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La discussion du régime de la neutralité est arrêtée ici. M. le baron Descamps, se faisant l'interprète des sentiments de l'assemblée, exprime à M. le Rapporteur les remerciements de l'Institut pour le travail considérable et approfondi qu'il a présenté.

La séance est levée à midi et demi.

5. Conflits de lois relatifs à la dépossession de titres au porteur.

Séance du jeudi 20 septembre 1906 (après-midi), sous la présidence de M. Albéric Rolin.

La séance est ouverte à 3 h. 1/4.

M. Lyon-Caen, rapporteur, rappelle que la question est à l'ordre du jour depuis une quinzaine d'années. A la réunion de Hambourg, il avait été chargé avec M. Sacerdoti de présenter un rapport sur les « conflits de lois en matière de titres au porteur », en même temps que M. Asser acceptait de faire un autre rapport sur «les mesures internationales à prendre pour la protection des propriétaires de titres au porteur dépossédés.

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Dix années s'écoulèrent avant que les travaux de la Commission eussent pu avoir quelque suite. A la session de Bruxelles, M. Lyon-Caen présenta un rapport et un avantprojet dont l'examen fut ajourné d'abord à la session d'Edimbourg, puis de nouveau à la présente session. Dans l'intervalle, le rapport provoqua des observations de la part d'un grand nombre de membres de l'Institut et tout récemment une excellente étude de M. Thaller, publiée dans les « Annales de droit commercial ». La question est donc mûre et sa solution ne saurait attendre davantage. M. Lyon-Caen en fait l'exposé.

Lorsqu'une personne est dépossédée d'un titre au porteur, principalement en cas de perte ou de vol, deux situations ou deux ordres de questions peuvent se poser :

a) A quelle condition le porteur dépossédé peut-il toucher, de l'établissement débiteur, les revenus et le capital, s'il est remboursable, et se faire délivrer un titre nouveau ou duplicata?

Ici la question se pose uniquement dans les rapports du porteur dépossédé et de l'établissement débiteur: il n'y a aucun tiers en cause.

b) Mais il y a un deuxième ordre de questions, qui présente plus de difficultés. Il est possible que le titre perdu ou volé soit l'objet d'une négociation et arrive entre les mains d'un tiers de bonne foi est-ce que le propriétaire dépossédé peut revendiquer contre ce tiers? ou bien est-ce que la revendication lui sera refusée?

Ces deux ordres de questions ne sont pas résolus de la même manière par toutes les législations. Il y a entre les lois des différents pays des divergences assez grandes.

En ce qui concerne la revendication contre les tiers de bonne foi, ces divergences se sont particulièrement accentuées, il y a une trentaine d'années, à la suite de la loi française de 1872, imitée dans certains pays étrangers qui, au point de vue du marché financier, peuvent être considérés comme peu importants.

10 Il y a beaucoup de législations -- notamment en Angleterre et en Allemagne où, dans l'intérêt du crédit et de la libre circulation des titres au porteur, on refuse absolument la revendication contre les tiers de bonne foi.

2o Mais en France, et dans certains autres pays, on admet la revendication.

D'après la loi française, celui qui prétend avoir été dépossédé d'un titre au porteur et désire avoir quelque

chance de retrouver son titre, doit faire opposition en indiquant le numéro de son titre à la Chambre syndicale des agents de change de Paris. Alors le numéro du titre doit être publié dans un journal spécial qui a le caractère officielle Bulletin des Oppositions toute négociation du titre postérieure en date au jour de l'arrivée du « Bulletin » au lieu de la négociation ou postérieure en date au jour où le « Bulletin » aurait dû y arriver est nulle et le porteur dépossédé peut revendiquer contre tout tiers. même de bonne foi.

Ces diversités de législations ont fait naître, principalement sur les questions du second groupe, d'importants conflits de lois.

