Page images
PDF
EPUB

crime, Dieu n'eût pas fait de la charité la première de toutes les vertus chrétiennes.

Ah! s'il est permis de s'affliger et plus encore de s'étonner des éternelles calomnies dont la religion est l'objet, c'est surtout quand, mettant de côté tout esprit dogmatique, on cherche dans sa conscience et dans sa loyauté s'il est quelque chose où la Divinité se manifeste avec plus de grandeur, de justice et d'amour que dans les enseignements de Jésus-Christ? dans ce livre dont un philosophe de nos jours a dit « que s'il n'était pas de Dieu, l'inventeur serait plus « étonnant que le héros (1)! » - que dans cet Évangile, enfin, source inépuisable de tout amour et de toute vérité ! Non, l'indigence et la pauvreté ne sont pas des crimes, mais une conséquence nécessaire de l'existence même des individus et de leurs diverses associations en gouvernements constitués. Tous les hommes ne naissent pas égaux en forces physiques, tous les peuples n'ont pas une égale étendue de limites ni une même puissance; il y a donc chez les individus comme chez les nations des faibles et des forts, conséquemment des riches et des pauvres, des oppresseurs et des victimes, des bons et des méchants; c'est parceque le monde devait être ainsi que son Créateur a placé dans tous nos cœurs le sentiment du juste et de l'injuste avec la liberté du choix; comme aussi les gouvernements ont établi des institutions et des lois dont la justice et la force sont d'autant plus admirables qu'elles se rapprochent davantage de leur céleste origine, selon qu'elles protègent avec le plus d'efficacité les faibles contre les forts, les bons contre les méchants, la vertu contre le crime et la pauvreté contre l'opulence.

Mais il est si doux d'être riche et puissant, que pour contenir l'orgueil des heureux de ce monde il ne fallait rien moins que les menaces terribles dont le christianisme

(1) J.-J. Rousseau,

[ocr errors]

les effraie; de même que pour arrêter la haine et la colère des indigents et des faibles, il ne fallait rien moins aussi que la manifestation de ces promesses divines dont l'authenticité porte dans l'âme des infortunés une si douce consolation et y produit de si heureux germes de foi, d'espérance et d'amour!« Il serait, dit le Fils de << l'homme, plus aisé à un chameau de passer par le trou « d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume « de Dieu (1). » - Malheur à vous, riches, parceque vous avez votre consolation dans ce monde (2)! Et que nous enseignent les prophètes et les apôtres ?-« Malheur à vous

qui ajoutez maison à maison, et qui étendez vos domai« nes jusqu'à ce qu'enfin le sol vous manque (3); qui dor<< mez sur des lits d'ivoire et vous y abandonnez à la mol«<lesse (4)! Oh! oui, malheur à eux! car ce n'est pas pour souffrir de l'état de société que Dieu a fait l'homme un être essentiellement sociable et libre.

Mais quoi! suffira-t-il done d'avoir été riche pour être rejeté à tout jamais du monde des élus, et d'avoir été pauvre pour y avoir des droits indestructibles? Non, mes amis, car nous dit encore un livre saint : <<< Les riches« ses sont un vrai bien entre les mains de l'homme ver<«< tueux, et il n'y a rien de pire que la pauvreté jointe au « vice (5). »

[ocr errors]

Ainsi donc, riche ou pauvre, l'homme est égal aux yeux de Dieu. Et que pourraient être en effet l'éclat et la magnificence devant celui dont rien n'égale la perfection et la beauté ; et quelle abjection pourrait lui paraître un crime, quand il n'a pas rougi de s'abaisser sur la croix du Calvaire, et de s'y assujétir à toutes les douleurs et à toutes les humiliations de la misère et du mépris! La vertu! la seule vertu! voilà quel est notre titre unique à son amour comme à sa clémence, et les malheureux n'en seront point exclus (1) Mare, x, 25. (2) Luc, v1, 24.

(3) Is., v, 8. — (4), Am., vi, 4. — (5) Eccl., sin, 50.

---

par cela qu'ils souffrent, mais par cela qu'ils murmureront de leurs souffrances ou s'en feront un titre menaçant au partage des biens et des honneurs qui ne sont pas entrés dans le lot que leur a départi ici-bas leur triste destinée.

Sans doute vous allez remarquer dans les articles qui vont suivre que la loi ne s'exécute jamais avec toute la sévérité qu'elle semble déployer contre le délit de mendicité. Car, direz-vous, les quêteurs abondent de toutes parts et ne sont point arrêtés. Gardez-vous bien d'en conclure que la loi soit injuste ou trop sévère, ou que ses mandataires soient répréhensibles de leur aveuglement apparent. Mais une malheureuse mère et de pauvres enfants qui, durant un temps rigoureux et couverts de haillons, sollicitent en pleurant la charité publique, inspirent toujours un sentiment d'intérêt et de pitié à ceux qu'ils approchent; et si l'arbitraire a quelque chose d'excusable, c'est assurément quand il s'exerce sans trop de dangers au bénéfice de l'humanité souffrante. - Tiens, dit-il en ce cas à l'indigent qui lui tend une main timide, prends, mais sauve-toi, car je pourrais te faire arrêter. D'où vous concluerez aisément qu'en principe la mendicité n'est un délit que quand elle est un profit, et c'est ce dont nous allons être parfaitement convaincus par les développements de ce qui la concerne dans notre loi pénale.

