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et l'interpellant, s'écria : « Il a raison; les protestants n'ont rien de beau. >>

A un autre entretien, tout en ne paraissant porter attention qu'aux traits de l'impératrice, Canova parla tout-à-coup du saint Père : les premiers mots qui échappèrent au Vénitien furent si forts qu'il craignit un moment d'avoir commis une imprudence impardonnable; mais le sourcil de Napoléon n'avait pas annoncé l'orage; il écoutait avec attention ces reproches qui, quoique énergiques, et tendant évidemment à un but direct, étaient articulés avec un accent poli et respectueux. L'impératrice regardait Canova avec une surprise mêlée d'une satisfaction contenue. Alors plus encouragé, il ne s'était pas interrompu un instant; il se persuadait que l'âme de l'empereur ne devait pas être tyrannique, et qu'il était gâté par des adulateurs qui lui cachaient la vérité.

« Mais, sire, dit-il tout-à-coup, pourquoi Votre Mejesté ne se réconcilie-t-elle pas en quelque manière avec le pape? >>

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>> Parce que les prêtres, monsieur, veulent commander partout, et être maîtres de tout, comme Grégoire VII.

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Certainement, si les papes, sire,

avaient possédé l'audace de Votre Majesté, ils ont eu de beaux moments pour devenir maîtres de l'Italie.

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» — C'est cela qu'il faut, monsieur, dit Napoléon en touchant son épée, c'est cela qu'il faut avoir, il faut l'épée.

» → Non pas l'épée seulement, mais avec elle le lituus (bâton recourbé que portaient les augures). Enfin, sire, puisque vous êtes arrivé à cette grandeur par l'épée, ne permettez pas que nos maux s'accroissent. Je vous le dis, si vous ne soutenez Rome, elle devient ce qu'elle était lorsque les papes habitaient Avignon. Malgré l'incroyable quantité de ses aqueducs et de ses fontaines, on manqua d'eau, les conduits se rompirent, il fallut boire le limon jaune du Tibre; Rome était désert. >>

L'empereur parut vivement ému, et, frappé de ce fait, il dit avec force : « Mais on m'oppose des résistances! Eh quoi! je suis le maître de la France, de toute l'Italie et de trois grandes parties de l'Allemagne; je suis le successeur de Charlemagne ! Si les papes d'aujourd'hui avaient été comme les papes d'autrefois, tout serait accom

modé. Vos Vénitiens, à vous-même, se sont brouillés avec les papes. »

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Non pas au point où en est Votre

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Majesté. » «Mais, en Italie, le pape est tout Allemand, » et, en disant ces mots, Napoléon regarda l'impératrice. « Je puis assurer, reprit-elle, que quand j'étais en Allemagne, on disait que le pape élait tout Français. »

Napoléon continua : « Il n'a voulu chasser ni les Russes, ni les Anglais, ni les Suédois, ni les Sardes, de ses états; voilà pourquoi nous l'avons brisé. »

Le 5 novembre, Napoléon, avant de congédier Canova, désira lui donner une idée de sa puissance, afin de lui apprendre en quelque sorte pourquoi il ne devait jamais aller en arrière..

« Moi, monsieur, j'ai soixante millions de sujets, huit à neuf cent mille soldats, cent mille chevaux. Les Romains eux-mêmes n'ont jamais eu tant de forces. J'ai livré quarante batailles; à celle de Wagram, j'ai tiré cent mille coups de canon, et cette dame-là, ajouta-t-il en se tournant vers l'impératrice, cette dame-là, qui était

alors archiduchesse d'Autriche, voulait

ma mort. »>

« — C'est bien vrai, reprit Marie-Louise. » Canova avait dit tout ce que pouvait dire un chrétien courageux, et il repartit pour Rome, en refusant la place de membre du sénat à Paris.

CHAPITRE XIII.

BIENTÔT l'empereur, rebelle aux inspirations d'une âme si souvent élevée, sacrifiant son grand sens à un insatiable orgueil, et destiné à être toujours asservi aux mauvais conseils, fit publier une circulaire qui convoquait les évêques de l'empire et ceux du royaume italique en concile national. Cette circulaire, quoique d'un ton plus adouci que celui de la notification de Savone, était encore conçue dans une sorte de style soldatesque.

L'assemblée élut pour président le cardinal Fesch. On avait les yeux attentivement fixés sur lui, et il ne trompa pas l'attente des Pères rassemblés en concile. Il prononça d'abord à haute voix le serment prescrit par Ila bulle de Pie iv, du mois de novembre 1564, et commençant par ces

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