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droit exclusif d'ordonner la suppression des travaux dont il s'agit, et la connaissance de la demande de dommages-intérêts formée par le sieur Charoy. Il est annulé en ce qu'il revendique pour l'autorité administrative le droit de connaître de la question de savoir si la propriété du sieur Charoy doit être tenue de supporter la servitude dont il s'agit.

2. L'assignation du 19 septembre 1850 et le jugement du tribunal de Bar-le-Duc du 4 juin 1851 sont considérés comme non avenus en ce qu'ils ont de contraire à la présente décision.

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(N° 150)

[22 novembre 1851.]

Moulins et usines; existence légale; dommages; base de l'indemnité. — Dépens. — Une usine établie sur un cours d'eau non navigable, avant l'abolition de la féodalité, en vertu d'une autorisation émanée d'un ancien seigneur du lieu, a une existence légale. (2o espèce.) (*) — Dès lors en cas de chômage nécessité par des travaux publics, l'usinier est fondé à réclamer une indemnité. (1o et 2o espèces.) — Cette indemnité doit être calculée d'après le préjudice que l'usine aurait souffert si elle füt restée dans les conditions hydrauliques où elle se trouvait en 1790, sans tenir compte des changements apportés depuis dans les ouvrages extérieurs (**), et sans que l'indemnité puisse en aucun cas excéder le dommage réel. (1 et 2° espèces.) Tant que le régime d'alimentation d'un canal n'est pas définitivement réglé, les indemnités à allouer aux usiniers par suite des prises d'eau effectuées dans les cours d'eau alimentaires, doivent être basées uniquement sur le dommage éprouvé et non sur la dépréciation définitive de l'usine, ni sur les travaux à exécuter dans la rivière pour diminuer le dommage à venir (***). — Il

(*) Arrêts des 11 juillet 1844, Boulogne; 28 août 1844, Fieulaine; 10 janvier 1845, Roinat; 25 juin 1845, de Lameth; 24 juillet 1845, Devienne; 29 juillet 1846, Monard; 5 septembre 1846, Morlet; 2a série, IV, 407, 550 ; V, 159, 491, 632; VI, 510, 564.

(**) Arrêts précités des 11 juillet 1844, 10 janvier 1845 et 5 septembre 1846, 2 série, IV, 407; V, 159; VI, 564. Voir aussi ci-dessous, page 41.

(***) Voir dans le même sens, l'arrêt du 17 juillet 1850, de Mortemarl, 2 série, X, 827.

n'appartient d'ailleurs qu'à l'administration d'autoriser lesdits travaux.—Il në peut être alloué d'une partie, en sus des dépenš, une indemnité pour les faux frais et dépenses extraordinaires que lui aurait occasionnés le procès.

1re ESPÈCE.

- (Compagnie concessionnaire du canal de jonction de la Sambre à l'Oise c. Boulogne.)

Par un arrêté du 18 février 1842, le conseil de préfecture de l'Aisne avait rejeté une demande du sieur Boulogne, meunier à Hannapes, tendant à obtenir que la compagnie de la Sambre à l'Oise fût tenue de lui rendre la quantité d'eau dont il jouissait avant l'exécution de ce canal ou de lui payer une indemnité de 122 000 francs.

Cet arrêté a été annulé par un arrêt du conseil d'état du 11 juillet 1844 (2a série, IV, 407). L'arret reconnaît que le moulin d'Hannapes, vendu comme bien national le 11 juin 1791, a une existence légale, et que le sieur Boulogne a droit à une indemnité s'il a éprouvé un préjudice; mais que cette indemnité doit être calculée sans tenir compte du surcroît de force motrice utilisée par le moulin d'Hannapes en sus du celle que cette usine employait lors de la vente du 11 juin 1791.

A la suite de cette décision, le conseil de préfecture ayant préscrit une expertise; les experts ont été unanimes pour reconnaître :

1° Que le volume du Noirieu, sur lequel est situé le moulin d'Hannapes, n'a pas varié depuis 1791, et qu'il a toujours été employé pour faire marcher cette usine;

2o Que sur ce volume total, dont la force, eu égard à la chute du moulin, est encore, comme en 1791, de 15.71 chevaux, l'usine du sieur Boulogne, en raison de l'imperfection de son vannage et des roues, n'a utilisé, jusqu'en 1833 (époque de la concession du canal de jonction de la Sambre à l'Oise), qu'une force de 4.72 chevaux;

3° Que, par suite de modifications considérables apportées sans autorisation, depuis ladite loi, à la ventellerie et à l'état ancien du moulin, cette usine a été mise en état d'utiliser une force nette de 8.65 chevaux;

4° Que les changements consistent :

En premier lieu, de 1833 à 1841, dans le remplacement de la seule roue à palettes, qui avait jusqu'alors fait mouvoir l'usine, par deux roues à aubes cylindriques;

En second lieu, en juin 1841, dans le remplacement de deux roues à aubes cylindriques par une seule roue à aubes; dans le changement total de la ventellerie de l'usine.

