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plus fouvent qui nous rendons tendres, pour orner nos paffions; mais c'est la nature, qui nous rend amoureux; nous tenons d'elle l'utile que nous enjolivons de l'honnête, j'appelle ainfi ce fentiment qu'on n'enjolive pourtant plus guère; la mode en eft affez paffée dans le tems où j'écris. Quelle différence entre une perfonne qu'on aime, parce qu'on ne fauroit faire autrement, parce qu'on eft né avec un penchant naturel & invincible pour elle; & une femme à qui on ne s'arrête que parce qu'il faut faire quelque chofe; que parce que c'eft une de ces coquettes qui s'avifent de s'adresser à vous, qui ne fauroient fe paffer de vous, à qui on parle d'amour fans. qu'on les aime; qui s'imaginent elles-mêmes vous aimer feulement parce qu'elles vous le difent; & qui s'engagent avec vous par oifiveté, par caprice, par vanité, par étourderie; & par un goût paffager, qui ne mérite pas le nom d'amour! Quelle différence encore une fois, entre une auffi fade, auffi languiffante, auffi indigne liaison ; & la vérité des fentimens qu'un amant tendre & délicat, a pour une femme vertueufe & fenfible! l'un, n'eft qu'un fimple amusement; l'autre, une inclination férieufe & profonde.

СНАРІTRE X.

Penfées diverfes.

IL faut avoir des vertus pour s'appercevoir qu'on en manque, ou du moins pour être fâché de n'en avoir point.

Il n'eft point de gens plus extrêmes dans leur excès, que ceux qui l'étoient dans leurs fcrupules: ils vont toujours plus loin que la tentation ne le leur propofoit, elle n'a qu'à se présenter pour être obéie.

Pour peu qu'on foit généreux par foi-même, on ne doit jamais se fouftraire aux bienfaits d'une ame vertueuse.

Le haut rang, dans lequel le ciel fait naître les Rois, ne, les empêche pas d'être quelquefois vaincus; mais il ne leur permet jamais de reconnoître un maître.

C'eft faire une bonne action, que de tenter d'en faire une.

Le plus digne ufage qu'on puiffe faire de fon bonheur, c'eft de s'en fervir à l'avantage des autres. Rien ne donne moins de patience que les trai➡ tés qui en parlent.

C'eft affez d'appercevoir les défauts des autres', pour les avoir bien vus; on a malgré foi de trop bons yeux là-deffus : Il n'y a que le mérite des gens qui a befoin d'être extrêmement confidéré pour être connu ;'on croit toujours s'être trompé quand on a fait que le voir.

Un Savant eft exempt d'admirer les plus grands. génies de fon tems; il tient leur mérite en échec, il leur fait face, il en a bien vu d'autres.

La nature eft trop fage, pour avoir permis que les grands hommes de chaque fiécle, affiftaflent en perfonne à la plénitude des éloges qu'ils méritent, & qu'on pourra leur donner un jour. Il feroit indécent pour eux, & injurieux pour les autres, qu'ils en fuffent témoins.

Nous aimons mieux vanter un étranger, qu'un compatriote un homme abfent, qu'un homme préfent. De deux citoyens illuftres, celui dont on eft le plus voifin, eft celui qu'on loue le plus fobrement.

L'honnête homme eft prefque toujours trifte, prefque toujours fans biens, prefque toujours humilié ; il n'a point d'amis, parce que fon amitié n'eft bonne à rien : on dit de lui, c'est un honnête homme; mais ceux qui le difent, le fuient, le dédaignent, le méprifent, rougiffent même de fe trouver avec lui : & pourquoi? c'eft qu'il n'eft qu'eftimable.

Quand on demande des graces aux grands, & qu'on a le cœur bien placé, on a toujours l'haleine courte.

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Les hommes ne font bons qu'en qualité d'amans c'est la plus jolie chofe du monde que leur cœur, quand l'efpérance les tient en haleine; foumis, refpectueux & galans, pour peu que les femmes foient aimables avec eux. Leur amour propre eft enchanté, il eft fervi délicieusement: on le raffafie de plaifir, folie, fierté, dédain, caprices, impertinences; tout leur réuffit, tout eft raison, tout eft loi. Mais épousent-il l'objet de leur idolâtrie, le charme ceffe où fes bontés commencent. Dès qu'ils font heureux, les ingrats ne méritent plus de l'être.

