Page images
PDF
EPUB

nette les hauteurs de l'Alma, défendues par quarante mille hommes et cent vingt-quatre pièces de canon; il battait à la nouvelle de la victoire du pont de Tratkir, glorieux pendant du beau fait d'armes du pont d'Arcole ; il battait au récit de la valeur de nos soldats sous les remparts de Malakoff, et le 13 septembre 1855, une année après le débarquement des armées alliées à Eupatoria, le canon des Invalides annonçait à la capitale le triomphe de nos armes, et le soir, Paris et la France entière illuminaient pour célébrer la prise de Sébastopol.

Que de fois depuis le rétablissement de la dynastie napoléonienne sur le trône de Charlemagne et d'Henri IV, le cœur de la France a été ému dans ses aspirations patriotiques! Que d'étapes glorieuses entre la campagne de Crimée, dont nous venons de rappeler le souvenir, et l'expédition du Mexique, dont nous nous proposons de retracer ici les émouvantes péripéties! L'Italie, affranchie par la valeur de nos soldats, nous rappelle Montebello, Magenta, Solferino et Villafranca, où l'Empereur des Français couronne par le triomphe de la modération dans la victoire une suite non interrompue d'éclatants faits d'armes. Les traits d'héroïsme, si nombreux dans la campagne d'Italie, sont encore présents à la mémoire de tous, et l'on sait quelle ovation populaire accueillit, à son retour d'Italie, Napoléon III rentrant dans la capitale environné du double prestige de la bravoure sur le champ de bataille et de la sagesse dans les conseils.

Mais cette prudence si rare qui arrêtait l'armée française triomphante au moment où nous étions exposés à dépasser le but de l'expédition, cette prudence, disons-nous, faisait place à une énergique et généreuse résolution lorsque les gémissements des chrétiens de Syrie vinrent émouvoir l'Europe entière. Suivant une parole auguste, l'épée de la France doit être partout où il y a une cause juste à soutenir, et le fanatisme des égorgeurs musulmans recula effrayé

devant le drapeau tricolore qui abrite sous ses plis glorieux la tolérance religieuse, le progrès civilisateur, mais sur lequel on lit aussi : Respect à la France!

II

Ce sentiment de la dignité nationale, aussi éloigné de l'esprit de conquête que d'une faiblesse indigne d'un grand peuple, appela nos soldats sur les rives lointaines du fleuve Jaune, dans ce mystérieux empire chinois presque à lui seul aussi grand que l'Europe; mais la France ne compte pas ses adversaires, et le 19 novembre 1859, le général commandant en chef Cousin de Montauban, s'adressant aux officiers et aux soldats du corps expéditionnaire, leur annonçait que, pour l'honneur de la France et de la civilisation, ils allaient porter le drapeau national dans des contrées où la Rome immortelle, au temps de sa grandeur, n'avait jamais songé à faire pénétrer ses légions. Cette expédition hardie, si l'on songe aux difficultés d'exécution, n'est pas une des moindres gloires du grand règne de Napoléon III, et depuis le jour où le corps expéditionnaire remportait sa première victoire sur les rives du Peï-ho (21 août 1859) jusqu'à la prise de Pékin et la signature du traité français, que d'actions d'éclat accomplies par cette petite armée se frayant un chemin au milieu d'une population de quatre cents millions d'habitants et bravant les dangers d'une navigation longue et pénible et les influences malsaines du climat! Grâce à cette valeur belliqueuse qui ne fait jamais défaut au soldat français, le cabinet des Tuileries a ouvert de nouveaux horizons à la civilisation et au commerce du monde, en même

que

temps qu'il faisait cesser les persécutions dirigées en Chine contre les missionnaires. Grâce à l'initiative de la France, comme le constatait l'exposé de la situation de l'Empire présenté au Sénat et au Corps législatif en janvier 1862, il est facile d'entrevoir dès à présent les résultats qu'a préparés pour l'avenir la glorieuse expédition qui a conduit notre drapeau jusque dans la capitale de la Chine. «<< Les instigateurs des perfidies qui avaient provoqué la guerre étrangère ont vainement essayé de réagir contre l'impression salutaire laissée par nos victoires. Ils avaient supposé le moment où s'achevait notre évacuation du territoire chinois et où un changement de règne plaçait sur le trône un souverain mineur leur offrait une occasion favorable de faire passer entre leurs mains un pouvoir dont ils se seraient servis pour ramener la politique de la Chine à ses anciens sentiments de haine et de résistance contre les nations européennes. L'énergie et l'intelligence des hommes avec lesquels notre traité de paix avait été signé ont paralysé ces tentatives, et en présence des événements qui se sont accomplis à Pékin, il est permis de penser que le gouvernement chinois a désormais franchement rompu avec les traditions du passé, et que les intérêts européens trouveront maintenant dans ces contrées lointaines les garanties dont ils sentaient si vivement le besoin. »>

