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amans, voilà l'écucil de toutes les fageffes. Imaginez-vous qu'il n'a qu'un objet dans la pensée, c'est de se montrer; quand il rit, quand il s'étonne, quand il vous approuve, c'eft qu'il fe montre. Se tait-il, change-t-il de contenance, se tient-il férieux, ce n'eft rien de tout cela qu'il veut faire, c'eft qu'il fe montre. C'eft qu'il vous dit : regardez-moi, remarquez mes geftes & mes attitudes , voyez mes graces dans tout ce que je fais, dans tout ce que je dis. Voyez mon air fin, mon air lefte, mon air cavalier, mon air diffi pé ; en voulez-vous du vif, du fripon, de l'agréablement étourdi? en voilà. Il diroit volontiers à tous les amans: n'eft-il pas vrai que ma figure vous chicane? A leurs maîtreffes: où en feroit votre fidélité, fi je voulois? A l'indifférente : vous n'y tenez point, je vous réveille, n'eft-ce pas ? A la prude: vous me lorgnez en deffous? A la vertueufe vous réfiftez à la tentation de me regarder? A la jeune fille : avouez que votre cœur eft ému ? Il n'y a pas jusqu'à la personne âgée, qui, à ce qu'il croit, ne dife en elle-même en le voyant : quel dommage que je ne fois plus jeune ! Il a parlé d'un mariage qui a pensé fe conclure pour lui, mais que trois ou quatre femmes jaloufes, défefpérées & méchantes, ont trouvé fourdement le fecret de faire manquer; cependant il ne fait pas encore ce qui en arrivera: il n'y a que les parens de la fille qui fe font dédits, mais elle n'eft pas de leur avis. Il fait de bonne part qu'elle eft triste, qu'elle eft changée, il eft même queftion de pleurs; elle ne l'a pourtant vu que deux fois, & ce que je vous dis-là, je vous le rends un peu plus clairement qu'il ne l'a conté. Un fat fe doute toujours un peu qu'il l'eft, & comme il a peur qu'on ne s'en doute auffi, il biaife, il eft fat le

plus modeftement qu'il lui eft poffible; & c'eft juftement cette modeftie-là qui rend fa fatuité fenfible.

Portrait d'une nouvelle Mariée.

ULIE peut avoir environ trente ans. Elle a un de ces vifages d'un blanc fade, qui font une phyfionomie longue & fotte. Cette nouvelle épou fée, telle que je vous la dépeins avec ce visage, qui, à dix ans, étoit antique, prend des airs enfantins dans la converfation, femblables à ceux d'une petite fille qui vient de fortir de deffous l'aile de père & mère : figurez-vous qu'elle eft toute étonnée de la nouveauté de fon état ; eile n'a point de contenance affurée, fes innocens appas font encore tous confus de fon aventure; elle n'eft pas encore bien fûre qu'il foit honnête d'avoir un mari; elle baiffe les yeux quand on la regarde; elle ne croit pas qu'il foit permis de parler fi on ne l'interroge. Elle me faifoit tou jours une inclination de tête, en me répondant, comme fi elle m'avoit remercié de la bonté que j'avois de faire comparaison avec une perfonne de fon âge. Elle me traitoit comme une mère, moi qui fuis plus jeune qu'elle.

Portrait d'une Veuve âgée qui veut encore plaire,

ARAMINTE

RAMINTE eft une groffe & grande femme de cinquante-cinq à foixante ans, qui étale glorieufement fon embonpoint & qui prend l'épaiffeur de fes charmes pour de la beauté. Elle eft veuve & fort riche. Je la vis chez une de mes amies, elle avoit auprès d'elle un jeune homme, un cadet qui n'a rien & qui s'épuifoit en platitude pour

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lui faire fa cour. On a parlé du dernier bal de l'Opéra : j'y étois, a-t-elle dit, & j'y trompai mes meilleurs amis ; ils ne me reconnurent point. Vous, Madame, a-t-il repris, vous, n'être pas reconnoiffable; ah! je vous en défie. Je vous reconnus du premier coup d'œil à votre air de tête eh! comment cela, Monfieur ? Oui, Madame, à je ne fais quoi de noble & d'aifé qui ne pouvoit appartenir qu'à vous, & puis vous ôtâtes un gand, & comme, graces au ciel, nous avons une main qui ne reffemble guère à d'autres, en la voyant je vous nommai & cette main fans pair, fi vous l'aviez vue eft affez blanche, mais large, mais charnue, mais bourfouflée, mais courte, & tient au bras le mieux nourri que j'aie vu de ma vie ; je vous en parle favamment, car la groffe Dame au grand air de tête prit long-tems du tabac pour expofer cette main unique qui a de l'étoffe pour quatre, & qui finit par des doigts d'une groffeur & d'une briéveté qui la rendent difforme. Il me parut qu'elle avoit la plus grande envie de plaire, & cette envie fi fingulière à fon âge, répandoit fur toute fa perfonne une dofe de ridiculité qu'elle feule n'apperçut point & qui fit rire tout le monde.