Toute personne qui aura été trouvée mendiant dans un lieu pour lequel il existera un établissement public organisé afin d'obvier à la mendicité, sera punie de trois à six mois d'emprisonnement, et sera, après l'expiration de sa peine, conduite au dépôt de mendicité. (Art. 274.)

S'il fut jamais des institutions honorables et pures, ce fut, vous le sentirez, l'établissement de ces dépôts de mendicité et de ces maisons de refuge ouverts par le gouvernement et la philantropie à l'indigence, à la vieillesse et à l'infirmité. Qu'a donc à demander autre chose que du travail, des vêtements et du pain, celui qui souffre d'ina

tion et de froid? Rien, absolument rien. Conséquemment celui qui se prostitue au vil métier de mendiant partout où de pareils établissements existent n'est qu'un fainéant dangereux dont l'indigence n'est qu'un calcul, et qu'il faut arrêter et retenir captif, afin qu'il ne dérobe pas à la commisération des bons cœurs, au profit de ses débauches, une portion des secours que réclame la véritable pauvreté. Ainsi :

Dans les lieux où il n'existe point encore de tels établissements, les mendiants d'habitude valides seront punis d'un mois à trois mois d'emprisonnement. S'ils ont été arrêtés hors du canton de leur résidence, ils seront punis d'un emprisonnement de six mois à deux ans. (Art. 275.)

Ici, mes amis, qui la loi frappe-t-elle ? « Les mendiants d'habitude valides, » et mille raisons justifient cette disposition. Des circonstances momentanées, telles que l'excessive cherté des denrées, la durée d'un hiver rigoureux, un incendie, peuvent tout-à-coup plonger une famille dans la plus profonde misère et la contraindre à solliciter publiquement la charité publique là où il n'y a point encore ni de dépôt de mendicité ni de maison de refuge. Dans ce cas, la loi, loin de punir, protége, et la religion, d'accord avec elle, se hâte de venir au secours du malheur. Mais que le printemps renaisse, que la moisson ramène l'abondance, et que la bienfaisance si active en France surtout, ait relevé la chaumière incendiée, ces malheureux, s'ils sont honnêtes, ne quêteront plus des aumônes devenues inutiles, et reprendront aussitôt leurs habitudes et leurs travaux. S'ils sont malades ou infirmes, et que cependant la charité de leurs concitoyens n'ait pu malgré leurs efforts suffire à trop de besoins urgents.... Eh bien! on les laissera mendier encore quelques jours de plus, et l'on ne viendra point ajouter au regret de ne pouvoir les soulager totalement, celui de leur ravir une liberté, qui plus tard, avec l'aide de Dieu, cessera d'être pour leurs concitoyens un objet d'in

quiétude et d'effroi. Or, en serait-il ainsi, je vous le demande, si, jouissant de toute la plénitude de leur force et de leur santé, ils se livraient sans pudeur aux honteuses habitudes de la mendicité? C'est donc encore avec justice que la loi les atteint et les punit.

D'un autre côté, la peine s'accroît s'ils sont trouvés mendiant hors du canton de leur résidence. C'est qu'alors le vagabondage s’unit à la mendicité, et que de ce moment le délit acquiert un bien plus haut degré de gravité. Serait-il juste, au surplus, que les mendiants d'une commune pussent venir impunément dévorer la substance des indigents d'une commune voisine? S'ils y viennent, c'est donc qu'ils renoncent volontairement au droit de cité, ou qu'ils en dédaignent les secours et la protection; car jamais l'autorité ni la religion ne les repoussent autour d'elles et ne leur ont dit : — « Va-t en mendier ailleurs, nous ne « voulons rien faire pour te secourir. »

Sans doute tel ou tel canton peut offrir à la mendicité de plus abondantes ressources; mais jamais aucun n'en est tellement dépourvu qu'il ne puisse offrir quelques soulagements à ses pauvres, ou qu'il ne trouve auprès du gouvernement ou de nos princes des moyens certains de s'en procurer. J'ajouterai, s'il m'est permis ici d'émettre mon opinion particulière, que l'obligation pour les cantons de subvenir par eux-mêmes à l'extinction de la mendicité chez eux, serait sans contredit une loi morale dont l'exécution ne me paraît présenter aucune difficulté réelle.

Jusque-là, vous le voyez, aucun motif légitime n'autorise ni n'excuse la mendicité, sauf des exceptions bien rares et pour un laps de temps nécessairement fort limité. Mais combien cette plaie sociale ne doit-elle pas attirer la sévérité des lois dans les diverses circonstances que voici:

Tous mendiants, même invalides, qui auront usé de menaces, ou seront

« PreviousContinue »