III

Mais dans cet extrême Orient ce n'était pas seulement en Chine que nos missionnaires étaient torturés et nos nationaux maltraités. La Cochinchine, malgré des traités d'alliance avec la France qui remontaient au règne de

Louis XVI, tenait peu de compte de notre influence dans le monde, et les énergiques réclamations adressées au gouvernement annamite en faveur des chrétiens étaient impuissantes à calmer la fureur des idolâtres. Il fallait en finir avec ces ennemis du christianisme et de la civilisation. L'Empereur décida qu'une expédition serait dirigée contre la Cochinchine, et le 25 novembre 1857 une dépêche conçue en ces termes fut adressée au contre-amiral Rigault de Genouilly:

« Monsieur le contre-amiral, la volonté de l'Empereur est de mettre un terme aux persécutions qui se renouvellent sans cesse contre les chrétiens de la Cochinchine et d'assurer à ces derniers la protection efficace de la France. Sa Majesté a décidé, en conséquence, que les forces placées sous votre commandement seraient augmentées de trois navires et de cinq cents hommes de troupe. Ces renforts partiront de France dans le plus bref délai possible. Ils seront dirigés sur Singapour. La démonstration contre la Cochinchine demande à être exécutée sans aucune perte de temps. Vous vous en chargerez vous-même si votre présence n'est pas indispensable sur les côtes de la Chine. Dans le cas contraire, vous désignerez pour le faire celui de vos officiers supérieurs placés sous vos ordres qui vous inspirera le plus de confiance. Pour renoncer à agir immédiatement, il faudrait qu'il fût véritablement nécessaire de maintenir la totalité de vos forces dans les eaux du Céleste-Empire.

Nous avons cité textuellement cette dépêche officielle, parce qu'elle renferme l'explication du motif de la campagne et révèle la promptitude d'action que déploie la politique française lorsqu'il s'agit de la cause du christianisme et de la civilisation.

IV

Des raisons impérieuses ne permirent pas au contreamiral Rigault de Genouilly d'exécuter immédiatement les ordres de l'Empereur, ni de remettre à aucun officier le soin de l'honneur des armes françaises. Mais de nouvelles persécutions contre les chrétiens et le supplice de deux évêques catholiques démontrèrent l'urgence de faire flotter le drapeau tricolore dans le royaume annamite. Le 31 août 1858 une escadre française et espagnole était mouillée à l'entrée de la baie de Touranne. Bientôt les forts sont bombardés et tombent en notre puissance. Mais il s'agissait de frapper l'ennemi au cœur et d'atteindre Hué, la capitale du royaume. M. Rigault de Genouilly, qui venait d'être élevé au grade de vice-amiral, en récompense des services distingués qui avaient marqué sa carrière, ne se dissimulait pas les difffcultés de l'entreprise. Il se décida à porter son action sur Saïgon, qui lui paraissait le seul point attaquable avec les ressources dont il disposait. Le 17 février, la place de Saïgon, une des citadelles les plus importantes de la Cochinchine, tombait au pouvoir des forces alliées de la France et de l'Espagne. « La prise de Saïgon, écrivait le vice-amiral Rigault de Genouilly à S. Exc. le ministre de la marine, nous a rendus maîtres d'un matériel considérable. Deux cents bouches à feu environ, en fer ou en bronze, sont tombées en notre pouvoir; nous avons pris en outre une corvette et sept ou huit jonques de guerre encore sur les chantiers. La citadelle renfermait un arsenal complet. En comptant ce qui se trouvait dans les forts, on peut estimer les armes de main à vingt mille gingalls, fusils, pistolets,

« PreviousContinue »