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domeftiques étoient fort éconômes, & malgré qu'elle en eût, l'un corrigeoit l'autre,

J'AI

Portrait de Marianne.

'AI eu un petit minois qui ne m'a pas mal couté de folies, quoiqu'il ne paroiffe guère les avoir méritées à la mine qu'il fait aujourd'hui ; auffi il me fait pitié quand je le regarde,

je ne le regarde qué par hazard; je ne lui fais prefque plus cet honneur-là exprès : mais ma vanité en revanche s'en eft bien donné autrefois je me jouois de toutes les façons de plaire, je favois être plufieurs femmes en une. Quand je voulois avoir un air fripon, j'avois un maintien & une parure qui faifoient mon affaire; le lendemain on me trouvoit avec des graces tendres, enfuite j'étois une beauté modefte, férieufe, nonchalante. Je fixois l'homme le plus volage ; je dupois fon inconftance, parce que tous les jours je lui renouvellois fa maîtreffe, & c'étoit comme s'il en avoit changé.

Quand je fortois toute feule j'étois un peu embarraffée de ma contenance, parce que je m'imaginois qu'il y en avoit une à tenir, & qu'étant jolie & parée, il falloit prendre garde à moi de plus près qu'à l'ordinaire. Je me redreffois, car c'eft par où commence une vanité novice; & autant que je puis m'en reffouvenir, je reffemblois affez à une aimable petite fille toute fraiche fortie d'une éducation de village, & qui fe tient mal, mais dont les graces encore captives ne demandent qu'à fe montrer.

Je ne faifois pas valoir non plus tous les agrémens de mon visage, je laiffois aller le

mien fur la bonne foi, comme vous le difiez

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plaifamment l'autre jour d'une certaine Dame. Malgré cela nombre de paffans me regardèrent beaucoup, & j'en étois plus réjouie que furprife, car je fentois fort bien que je le méritois: & férieufement il y avoit peu de figures comme la mienne; je plaifois au cœur autant qu'aux yeux & mon moindre avantage étoit d'être belle.

Portrait de Mademoifelle Fierville. MADEMOISELLE Fierville étoit une petite

perfonne d'environ quinze ans & qui étoit affez jolie pour se croire belle; mais qui fe la croyoit tant (je dis belle) qu'elle en étoit fotte; on ne la fentoit occupée que de fon vifage, occupée avec réflexion; elle ne fongeoit qu'à lui; elle ne pouvoit pas s'y accoutumer, & ont eût dit quand elle vous regardoit, que c'étoit pour vous faire admirer fes grands yeux qu'elle rendoit fiers ou doux, fuivant qu'il lui prenoit fantaisie de vous en imposer, ou de vous plaire, mais elle les adoucifloit rarement: elle aimoit mieux qu'ils fuffent impofans, que gracieux ou tendres, cause qu'elle étoit fille de qualité & glorieufe.

Portrait de Madame de Farre.

à

MADAME de Farre pouvoit avoir cinquante ou cinquante-cinq ans ; petite femme Brune, affez ronde, très-laide, qui avoit le vifage large & quarré, avec de petits yeux noirs, qui d'abord paroiffoient vifs, mais qui n'étoient que curieux & inquiets; de ces yeux toujours remuans, toujours occupés à regarder, & qui cherchent de quoi fournir à l'amufement d'une ame vuide,

en

oifive, & qui n'a rien à voir en elle-même ; car il y a de certaines gens dont l'efprit n'est mouvement que par pure difette d'idées ; c'eft ce qui les rend fi affamés d'objets étrangers, d'autant plus qu'il ne leur refte rien, que tout paffe en eux, que tout en fort; gens toujours regardans, toujours écoutans, jamais penfans; je les compare à un homme qui pafferoit fa vie à fe tenir à fa fenêtre ; voilà l'image que j'euffe fait d'eux & des fonctions de leur efprit.

Portrait de Mademoifelle de Farre.

