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favent pas ? C'eft cependant ce qui faute aux yeux, dès qu'on vous voit; & malgré cela vous avez toujours la manie de vouloir vous montrer: ainfi ne nous querellons point mon père ; il n'eft pas néceffaire d'aller rompre la tête à perfonne de vos plaintes : je vais donner ordre qu'on vous conduife dès ce moment à ma campagne; vous y ferez le maître & dans votre centre, de tems en tems j'irai vous voir, & rien ne vous manquera. Adieu, je vous quitte; vous allez partir, & moi je vais fortir pour mes affaires.

C'est ainsi, Monfieur, que mon fils fe fépara d'avec moi il me quitta fans m'embraffer, fans qu'il lui échappât le moindre mot de douceur, que celui de père, que fa bouche prononçoit, & que fon cœur ne fentoit pas; il fe retira fans être touché ni de l'abattement où il me laiffoit, ni du trifte filence que je gardai, ni des larmes qu'il vit couler de mes yeux enfuite on vint emporter mes hardes, on me dit de defcendre, & je fus mis prefque fans fentiment dans une chaife qui me conduifit à cette campagne, où je languis depuis près de deux ans où mon

fils n'eft point. venu, comme il me l'avoit promis; enfin où je vis dans une privation entière de toute confolation, & fouvent même de toutes les chofes néceffaires à la vie.

Lettre d'une Femme vertueuse à un Homme qu'elle adore & qu'elle prend la courageufe réfolution de ne plus voir *.

Vous m'aimez, Monfieur, & quand vous ne me l'auriez pas tant dit de fois, je n'en ferois pas moins perfuadée. Oui, vous m'aimez, & je le favois même avant que vous me l'euffiez avoué. Je vous examinois quelquefois fans le vouloir; & je vous trouvois comme il me fembloit qu'on devoit être quand on aimoit. Hélas! je ne favois pas encore que je fouhaitois de vous trouver comme vous étiez. Jufte ciel ! moi qui n'avois jamais eu d'amour, comment pénétrois-je celui que vous me cachiez? Comment étois je fûre que je ne me trompois pas ? Et d'où vient que je ne m'appercevois pas que je vous aimois moi-même ? Le voilà cet aveu que vous demandiez tant: voilà ce mot fi important à votre bonheur, & que je n'osai prononcer dans votre dernier entretien. Hélas! vous n'en aviez pas besoin non plus, & j'étois folle de n'ofer vous dire ce que vous voyiez fi clairement. Pour un aveu que vous refusoit ma bouche, combien ma complaifance pour vos difcours vous en prodiguoit-elle ? Souvenez-vous. de vos careffes. Il eft vrai qu'elles étoient.innocentes, mais je m'en défendois mal. Hé! n'étoit-ce pas vous les rendre? N'importe, foyez content, je vous aime; & tout inutile qu'il eft de vous le dire, je m'en étois fait une honte & je vous la facrifie; je me flattois de n'avoir

* L'Amant fit une réponse au gré de la vertu de la Dame, & partit fur le champ pour la Province.

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pas encore violé mon devoir, tant que cet aveu reftoit à faire. Malheureufe illufion! Qu'étoit devenue ma raifon ? J'aimois, & je ne m'en embarraffois pas. Je regardois cela comme rien : je me croyois tonjours vertueufe, feulement pour n'avoir pas dit que je ne l'étois plus. Je dois ma tendreffe à mon mari; cependant, au moment où je parle, elle eft toute à vous. Jufte ciel pourquoi faut-il que ce foit un crime? Que dis-je ? Cruel que vous êtes ! Voyez le défordre que vous avez porté dans mon cœur voyez ce que je deviendrois, je continuois à vous voir. Je ne vous cele rien; car enfin dans l'état où je fuis, j'ai besoin de vous parler fans retenue; ma foibleffe a befoin de fe répandre; c'eft un crime encore mais il m'eft néceflaire ; je ferois trop exposée si je voulois combattre tous les mouvemens qui me viennent. Je vous découvre mon état : cette fatisfaction coupable que je me donne, rendra peut-être ma paffion moins pefante. Ma paffion juftes Dieux! n'êtes-vous point étonné vousmême de ce que vous lifez? Vous qui n'ofiez me déclarer votre amour, qui m'en avez fait l'aveu avec tant de crainte; qui m'en entreteniez avec tant de refpe&t; qui ne me demandiez le mien qu'en tremblant, me reconnoiffezvous; je n'avois rien à me reprocher; j'avois lieu d'être contente de moi : vous m'eftimiez, je m'eftimois moi-même je vivois en repos & dans l'innocence. Où font tous ces biens-là ? Vous m'aimez, & vous me les avez ôtés ; & vous voulez que je vous aime; & vous dites que vous feriez heureux fi je vous aimois ! Quel étrange bonheur vous propofez-vous ! Mes égaremens & la perte de ma vertu vous rẹn

