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CHAPITRE XI.

LE

Le voyage du pape jusqu'à Alexandrie

dura sept jours, du 9 au 15 juillet. Un matin, dans les premières journées, des paysans s'étaient rassemblés autour de la voiture, et demandaient la bénédiction : le commandant se vit obligé de s'arrêter et de permettre au saint Père de les bénir.

Immédiatement après cette courte et touchante action, le pape supplia un de ceux qui étaient encore à genoux, de lui apporter un peu d'eau fraîche; la foule se leva à la fois; les uns coururent aux chevaux pour les arrêter, les autres se mirent en avant des gendarmes, un grand nombre se précipita dans les cabanes en faisant entendre des cris d'empressement et de joie. On offrit à Sa Sainteté toutes sortes de rafraîchissements. Il fallut en prendre de

toutes les mains qui en présentèrent, ou au moins toucher tout ce qu'on n'acceptait pas. Les femmes forçaient les hommes de leur céder la place. Chacun criait : « Moi, moi, très-saint Père, encore moi! » — « De tous!» répondait notre pieux pontife, le visage baigné de larmes.

En jetant dans la voiture les plus beaux fruits, un des paysans, par ces deux seuls mots énergiques et terribles Voulez-vous? dites! proposa au pape de repousser les soldats et de le délivrer. Le pape, avec un véritable accent de tendresse, de supplications et de prière, demanda qu'on ne fît aucun acte de résistance, et il se livra de nouveau à son gardien, qui se remit en route dans la direction de Gênes.

Un peu plus loin, le pape se trouva séparé de ses bagages et accablé par la chaleur; il demanda à emprunter une chemise quelconque. Un paysan lui en offrit une sur-le-champ; puis, en baisant avec transport la main qui le bénissait, il détacha de la manche du pape une épingle qu'il emporta comme un riche gage de ce prêt.

Arrivé à trois milles de Gênes, près d'une maison de campagne appelée Castagna,

appartenant, disait-on, à la famille Spinola, le commandant ordonna de s'arrêter, quoiqu'il ne fût que midi. Quelque temps après, arriva un autre commandant de gendarmerie, nommé Boisard, destiné à remplacer M. Mariotti. Avec lui vinrent deux litières. On plaça dans l'une le pape, dans l'autre monsignor Doria; le reste de la suite eut ordre de marcher à pied. On s'approcha ainsi du rivage de la mer; là, on monta à bord d'une felouque, on rama pendant plusieurs heures, et l'on se trouva de l'autre côté de Gênes, à Saint-Pierre d'Aréna, vers l'aube du jour. Alors on s'engagea dans la route de la Bocchetta, de Novi, pour arriver à Alexandrie, où le pape fut déposé dans la casa Castellani, dont les possesseurs prodiguèrent, à un hôte si illustre, les soins les plus délicats. Une sorte de fièvre nerveuse convulsive, dont Pie VII avait été attaqué depuis son arrestation, commençait à diminuer.

Après trois jours, le douloureux cortége fut dirigé sur la route de Mondovi. Dans cette ville, l'empressement du peuple prit un caractère plus prononcé les ordres religieux vinrent processionnellement au

devant du Pontife et l'escortèrent. Les Piémontais comptaient les gendarmes d'un coup-d'œil, puis semblaient proposer, sous toutes les formes de signes et de langage, d'opérer la délivrance de Sa Sainteté. Plus on approchait de la France, plus l'enthousiasme augmentait.

Au premier village français, les autorités voisines, sous prétexte de veiller au bon ordre, cherchaient à s'approcher plus près du saint Père, et c'était pour couvrir sa main de baisers, le consoler et le plaindre. Pie VII disait : « Dieu pourrait-il nous ordonner de paraître insensible à ces marques d'affection? »

La route était couverte de monde accouru des pays voisins, et la foule allait croissant à mesure qu'on approchait de Grenoble. C'était un spectacle touchant de voir ce bon peuple se mettre à genoux d'aussi loin qu'il apercevait la voiture, et attendre ainsi le passage du pape pour recevoir sa bénédiction. Plusieurs l'accompagnaient en courant, et de jeunes personnes jetaient des fleurs dans la voiture pour que le saint Père daignât les bénir. Elles lui témoignaient hautement leurs sentiments de res

pect et de vénération, et une d'entre elles criait en pleurant : « Que vous avez l'air maigri, saint Père! Ah! ce sont les grandes afflictions qu'on vous donne.... » Et lors-

que le pape étendait la main pour les bénir, elles s'élançaient pour la baiser, quoique la voiture courût très-vite, au risque d'être écrasées par les roues ou foulées par les chevaux des gendarmes. En entrant dans la ville, le saint Père put voir les fenêtres garnies de spectateurs et la rue encombrée de peuple qui s'agenouillait en demandant la bénédiction. On peut dire ici de Pie vi ce que quelques années auparavant on avait dit de son prédécesseur, que son entrée dans Grenoble n'était pas celle d'un prisonnier conduit par la force au lieu de sa destination, mais celle du meilleur des pères qui, après une longue absence, revient au sein d'une famille chérie qui lui prodigue les marques les plus touchantes de son amour et de son respect.

Là, il allait se passer une de ces scènes historiques qui frappent l'esprit des peuples. Là, les deux seules résistances que Napoléon trouvât sur le continent, le saint-siége et l'Espagne, devaient en quelque sorte

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