D'accord sur ces bases, les experts se sont partagés sur l'évaluation de l'indemnité; l'un d'eux a pensé que la compagnie ne devait payer que les dommages qui ont eu pour résultat de faire descendre la force motrice au-dessous de celle qui était utilisée en 1791, c'est-à-dire 12 632f.54 pour dommages antérieurs au 1 novembre 1847. Les deux autres, considérant que la force utilisable n'a pas changé depuis 1790; que les travaux du sieur Boulogne n'ont

eu d'autre résultat que de faire un meilleur emploi de la force disponible, ont proposé de tenir compte de tout le dommage réellement éprouvé, et de porter l'indemnité à 46 402 francs.

Le conseil de préfecture a adopté ce dernier système par un arrêté du 12 octobre 1849, et a alloué 46 402 francs au sieur Boulogne.

Par ce même arrêté, le conseil de préfecture a rejeté, comme devant donner lieu à une nouvelle expertise, une demande du sieur Boulogne en payement d'une somme de 726:60 pour chômage postérieur à l'expertise.

Il a également rejeté 1° une demande en payement d'une somme de 10 000 francs pour indemnité des dépenses extraordinaires qu'avait entraînées la contestation; 2° une demande de 70000 francs pour dépréciation dans la valeur de l'usine; 3o une demande de 15 000 francs pour l'exécution de travaux à effectuer pour amoindrir les chômages auxquels l'usine est exposée. Cet arrêté a été attaqué devant le conseil d'état, tant par la compagnie du canal de la Sambre à l'Oise que par le sieur Boulogne.

Le ministre, consulté, a été d'avis que l'évaluation admise par le conseil de préfecture était contraire au texte et à l'esprit de l'arrêt du conseil d'état du 11 juillet 1844; et que les modifications apportées au système extérieur de l'usine devaient être considérées comme nulles et non avenues dans l'évaluation du préjudice allégué par le sieur Boulogne; qu'en conséquence, la force légale de l'usine d'Hannapes était de 4.72 au lieu de 8.65 chevaux.

D'un autre côté, il a fait observer que les bases de l'indemnité établies par l'expert de la compagnie n'étaient pas non plus exactes. Cet expert a tenu compte des chômages occasionnés à l'usine, seulement lorsqu'ils ont eu pour effet de faire descendre la force motrice de l'usine au-dessous de la force nette de 4.72 chevaux. Ce système l'a conduit à ne rien porter, dans son évaluation, pour 2 657 jours de chômages partiels, qui, n'ayant enlevé qu'une force de 2.50 chevaux à l'usine perfectionnée, ont laissé subsister une force de 6.15 chevaux. Mais cette appréciation, suivant le ministre, ne saurait être admise, attendu que ces chômages partiels, provenant du détournement d'une partie des eaux du Noirieu, auraient certainement fait descendre la force motrice au-dessous de 4.72 chevaux, si l'usine n'avait pas été modifiée. Le ministre a conclu à ce que l'indemnité à allouer au sieur Boulogne fût calculée d'après les dommages que cet usinier aurait éprouvés, si les ouvrages extérieurs étaient restés exactement dans l'état où ils se trouvaient en 1791. Le conseil d'état a statué conformément à ces observations.

Au nom du peuple français,

Le conseil d'état, section du contentieux,

Vu les lois des 20 août 1790, 6 octobre 1791, et l'arrêté du directoire exécutif du 19 ventôse an VI;

Vu les lois des 28 pluviôse an VIII et le décret du 16 septembre 1807;

Vu la loi du 30 avril 1833;

Considérant que la requête de la compagnie concessionnaire et celle du sieur Boulogne tendent l'une et l'autre à la réformation du

même arrêté, et qu'il y a lieu de joindre ces deux requêtes pour y statuer par une seule et même décision;

