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LA CATHÉDRALE D'AUXERRE.

I.

Des retraites ignorées et presque inaccessibles, comme de profondes carrières, des clairières au centre des forêts, telles furent les premières. églises du christianisme. C'est là qu'aux temps de la persécution se célébraient clandestinement les mystères de la religion nouvelle. Plus tard, lorsque Constantin l'eut fait asseoir avec lui sur le trône, si elle chassa violemment les dieux du paganisme de leurs temples, ce ne fut guère pour s'y installer à leur place. Le zèle des fidèles, rejetait comme des lieux souillés, les asiles des fausses divinités et les vouait à la destruction. Au culte nouveau, il fallait de nouveaux temples et une architecture nouvelle, qui exprimat ses tendances mystérieuses et mélancoliques. De là le stile des églises du cinquième au douzième siècle, emprunté à celui des basiliques romaines, qui n'étaient autre chose que des palais de justice et des bourses de commerce. La voûte et le plein-ceintre triomphèrent partout de la rotonde, du plafond et de la ligne droite. La voûte elle-même s'abaissa, les ceintres s'écrasèrent dans ce goût nouveau, qui, dans sa massive pesanteur et sa sévère sobriété d'ornements, ne manquait cependant pas de majesté. C'est ce genre de stile qu'en Italie on appelle lombard, en Angleterre saxon, et ailleurs, roman ou byzantin.

On ne cite plus en France qu'un bien petit nombre de monuments de ce genre d'architecture. Les débris en deviennent chaque jour de plus en plus rares. Nous en possédions à Auxerre un reste précieux avant 1820. C'était le portail de l'ancien oratoire de Saint-Maurice, qui depuis dix siècles que l'oratoire lui-même avait été ruiné, était demeuré debout, comme un vestige sacré destiné à retracer aux yeux de la postérité, ce que, dans le langage d'aujourd'hui on appellerait, la pensée religieuse et artistique du cinquième siècle. Cet édifice était, selon la tradition conservée par un moine du neuvième siècle (1), l'œuvre de la munificence et de la piété de notre grand évêque saint Germain, qui l'avait bâti au temps où Attila ravageait les Gaules et l'Italie. On y voyait, dans un bas-relief en médaillon, non le buste de César, comme le rapportait la croyance populaire, mais celui du martyr Saint-Maurice, le chef de

(1) Heric. De mirac. sancti Germani. cap, 25.

la légion Thébaine. Ce monument vénérable qui formait l'avant-façade de l'abbaye de Saint-Germain, et dont la solidité pouvait encore braver bien des siècles, a disparu vers 1820. L'administration de cette époque a jugé à propos de le démolir. Cet acte de vandalisme a été commis sous prétexte d'élargir une rue où personne ne passe, et pour montrer de plus loin le maigre et insignifiant pignon dont on a pauvrement couvert les cicatrices de la vieille et jadis splendide église de Saint-Germain, ainsi que l'entablement d'ordre toscan dont on a affublé la porte nouvelle de ce monastère gothique.

Vers le douzième siècle une révolution s'opéra dans la structure des édifices religieux. Les Arabes qui avaient conquis la Sicile et l'Espagne, et dont la civilisation devançait de beaucoup celle de l'Europe, avaient apporté dans ces deux contrées leur architecture orientale, les domes élancés, les minarets aigus et les gracieuses ogives dont le goût ne faisait que de naître.

Ce n'est point à dire que l'ogive fut une création nouvelle. On cite des édifices d'une très-haute antiquité où le système de l'arc aigu a été employé (1). C'est l'idée la plus simple. L'art a commencé par elle, et puis il l'a laissée retomber dans l'oubli.

Mais ce système qu'avait abandonné depuis long-temps l'architecture grecque et romaine, était repris dès le neuvième siècle par les Arabes. Et deux siècles après, les monuments qu'ils avaient construits en Sicile et surtout à Palerme, comme plus tard ceux de Cordoue et de Grenade, montraient à l'occident quelle source intarissable d'effets grandioses et gracieux à la fois pouvait découler de ce genre merveilleux (2).

A cette époque, les croisades, en multipliant les rapports entre l'Europe et l'Orient, hâtèrent le mouvement intellectuel. Les arts ne tardèrent point à s'ébranler sous cet heureux contact avec une civilisation plus avancée, et l'architecture subit tout d'abord une immense transformation. La forme byzantine se retrempa de la manière la plus heureuse dans le style oriental. Les lourds portails s'alongèrent en arcs aigus. Les voûtes pesantes s'élancérent à d'immenses hauteurs. Les colonnes massives se fuselèrent et se réunirent en faisceaux, et partout au plein ceintre suc

(1) Tels sont, les galeries qui forment la partie postérieure du Ramesseum à Thèbes, le tombeau ou trésor d'Atrée à Mycènes, la porte pratiquée dans les murs Cyclopéens de la ville d'Arpino, la voûte d'un aqueduc à Tusculum, une chambre sépulcrale à Tarquinies, et les Nuraghes en Sardaigne. Voyez Hittorf et Zanth, Architecture antique et moderne de la Sicile.