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dront donc heureux ! & vous appellez cela m'aimer! voilà les fentimens que vous voulez que je récompenfe. Ah! jufle ciel! qu'eft- ce que c'eft qu'un amant? La haine du plus mortel ennemi me feroit-elle autant de mal que vous m'en fouhaitez? Hé bien! je fuis dans le trouble, dans la douleur, dans les larmes. Mon mari m'eft presque odieux; ce qui me refte de vertu m'est presque infupportable. Je fuis digne de compaffion; je vous en ferai fans doute à vous-même en est-ce affez? Etes-vous heureux? Non, vous vous plaindrez encore; mon malheur n'est pas au point où vous le voudriez : vous afpirez à me rendre encore plus méprifable, & vous avez raison. Je fuis bien digne de l'outrage que me font vos deffeins ; mais que fais-je ? D'où vient vous rendre compte de ce que je fens ? D'où vient que j'entre avec tant d'abondance dans un détail & honteux ? D'où vient qu'il m'entraîne ?11 eft pourtant vrai que je me repens fincèrement d'avoir bleffé mon devoir. Hélas! eft-il bien vrai que je m'en repente? Eh! comment m'en aflurer ? Puis-je rien démêler dans mon cœur, je veux me chercher & je me perds. Comment avec tant d'amour puis-je favoir fi je me repens d'aimer? Je renonce à vous, & je vous regrette: je veux vous ôter toute espérance, & j'ai peur que vous croyięz que je ne vous aime point; enfin, de quelque côté que je me tourne, tout eft péril pour moi; & la confufion où je fuis de ma foibleffe, & les efforts que je fais pour la combattre, & la réfolution de ne vous plus voir, tout eft empoisonné, tout devient amour dès que j'y fonge. Oh! ciel! que je fuis égarée! Qu'une femme à ma place eft à plaindre

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d'avoir pris de l'amour! Quelle punition pour
elle que le plaifir qu'il lui fait! Grace au ciel
j'y renonce à ce plaifir; je le détefte; je vais
redevenir vertueufe; je retrouverai le plaifir
que j'avois à l'être. Oui, Monsieur, mon parti
eft pris, je ne vous verrai plus. Il ne falloit
que deux mots pour vous l'écrire, & je n'avois
pas deffein de vous en marquer davantage :
mais je l'ai tenté inutilement dans quatre lettres
que j'ai toutes rebutées. Voici la moins hon→
teufe pour moi que je vous envoie c'eft pref
que vous les envoyer toutes, que vous avouer
que je les ai écrites: mais après ce qui m'eft
échappé dans celle que vous lifez, je ne puis
guère me faire de nouveaux affronts. D'ail-
leurs, puifque je ne vous verrai plus, & que je
rentre dans mon devoir, les peines que je vais
fouffrir fatisferont bien à mes fautes. Mais, ne
finirai-je jamais ?Ce que je dis ne reflemble
point à ce que je veux dire. Je pense que je
ne veux plus aimer, & toujours je répéte que",
j'aime. N'importe, n'espérez rien d'un fenti-baki mi
ment involontaire ce n'eft plus moi qui aime;
je ne fuis plus coupable; peut-être je ne l'ai

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jamais été ; c'eft vous qui l'étiez, c'eft la fois dime. bleffe que vous m'aviez donné, c'est mon cœur qui ne dépendoit plus de moi. Aujourd'hui, je romps avec ce cœur lâche, avec cette foibleffe, avec mon féducteur; enfin avec vous: vous n'en ferez pas perfuadé, & vous allez prendre ce que je dis pour de l'emportement & du trouble: vous vous trompez, ma résolution ne vient pas d'être formée; vous favez que ma mère demeure ici; vous connoissez fon caractère. Hier au matin je lui confiai ma Situation; elle en frémit autant qu'il m'étoit

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