E n'ai encore rien vu de l'âge de Mademoifelle de Farre qui lui reffemble, jamais la jeuneffe n'a tant paré perfonne il n'en fut jamais de fi agréable, de fi riant à l'œil que la fienne. Il eft vrai que la Demoiselle n'avoit que dix-huit ans; mais il ne fuffit pas de n'avoir que cet âgelà pour être jeune comme elle l'étoit, il faut y joindre une figure faite exprès pour s'embellir de ces airs leftes, fins & légers, & de ces agrémens fenfibles mais inexprimables que peut y jetter la jeuneffe ; & on peut avoir une trèsbelle figure fans l'avoir propre & flexible à tout ce que je diș.

Il est question ici d'un charme à part, de je ne fais quelle gentilleffe qui répand dans les mouvemens, dans le gefte même, dans les traits, plus d'ame & plus de vie qu'ils n'en ont d'ordinaire.

On difoit l'autre jour à une Dame qu'elle étoit au printems de fon âge, ce terme de printems me fit reffouvenir de la jeune Demoiselle dont je parle, & je gagerois que c'eft quelque figure

comme la fienne, qui a fait imaginer cette expreffion-là.

Je ne lis jamais les mots de Flore ou d'Hébé que je ne fonge tout d'un coup à elle, représentez-vous une taille haute, agile & dégagée. A la manière dont Mademoiselle de Farre alloit & venoit, & fe tranfportoit d'un lieu à un autre, vous euffiez dit qu'elle ne pefoit rien.

Enfin c'étoit des graces de tout caractère : c'étoit du noble, de l'intéreffant : mais de ce noble aifé & naturel, qui eft attaché à la perfonne, qui n'a pas befoin d'attention pour fe foutenir, qui eft indépendant de toutes.contenances que ni l'air folâtre, ni l'air négligé n'altèrent, & qui eft comme un attribut de la figure; c'étoit de cet intéreffant qui fait qu'une perfonne n'a pas un gefte qui ne foit au gré de votre cœur. Cétoit de ces traits délicats, mignons, & qui font une physionomie vive, rusée & non pas maligne.

Vous êtes une espiegle, lui difois-je quelquefois, & il y avoit en effet quelque chofe de ce que je dis-là dans fa mine; mais cela y étoit comme une grace qu'on aimoit à y voir, & qui n'étoit qu'un figne de gaieté dans l'efprit.

Mademoiselle de Farre n'étoit pas d'une forte fanté, mais fes indifpofitions lui donnoient l'air plus tendre que malade: elle auroit fouhaité plus d'embonpoint qu'elle n'en avoit, mais je ne fais fi elle y auroit tant gagné ; du moins si jamais un visage a pu s'en paffer, c'étoit le fien: l'embonpoint n'y auroit ajouté qu'un agrément, & lui en auroit ôté plufieurs de plus piquans & de plus précieux.

Mademoiselle de Farre, avec la fineffe & le feu qu'elle avoit dans l'efprit, écoutoit volontiers

en grande compagnie, y pensoit beaucoup, y parloit peu, & ceux qui y parloient bien ou mal, n'y perdoient rien.

Je ne lui ai jamais rien entendu dire qui ne fut bien placé, & dit de bon goût.

Etoit-elle avec fes amies, elle avoit dans fa façon de penfer & de s'énoncer toute la franchife du brufque fans en avoir là dureté.

On lui voyoit une fagacité de fentiment prompte, fubite & naïve,,une grande nobleffe dans les idées, avec une ame haute & généreuse, mais mêlée de je ne fais quelle douceur qui la rendoit très aimable.

Portrait de Madame Darfire.

C'ÉTOIT une grande femme bienfaite, à qui on

auroit donné près de cinquante ans ; elle ne les avoit cependant pas, on eût dit qu'elle relevoit de maladie; mais malgré fa pâleur & fon peu d'embonpoint, on lui voyoit les plus beaux traits du monde, avec un tour admirable de visage, &. je ne fais quoi de fin qui faifoit penser qu'elle étoit une femme de diftinction. Toute fa figure avoit un air d'importance naturelle qui ne vient pas de fierté, mais de ce qu'on eft accoutumé aux attentions & même aux refpects de ceux avec qui l'on vit dans le grand monde.

Portrait de deux Dames de Qualité.

E me trouvai hier dans le cercle le plus ennuyeux où je remarquai fur-tout deux femmes dont je veux vous efquiffer le portrait.

Il y en eut une qui parla fort peu, ne prit prefque point de part à ce que l'on difoit, ne.

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