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A cette époque, le grand coup d'état européen se préparait silencieusement dans le nord de l'Europe. Il était venu d'Angleterre, avait provoqué et suivi les malheurs de nos armées. Il marchait sous les bannières russes s'était introduit déjà avec succès dans les conseils de la Prusse, et avait poussé une heureuse reconnaissance jusque dans la capitale de l'Autriche. Deux diplomates, sir Horace Walpole, pour le cabinet de Londres, et le comte de Stakelberg pour le cabinet russe arrivaient à Vienne, sans caractère officiel, mais non pas sans missions. Ils y furent bientôt accrédités par les nouveaux intérêts dont ils flattèrent l'Autriche, et par la haine personnelle que M. de Stadion, digne héritier des passions du prince de Kaunitz, portait à la France et à Napoléon. Vienne devint bientot un point central de correspondance entre les cours de Londres, de Pétersbourg et de Breslaw. M. de Lebzeltern fut envoyé par l'Autriche à Wilna, où résidait le comte de Nesselrode, et le comte de Stakelberg agissait à Vienne d'accord avec le baron de Humboldt, ministre prussien. Il n'y avait donc que la force des armes qui, après son dernier refus, pouvait protéger Napoléon contre une conspiration aussi bien ourdie. Ce moyen était extrême pour la France et même pour l'Europe. Le besoin de la paix était impérieux pour le continent comme aussi pour la Russie, dont toutefois la vengeance était légitime; la guerre à outrance n'était continuée et excitée que pour arriver à une paix durable par l'affaiblissement de la puissance de Napoléon. La Grande-Bretagne, excentrique dans sa politique comme dans sa position physique, n'avait d'autre

VIE

but pour conserver l'empire des mers que l'abaisse. ment de la France; et tandis qu'elle dirigeait sur le continent la grande conjuration du Nord et du Midi contre l'ennemi commun, elle remettait en scène son hôte auguste d'Hartwell, et faisait jeter, dans les premiers jours de février, sur les côtes de France, la déclaration suivante :

« Louis XVIII, etc..., etc...

<<< Lemoment est enfin arrivé où la divine provi«dence semble prête à briser l'instrument de sa « colère. L'usurpateur du trône de saint Louis, le << dévastateur de l'Europe, éprouve à son tour des « revers. Ne feront-ils qu'aggraver les maux de la « France, et n'osera-t-elle renverser un pouvoir « odieux que ne protège plus le prestige de la vic« toire? Quelles préventions ou quelles craintes « pourraient aujourd'hui l'empêcher de se jeter «dans les bras de son roi, et de reconnaître dans « l'établissement de sa légitime autorité le seul gage de l'union, de la paix et du bonheur, que ses pro<< messes ont tant de fois garantis à ses sujets oppri« més?

<< Ne voulant, ne pouvant tenir que de leurs ef« forts le trône, que ses droits et leur amour peu<< vent seuls affermir, quels vœux seront contraires «< à ceux qu'il ne cesse de former? quel doute pour<«<rait s'élever sur ses intentions paternelles?

« Le roi a dit dans ses déclarations précédentes « (des 10 mars 1799 et 2 décembre 1804), et il « réitère l'assurance que les corps administratifs et « judiciaires seront maintenus dans la plénitude de «<leurs attributions; qu'il conservera leurs places à «< ceux qui en seront pourvus et qui lui prêteront

« serment de fidélité; que les tribunaux, déposi«taires des lois, s'interdiront toutes poursuites << relatives à ces temps malheureux, dont son retour << aura scellé pour jamais l'oubli; qu'enfin le code, «< souillé du nom de Napoléon, mais qui ne ren« ferme en grande partie que les anciennes ordon<«<nances et coutumes du royaume, restera en vi«<gueur, si l'on en excepte les dispositions contraires « aux dogmes religieux, assujettis long-temps, << ainsi que la liberté des peuples, aux caprices du << tyran.

