequel, au nom de son souverain, avait déclaré dès le principe l'acceptation des bases de Francfort.

Toute l'Europe diplomatique et toute l'Europe militaire est donc réunie contre Napoléon, Mais si la position était bien changée de Prague à Francfort, elle l'est bien plus de Francfort à Châtillon. A Prague, Napoléon, maître de Dresde, au cœur de l'Allemagne, vainqueur dans trois batailles, était encore à la tête d'une armée de 250,000 hommes. Egaré par ses succès, trop séduit peut-être par le génie de sa propre armée, il avait refusé la paix, et se trouvait rejeté au milieu de la France par un million d'étrangers, auxquels il ne pouvait opposer que lui et les 50,000 braves qui viennent de perdre la bataille de Brienne.

[ocr errors]

Le 3 février, il apprend au village de Piney entre Brienne et Troyes, que le lendemain le congrès doit s'ouvrir. Il s'agit à présent, non de perdre le protectorat du Rhin, ou les villes anséatiques, ou la Hollande: tous ces états sont affranchis, et la France est conquise jusqu'à Troyes et Châlons-sur-Marne. Il n'y a eu encore de résistance qu'à Lyon. Le roi de Naples a trahi. Le vice-roi a deux ennemis à combattre en Italie. Il n'y a plus

« PreviousContinue »