En ce qui touche l'indemnité due au sieur Boulogne pour chómages de son usine antérieurs à l'expertise du 13 février 1847 : Considérant qu'il résulte de l'instruction que, depuis l'adjudication nationale dont l'usine du sieur Boulogne a été l'objet le 11 juin 1791, des changements ont été opérés dans les ouvrages extérieurs de cette usine sans la permission de l'autorité; que l'indemnité due au sieur Boulogne ne pouvant être basée que sur l'état légal de l'usine, il s'ensuit que, dans le règlement de ladite indemnité, il ne doit pas être tenu compte des changements précités, et que, sans pouvoir dans aucun cas excéder le dommage éprouvé réellement et de fait par le sieur Boulogne, ladite indemnité doit être uniquement calculée d'après le préjudice que ce propriétaire aurait eu à souffrir, si, lors des prises d'eau effectuées par la compagnie concessionnaire, l'usine eût encore été, quant à ses ouvrages extérieurs, dans les conditions hydrauliques où elle se trouvait le 11 juin 1791;

Considérant que c'est en ce sens que, par l'ordonnance du 11 juillet 1844, il a été déclaré que, dans aucun cas, il ne serait tenu compte du surcroît de force motrice utilisée à l'usine par suite de changements extérieurs non autorisés et qui auraient dû l'être;

Considérant que ni les experts ni le conseil de préfecture n'ont établi leurs évaluations sur la base qui vient d'être indiquée, et que l'instruction ne fournissant pas tous les éléments nécessaires au règlement à faire de l'indemnité sur ladite base, il y a lieu de renvoyer les parties devant le conseil de préfecture pour y être procédé audit règlement, après supplément d'expertise, s'il y a lieu, et sauf tout recours de droit;

En ce qui touche l'indemnité réclamée pour chômages postérieurs à l'expertise précitée:

Considérant que la demande de cette indemnité n'a été rejetée par l'arrêté attaqué qu'en l'état, et qu'il devra y être, ultérieurement et après instruction, statué par le conseil de préfecture;

Sur la demande d'une somme de 10 000 francs à titre d'indemnité pour les faux frais et dépenses extraordinaires occasionnés au sieur Boulogne par les procès administratifs qu'il a soutenus contre la compagnie à l'occasion des chômages de son usine :

Considérant que les dépens auxquels la compagnie a été, le cas échéant, condamnée envers le sieur Boulogne, constituaient la seule indemnité à laquelle il pût prétendre pour les frais et dépens dont il s'agit ;

Sur les demandes du sieur Boulogne à fin de règlement de l'indemnité de dépréciation de son usine et à fin d'allocation d'une certaine somme pour l'exécution de travaux propres à diminuer le dommage que lui causerait le canal:

Considérant qu'en l'état de l'alimentation du canal et des circonstances variables et accidentelles qui sont dans le cas d'occasionner le chômage de l'usine, il n'est possible ni d'évaluer la dépréciation définitive qui doit résulter pour celle-ci de la construction du canal, ni de déterminer quelle somme pourrait être allouée au requérant pour, à défaut de la compagnie, exécuter dans la rivière des travaux qui soient de nature à diminuer le dommage, travaux qu'au surplus il n'appartiendrait qu'à l'administration d'autoriser;

En ce qui touche les intérêts:

Considérant que les intérêts constituent un accessoire sur lequel il devra être statué en même temps qu'il sera prononcé sur les demandes principales d'indemnité formées par le sieur Boulogne ;

Art. 1. L'arrêté du conseil de préfecture du département de l'Aisne, en date du 12 octobre 1849, est annulé dans la disposition qui règle le montant de l'indemnité due au sieur Boulogne pour chômages de son usine antérieurs au 13 février 1847.

2. La compagnie concessionnaire du canal de jonction de la Sambre à l'Oise et le sieur Boulogne sont renvoyés devant le même conseil de préfecture pour être par lui procédé de nouveau au règlement de l'indemnité due au sieur Boulogne pour lesdits chômages, ladite indemnité évaluée sans qu'il soit tenu compte des changements apportés, depuis le 11 juin 1791, aux ouvrages extérieurs de l'usine sans la permission de l'autorité, et calculée uniquement sur le préjudice que le sieur Boulogne aurait eu à souffrir, si, lors des prises d'eau effectuées par la compagnie concessionnaire, l'usine eût encore été, quant à ses ouvrages extérieurs, dans les conditions hydrauliques où elle se trouvait le 11 juin 1791; dans aucun cas, le montant de l'indemnité ne pourra excéder celui du dommage éprouvé réellement et de fait par le sieur Boulogne.

3. La requête de la compagnie concessionnaire du canal de jonction de la Sambre à l'Oise est rejetée dans le surplus de ses conclusions. La requête du sieur Boulogne est également rejetée.

4. Les dépens sont compensés entre les parties.

Annales des P. et Ch. Lois, DÉCRETS. TOME II.

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