(2) On cite notamment à Palerme, le bâtiment de la Cuba, le Palais-Royal, le château de la Zisa, et l'ancienne mosquée du même nom. Voyez Hittorf et Zanth, déjà cités, et Caumont, Cours d'antiquités monumentales, IV partie.

céda l'ogive sarrazine, perfectionnée, embellie et étendue dans ses applications par le génie particulier des artistes de l'occident. On peut suivre les traces de ces modifications fondamentales dans nos monuments Auxerrois. Le clocher de Saint-Germain est tout en plein ceintre, c'est une construction du commencement du onzième siècle. Dans celui de Saint-Eusèbe qui, selon toute apparence, date de la fin du même siècle, ou au plus tard des premières années du siècle suivant, l'ogive n'a pas encore complètement détrôné le plein ceintre, mais elle a fait alliance avec lui et s'est placée à ses côtés. C'est un édifice de transition. A Saint-Etienne, qui n'est venu au monde qu'un peu plus tard, elle règne en souveraine absolue et le plein ceintre a complètement disparu.

C'est dans les premières années du treizième siècle que fut conçu le projet de cette noble Cathédrale de Saint-Etienne d'Auxerre.

Lorsque dans notre siècle qui se targue des prodiges opérés par l'esprit d'association, on vient à tourner ses regards vers ces magnifiques enfantements de l'art religieux du moyen âge, vers ces somptueuses églises que l'on trouve disséminées avec profusion jusque dans les provinces les plus reculées, jusque dans les villes les moins populeuses, on se demande par quels miracles de richesse et d'industrie, à une époque où l'on ne comprenait guère notre centralisation moderne, où l'on était encore loin de deviner un budget de l'état, des cités de troisième ou quatrième ordre ont pu élever de tels monuments. C'est que ce n'était l'ouvrage, ni de la richesse, ni de la centralisation, ni de l'industrie, mais d'une puissance que nous ne connaissons plus guère que de nom, la foi. A la voix des Evêques, des peuples entiers se réunissaient pour créer ces miraculeuses cathédrales. Les rois y contribuaient par leurs dons, les papes par leurs bulles, les poëtes par leurs chants, les prêtres par leurs exhortations si puissantes alors. Ce n'était pas l'œuvre d'une seule communauté, d'une seule province; c'était une œuvre qui intéressait toute la chrétienté, et pour laquelle on ne calculait ni l'or ni le temps. Les aumônes des fidèles accouraient de tout le royaume, et parfois des extrémités de l'Europe, pour cette fondation sacrée. Les pélerins venaient jusque des contrées les plus éloignées, gagner les indulgences promises en se vouant, pendant des mois entiers, au saint travail et des associations d'ouvriers et d'artistes exaltés à la fois par l'amour de l'art et la religion, dévouaient, avec une abnégation que nous ne pouvons plus comprendre, leur existence entière à l'accroissement et l'embellissement de ces majestueux édifices avec lesquels leur âme s'était identifiée. Les générations se succédaient, les incendies, les désastres de toute nature désolaient la contrée, les guerres bouleversaient le sol, sans que la pensée commune, la grande pensée du pays en souffrit aucune atteinte. Parfois, sans doute, on était contraint, par le

malheur des temps, d'interrompre l'œuvre; mais l'orage une fois calmé, et le ciel redevenu serein, on se remettait à l'ouvrage. Les guerres du protestantisme ont pu seules lasser l'inébranlable persévérance de cette pieuse ardeur de construire. Presque toutes les églises qui n'étaient point achevées au milieu du 16° siècle, sont restées depuis dans le même état d'inachèvement. C'est qu'à la fin des trente ans de cette horrible guerre, le catholicisme n'avait vaincu qu'en apparence. Le zèle ardent, le zèle qui enfante les grandes choses, était mort, et à sa place était venue déjà l'indifférence dont on se plaint aujourd'hui, et qui n'est un produit du siècle actuel, qu'aux yeux de ceux qui s'en prennent à l'extérieur de la société, au lieu de chercher dans ses œuvres la révélation de sa pensée intime.

Telle fut l'histoire de notre cathédrale. Commencée dans les premières années du 13o siecle, on y travaillait encore plus de 300 ans après, en 1843, quand déjà la guerre du Luthéranisme était allumée en Allemagne, d'où, quelques années après, elle devait gagner la France.

La première pierre en fut posée en 1216 par l'évêque Guillaume de Seignelay. C'était un prélat d'un esprit ardent, homme d'action', grand défenseur de ses droits, grand envahisseur des droits d'autrui; du reste, ami des arts et même du progrès, dans le sens qu'on pouvait attacher à ce mot au treizième siècle.

Il s'était fait connaître, quand il n'était encore que doyen du chapitre, par l'énergie de son opposition contre le vieil évêque Hugues de Noyers, homme de tête aussi, soldat au moins autant que prêtre, qui aimait la guerre de passion, lisait Végèce plus souvent que les Pères (1), et à qui son zèle, plus que bouillant pour le maintien de la foi, avait mérité le surnom de Marteau des hérétiques.

Tout inflexible qu'il était, et bien qu'il eût, en plus d'une circonstance, humilié l'orgueil des comtes d'Auxerre, le vieil évêque fut forcé de plier devant le jeune doyen. Un jour que pour rebâtir son château de Régennes il avait abattu des arbres dans une forêt du chapitre, Guillaume le traduisit devant le métropolitain; et il fallut, bon gré, malgré, qu'il les rapportât devant le parvis de Saint-Etienne.

Une autre fois il s'en prit au comte d'Auxerre, au sujet de je ne sais quelle injure, et le contraignit à venir, en plein chapitre, faire amende honorable aux chanoines.

Sa conduite, quand il fut évêque, ne démentit pas ce début. A peine fut-il sacré, que le jour même, et sans attendre au lendemain, il monta

(1) Militum gaudebat stipari frequentiâ.... undè et Vegetium Renatum frequenter relegerat. (Gesta pontif. autissiodorens. cap. 58.)

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