Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE IX.

NAPOLÉON, vainqueur de l'Europe, ne pouvait supporter la pensée qu'il y eût dans le monde un homme plus puissant que lui, et que la force de ses armes pût venir se briser contre un vieillard. Il avait longtemps caressé l'idée d'égaler Charlemagne; mais ses succès avaient enflé son orgueil, il voulait s'élancer au delà : « Moi, disait-il à M. de Fontanes, je ne suis pas né à temps; voyez Alexandre, il a pu se dire le fils de Jupiter, sans être contredit. Moi, je trouve dans mon siècle un prêtre plus puissant que moi, car il règne sur les esprits, et je ne règne que sur la ma

tière. >>

Les actes les plus significatifs vinrent bientôt témoigner de l'humeur et de l'hostilité du guerrier vainqueur. Le cardinal

Fesch fut remplacé par M. Alquier, ambassadeur de Naples; les principautés de

Bénévent et de Ponte-Corvo furent données, sans avertissement préalable : l'une à M. de Talleyrand, l'autre au général Bernadotte; la reconnaissance de Joseph Bonaparte, comme roi de Naples, fut demandée avec hauteur, et les exigences se multipliaient avec tant d'obstination, que le saint Père répondit enfin au nouvel ambassadeur: « Tous les points importants de nos états sont successivement occupés par les troupes de l'empereur, que nous ne pouvons plus faire subsister, même en mettant de nouveaux impôts. Nous vous prévenons que, si l'on veut s'emparer de Rome, nous refuserons l'entrée du château Saint-Ange. Nous ne ferons aucune résistance, mais vos soldats devront briser les portes à coups de canon. L'Europe verra comme on nous traite, et nous aurons du moins prouvé que nous avons agi conformément à notre honneur et à notre conscience. Si l'on nous ôte la vie, la tombe nous honorera, et nous serons justifié aux yeux de Dieu et dans la mémoire des hommes. >>

Et dans une autre occasion : « Sa Majesté peut, quand elle le voudra, exécuter ses menaces, et nous enlever ce que nous possédons. Nous sommes résigné à tout, et prêt, si elle le veut, à nous retirer dans un couvent, ou dans les catacombes de Rome, à l'exemple des premiers successeurs de saint Pierre. »

Bientôt, des menaces on en vint aux effets. Napoléon ordonna d'occuper Rome, en déclarant que l'armée allait à Naples. Les troupes entrèrent le 2 février. Le commandant du fort Saint-Ange remit au général Miollis une protestation contre l'occupation de cette citadelle. Le 3, Sa Sainteté reçut M. Alquier et le général Miollis. Le pape leur déclara que tant que les troupes seraient à Rome, il se considérerait comme prisonnier, et qu'aucune négociation n'était plus possible. Le 8, le pape consentit à voir l'état-major : « Nous aimons toujours les Français, dit-il; quelque douloureuses que soient les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, nous sommes sensibles à la démarche que vous faites auprès de nous. Vous êtes célèbres dans toute l'Europe, par votre cou

rage, et nous devons rendre justice aux soins que vous mettez à faire observer une discipline exacte par les soldats que

yous commandez. >>

Pie VII ayant cessé toutes ses promenades au dehors, le corps diplomatique chercha à lui faire adopter un autre genre de vie. Le pape répondit avec obligeance qu'il le remerciait de cet intérêt, mais qu'il ne sortirait plus du palais de MonteCavallo, tant qu'il y aurait une armée étrangère dans Rome.

L'ambassadeur français reçut l'ordre de se retirer, et le général Miollis demeura maître de la police du pays.

Le 21 avril, un piquet de soldats enleva militairement le gouverneur de Rome, monsignor Cavalchini. Le saint Père avait, pour le bien de la paix, changé son premier ministre. Le cardinal Consalvi avait été remplacé par le cardinal Tassoni, puis

par les cardinaux Doria, Gabrielli et Pacca. Les Français trouvaient toujours des motifs pour demander le renvoi des ministres, et l'on vint notifier un ordre de départ au cardinal Pacca, sous prétexte

qu'il paraissait contraire aux enrôlements faits par les Français. Le saint Père en fut instruit, et il se rendit aussitôt dans les appartements de son ministre; il lui ordonna de ne pas obtempérer à l'ordre qu'on lui signifiait; puis, se tournant vers l'officier: « Déclarez au général qui vous envoie, dit-il avec une vivacité qui ne lui était pas ordinaire, qu'il est temps de mettre un terme aux outrages et aux insultes qu'il nous fait, quoique se disant encore catholique ; que je comprends bien où tendent ces violences; qu'on veut m'enlever un à un tous mes ministres, pour empêcher l'exercice de mon devoir apostolique et des droits de ma souveraineté temporelle.» Puis il ordonna au cardinal Pacca de le suivre, pour qu'il devienne le compagnon de sa prison. « Si le général veut exécuter le projet de vous arracher de mes côtés, il devra briser violemment les portes et faire pénétrer la force jusqu'à moi. >>

Alors le pape prit son ministre par la main, en disant : « Monsieur le cardinal, allons! » Et par le grand escalier, au milieu des serviteurs pontificaux qui l'applau

« PreviousContinue »