Portrait d'un Homme fuffifant.

DAMIS eft étonné de la nobleffe de fa figure; & compte fur un égal étonnement dans les autres. Je le vis au fortir de l'Opéra, il étoit vain, mais très-férieufement vain & comme chargé de l'obligation de l'être : je l'interprétois. Quand on eft fait comme je fuis penfoit-il apparemment, on laiffe agir à l'aife le fentiment qu'on a de fes avantages en marchant fuperbement. Moi, je

vais mon pas, ma figure eft un fardeau de graces nobles, impofantes & qui demande tout le recueillement de celui qui la porte. Qu'en ditesvous, hommes étonnés ? Qui de vous songe à faire quelque chicane à ce maintien ? Qui de vous n'avouera pas qu'il me fied bien de me rendre juftice? N'eft-il pas vrai que je vous furprends & que la critique eft muette à mon afpec: gare; reculez-vous, vous empêchez le jeu de mes mouvemens, vous ne voyez mon gefte qu'à demi. Place au phénomène de la nature : humiliez vous, figures médiocres ou belles; car c'est tout un, & vous êtes toutes au même rang auprès de la mienne. Je ne dis pas que Damis penfa trèsdiftinctement tout ce que je lui fais penfer, mais tout cela étoit dans fa tête & je ne fais que débrouiller le cahos de fes idées. J'expofe en détail ce qu'il fent en gros; & voilà, pour ainsi dire, la monnoie de fa piéce.

Portrait d'une Femme légère.

CIDALISE le fait remarquer par sa légéreté, son air & fa phyfionomie annoncent je ne sais quoi de fi enjoué, une coquetterie fi folâtre, fi bruyante, qu'on ne peut s'empêcher de dire, en jettant les yeux fur elle: Elle fait la paffion de bien des gens, & fon mari en eft jaloux. Il a toujours peur qu'elle ne vienne elle-même à aimer quelqu'un de ceux qui l'aiment; mais il n'y a rien à craindre, elle est trop folle pour s'attacher. Elle n'acheve jamais ni de vous bien voir, ni de vous entendre, & vous n'avez pas le tems de lui plaire autant qu'il le faudroit pour lui faire impreffion. Pourquoi cela? c'eft qu'une mouche vole & vous croife, de la mouche elle paffe à un miroir qui se présente, de

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là à fa cornette, puis à un ruban, puis à autre chose mais vous la ratraperez ou elle reviendra à vous par diftraction, & vous recommencez ; mais elle n'y est déjà plus, votre habit vous l'a dérobée, & quand vous lui direz qu'elle eft charelle vous répondra que la couleur en eft de bon goût. Elle ne veut plaire à perfonne en particulier, c'est à tout le monde, & ce tout le monde affemblé; voilà fon amant, celui qu'elle écoute & qu'elle aime. Il fixe toutes les vues, il réunit toutes les diftractions: car elle ne le quitte à droite, que pour le reprendre à gauche : ce qu'un côté de l'objet perd avec elle, un autre côté la gagne. Oh! vous avouerez qu'il eft difficile de furprendre une femme qui ne vous prête fes yeux & les oreilles qu'une minute.

Portrait d'un jeune Homme.

ERGASTE eft un jeune homme qui parle beaucoup, & qui s'eftime tant qu'il ne peut s'en taire. Il feroit bien mortifié qu'on le foupçonnât de vouloir fe louer, & pourtant il veut faire fon éloge, de forte que tout fon embarras eft de l'agencer dans ce qu'il dit, de façon qu'il s'y trouve fans qu'il paroiffe qu'il y ait de fa faute mais il manque toujours fon coup, toujours il y a de fa faute. Enfin c'eft de lui que je fais qu'il eft bien fait, qu'il eft beau, qu'il eft adroit, qu'il a plus d'ef prit qu'un autre, qu'il eft couru des femmes ; & peut-être dit-il vrai dans ce dernier article. Je l'en croirois volontiers fur le caractère qu'il m'expose: il eft plein de lui-même, il a du caquet, il fe dit perfécuté de bonnes fortunes, il ment joliment à fon honneur & gloire, Oh! parbleu! voilà des grands avantages avec les femmes :

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