Un Auteur eft un homme à qui dans fon loifir il prend un envie vague de penfer fur une ou plu

fieurs matieres ; & l'on pourroit appeller cela réfléchir à propos de rien. Ce genre de travail nous a fouvent produit d'excellentes chofes, j'en conviens; mais pour l'ordinaire, on y fent plus de foupleffe d'efprit, que de naïveté & de vérité. Du moins eft il vrai de dire qu'il y a toujours je ne fais quel goût artificiel dans la liaifon des penfées auxquelles on s'excite. Car enfin, le choix de ces pensées eft alors purement arbitraire, & c'est là réfléchir en Auteur: ne feroit-il pas plus curieux de nous voir penser en hommes? En un mot, l'efprit humain, quand le hazard des objets, ou l'occafion l'infpire, ne produiroit-il pas en nous des idées plus fenfibles & moins étrangères, qu'il n'en produit dans cet exercice forcé qu'il le donne en compofant?

Pour moi, ce fut toujours mon fentiment; ainfi je ne fuis point Auteur, & j'aurois été je pense fort embarraffé pour le devenir. Quoi ! donner la torture à fon efprit pour en tirer des réflexions qu'on n'auroit point, fi l'on ne s'avifoit d'y tâcher; cela me paffe: je ne fais point créer, je fais feulement furprendre les penfées que le hazard me fait naître ; & je ferois fâché d'y mettre rien du mien. Je n'examine point fi celle-ci eft plus fine, fi celle-ci l'eft moins; car mon deffein n'eft de penser ni bien ni mal, mais feulement de recueillir fidélement ce qui me vient d'après le tour d'imagination, que me donnent les chofes que je vois ou que j'entends; & c'eft de ce tour d'imagination, ou pour mieux dire, de ce qu'il produit, que je voudrois que les hommes nous rendiffent compte, quand les objets les frappent.

Grands de ce monde, fi les portraits qu'on a faits de vous dans tant de livres, étoient auffi parlans que l'eft le tableau fous lequel vous en

vifage un infortuné que vous repouffez, vous frémiriez des injures dont votre orgueil contrifte, étonne & défefpère la généreuse fierté de l'honnête homme qui a befoin de vous. Ces prestiges de vanité qui vous font oublier qui vous êtes; ces preftiges fe diffiperoient, & la nature foulevée, en dépit de toutes vos chimères, vous feroit fentir, qu'un homme, quel qu'il foit, eft votre semblable. Vous vous amufez dans un Auteur des traits ingénieux qu'il emploie pour vous peindre. Le langage de l'homme en question vous corrigeroit; fon cœur, dans fes gémiffemens, trouveroit la clef du vôtre. Il y auroit dans fes fentimens une convenance infaillible avec les fentimens d'humanité, dont vous êtes encore capables, & qu'interrompent vos illufions.

Dans le mariage pour bien vivre enfemble, il faut que la volonté d'un mari s'accorde avec celle de fa femme, & cela eft difficile ; car de ces deux volontés, il y en a toujours une qui va de travers, & c'eft affez la manière d'aller des volontés d'une femme.

La fotte chofe que l'humanité! qu'elle eft ridicule que de vanité! que de duperies! que de petiteffe ! & tout cela, faute de fincérité de part & d'autre. Si les hommes vouloient fe par. ler franchement, fi on n'étoit point applaudi lorfqu'on s'en fait accroire, infenfiblement l'amour propre fe rebuteroit d'être impertinent, & chacun n'oferoit plus s'évaluer que ce qu'il vaut. Mais depuis que je vis, je n'ai encore vu qu'un homme vrai; & en fait de femme, je n'en connois point de cette espèce.

Un homme né plein d'efprit & de talent; fi le hazard ou fa naiffance l'ont mal placé, c'en

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