« Le sénat, où siégent des hommes que leurs ta« lens distinguent à juste titre, et que tant de ser« vices peuvent illustrer aux yeux de la France et ́« de la postérité, ce corps, dont l'utilité et l'im<< portance ne seront bien reconnues qu'après la << restauration, peut-il manquer d'apercevoir la « destinée glorieuse qui l'appelle à être le premier << instrument du grand bienfait qui deviendra la plus solide comme la plus honorable garantie de « son existence et de ses prérogatives?

« A l'égard des propriétés, le roi, qui a déjà an« noncé l'intention d'employer les moyens les plus << propres à concilier les intérêts de tous, voit les << nombreuses transactions qui ont eu lieu entre << les anciens et les nouveaux propriétaires, rendre « ce soin presque superflu; il s'engage maintenant « à interdire aux tribunaux toutes procédures con« traires à ces transactions, à encourager les ar« rangemens volontaires, et à donner lui-même, « ainsi que sa famille, l'exemple de tous les sacri« fices qui pourront contribuer au repos de la « France et à l'union sincère de tous les Français.

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« Le roi a garanti à l'armée la conservation des grades, emplois, solde et appointemens dont « elle jouit à présent. Il promet aussi aux généraux, « officiers et soldats qui se signaleront en faveur « de sa cause, inséparable des intérêts du peuple « français, des récompenses plus réelles, des dis«tinctions plus honorables que celles qu'ils ont «< pu recevoir d'un usurpateur, toujours prêt à « méconnaître ou même à redouter leurs services. « Le roi prend de nouveau l'engagement d'abolir « cette conscription funeste, qui détruit le bon« heur des familles et l'espérance de la patrie.

«Telles ont toujours été, telles sont encore les « intentions du roi. Son rétablissement sur le « trône de ses ancêtres ne sera pour la France que « l'heureuse transition des calamités d'une guerre « que perpétue la tyrannie, aux bienfaits d'une

paix solide, dont les puissances étrangères ne « peuvent trouver la garantie que dans la parole du « souverain légitime.

« Donné à Hartwell, le 1er février 1813. »

Lord Castelreagh inclinait dans le conseil pour traiter avec Napoléon. Il n'en était pas de même de lord Liverpool, et de quelques autres ministres. Ceux-ci ne pouvaient pas négliger la publication d'un pareil document, qui exprimait le renversement du tróne de Napoléon; aussi les croiseurs anglais eurent-ils l'ordre de le répandre sur les cotes de France. Mais le service des côtes était si bien fait, que cette déclaration fut tout-à-fait inconnue de l'immense majorité des Français, et sans la discussion qui eut lieu le 12 mars suivant dans la chambre des communes relativement à la

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part que le ministère anglais avait pu avoir à la publication de cette adresse, elle fût restée presque entièrement ignorée de l'Europe. Ce fut alors que lord Castelreagh, interpelé de déclarer si cette pièce avait été publiée avec le concours ou l'assentiment des ministres, répondit simplement, qu'elle l'avait été sans leur sanction. Le peuple français proprement dit n'eut aucune connaissance de cette déclaration; il n'en fut pas de même de l'empereur Napoléon, qui ne se trompa ni sur la nature de cette hostilité, nisur la main puissante et cachée qui la protégeait. L'Angleterre ne négligea aucun intérêt dans cette lutte, qui devait être la dernière; elle se ressouvint des anciennes inimitiés de Bernadotte et de Napoléon, et, le 3 mars, elle signa à Stockholm un traité qui donnait à la coalition une armée de 30,000 Suédois, et à la Suède un subside de 24 millions, avec la cession de la Guadeloupe, que le général Ernouf avait abandonnée aux Anglais le 6 février 1810. Tels étaient, indépendamment de l'action toujours croissante de la guerre de la péninsule, les périls ameutés contre Napoléon; mais la déclaration d'Hartwell fut peut-être de toutes les armes employées contre lui, celle qu'il redoutait le plus ; elle lui opposait tout-à-coup un ennemi inconnu depuis vingt ans, LA LÉGITIMITÉ, et à la face de l'Europe elle qualifiait D'USURPATION la puissance qu'il avait reçue du peuple français, et contre laquelle l'Europe allait s'armer tout entière, parce qu'elle n'en reconnaissait que trop bien la posses

sion.

On jugera du désintéressement profond où l'Eu

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