Ces conflits n'existeraient pas si la circulation n'était pas internationale, si les titres émis dans un pays ne circulaient pas dans d'autres pays. Mais les titres passent d'un pays à un autre. C'est à cette circulation internationale qu'est due la naissance de fréquents conflits, souvent très difficiles à résoudre. Ainsi, par exemple, en France, des titres étrangers sont négociés. La question se pose de savoir s'ils peuvent, en vertu de la loi de 1872, être revendiqués en raison de leur négociation sur le territoire français, ou bien s'ils échappent à la revendication en raison du fait que dans leur pays d'origine la revendication n'est pas admise. De même, il se peut que des titres français frappés d'opposition en France soient négociés en Allemagne ou en Angleterre et reviennent ensuite en France doit-on admettre la revendication, en tenant compte de l'origine du titre, ou bien doit-on la repousser, en vertu de la loi du pays de la négociation?

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Quelle loi doit donc être prise en considération pour la solution du conflit?

Sur le premier ordre de questions, il y a bien des conflits

de lois, mais ils n'offrent pas de difficultés sérieuses. On est d'accord pour dire que la loi du pays de l'établissement débiteur seule peut décider quelle sera la solution à adopter. Par exemple, un titre allemand encore qu'il en ait été fait opposition en France ne peut donner lieu à perception des revenus que conformément à la loi allemande. Tous les auteurs sont d'accord et tous les membres de la Commission partagent sur ce point notre avis, exprimé dans l'article 1er de nos résolutions.

Mais sur le second ordre de questions, les conflits sont très difficiles à résoudre; les opinions en présence sont diverses et les différents membres de la Commission ne sont pas d'accord. La jurisprudence française, depuis la loi de 1872, a été saisie assez fréquemment de contestations de la part de propriétaires dépossédés. Il s'est formé une jurisprudence qui, sans indiquer nettement les principes sur lesquels elle se base, donne la plus grande extension à la loi. Elle admet :

a) Que les propriétaires dépossédés peuvent revendiquer contre ceux qui ont acquis de bonne foi sur le territoire français, qu'il s'agisse de titres français ou de titres étrangers;

b) Que, dès l'instant où un titre pays où la loi exclut la revendication

appartînt-il à un dès l'instant où

il a été frappé d'opposition en France, sa revendication est possible en vertu de la loi de 1872.

Sur ces difficultés, dont on ne saurait méconnaître la gravité, le rapport présente une solution dont l'avantage est qu'elle se rattache à des principes juridiques généralement reconnus. Il admet que, dès l'instant où un titre au porteur a été négocié à un acquéreur de bonne foi dans un pays où la revendication n'est pas admise la transmission ayant été régulière, la revendication, impossible

dans ce pays, ne saurait davantage être accordée dans les pays où elle est généralement admise après opposition.

Il est possible qu'un titre, dont le propriétaire dépossédé a fait opposition en France, y ait fait ensuite l'objet d'une transmission. Cette transmission est nulle en France. La revendication est, d'après nous, possible, quand même le titre passerait dans un pays où la revendication n'est pas admise, tant que le titre n'a pas été l'objet d'une acquisition régulière dans un pays où la revendication n'est pas admise.

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Cette question rentre dans ce qu'on pourrait appeler le statut réel des titres au porteur le législateur a le droit de légiférer pour tous les titres négociés sur son territoire, qu'ils soient étrangers ou nationaux.

Il y a lieu aussi de faire une application des droits acquis: Voilà un titre frappé d'opposition en France, où la revendication y est admise; transmis ailleurs, où la loi n'admet pas la revendication, l'acquérieur a un droit acquis qui doit être partout respecté.

M. Asser nous a présenté une autre opinion. D'après lui, pour savoir si la revendication est possible, il faut s'attacher exclusivement à la loi du pays où se trouve le titre au moment de la revendication. C'est un système très simple; il se fonde sur cette raison que pour savoir quels sont les droits qui appartiennent sur un objet corporel, il faut appliquer la lex rei sila.

M. Albéric Rolin soutenait à son tour que la loi à appliquer est celle du pays du domicile du défendeur qui se confond le plus souvent avec le pays où se trouve le titre au moment de la revendication.

Ces systèmes et celui de la Commission sont anciens. Ils ont déjà été formulés plus ou moins nettement dans des travaux scientifiques et dans des décisions judiciaires,

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