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CHAPITRE III

Du partage des arbitres et du tiers arbitre.

§ 1.

Du partage.

Le partage est l'opposition, le désaccord qui s'est manifesté entre les arbitres sur tout ou partie des chefs de la contestation, à l'égard desquels ils sont divisés, partagés d'opinion. Le partage est fréquent, chaque arbitre ayant toujours plus ou moins tendance à se considérer comme le représentant de la personne qui l'a choisi.

Il y a partage dès qu'il y a sur la question en litige différents avis réunissant le même nombre de voix. Si la division n'existait qu'entre une majorité et une minorité d'arbitres, celle-ci devant subir la loi de celle-là, il n'y aurait plus partage, mais jugement. Le partage existerait au contraire, si trois arbitres par exemple étant nommés, ils adoptaient trois opinions différentes. Il n'est pas nécessaire d'ailleurs, pour qu'il y ait partage, que le désaccord se soit manifesté successivement sur chaque chef particulier de la contestation qui est soumise aux arbi

tres; il suffit d'un dissentiment sur un seul point, si ce chef comprend les autres ou est de nature à les préjuger (1). Il suffit même que, sur une question complexe, l'un des arbitres déclare l'instruction insuffisante et s'abstienne de juger le fond, alors que les autres sont d'un avis contraire (2). Mais il a été jugé qu'il n'y avait pas partage lorsque l'un des arbitres amiables compositeurs a émis son avis et que l'autre s'est borné à dire qu'il ne pouvait en avoir dans l'affaire (3); lorsque de deux arbitres, l'un a rédigé son avis et l'autre a déclaré n'avoir rédigé qu'une simple note et n'avoir pas encore fixé son opinion (4).

Nous avons vu qu'aux termes de l'article 1012 C. p. c. le partage mettait fin au compromis à moins que les arbitres n'eussent été autorisés à nommer un tiers arbitre. Les arbitres perdent alors le pouvoir de juger et, pour trancher la contestation, les parties devront s'adresser aux tribunaux ordinaires ou faire un nouveau compromis. Cette disposition a été déclarée applicable même au cas où l'arbitrage est institué en vertu d'une clause compromissoire (5).

1. Req., 10 février 1835. D., V. Arb., no 761.

2. Civ. rej., 23 mai 1837. D., V. Arb., no 767.

3. Poitiers, 13 mai 1818. D., V. Arb., n° 757. Carré sur Chauveau, n° 3345-3°. Mongalvy, no 118.

4. Bourges, 21 novembre 1837. D., V. Arb., no 757.

5. Trib. de Paris, 8 juillet 1836. D., V. Arb., no 750.

Même en présence d'une clause autorisant les arbitres à nommer un départiteur, le compromis peut prendre fin si les conditions du partage ne permettent pas à ce dernier de départager les premiers arbitres ou de se conformer aux prescriptions de l'article 1018 C. p. c. c'est-à-dire de sommer les premiers arbitres de conférer avec lui ou s'ils ne se réunissent pas de choisir entre leurs différents avis. C'est ce qui se produit, par exemple, soit quand l'un des arbitres déclare ne pouvoir se faire une opinion sur la contestation, soit quand l'un d'eux vient à mourir ou se déporte après le partage, mais avant d'avoir conféré avec le tiers arbitre, rendant ainsi impossible l'obéissance aux prescriptions de l'article 1018. Mais si l'arbitre déporté avait signé l'acte de partage, son déport ne saurait empêcher la convocation du tiers. arbitre, les conséquences de cet acte sont irrévocables et d'ailleurs l'arbitre déporté a dans cette hypothèse exprimé son avis sur l'affaire et le départiteur peut, en connaissance de cause, choisir entre cet avis et l'avis de l'autre arbitre.

L'article 1012 ne s'applique pas, le compromis ne prend pas fin par le partage, si les parties ont permis aux arbitres d'appeler un tiers arbitre pour les départager. C'est le seul moyen permis par la loi pour vider le partage; les parties ne pourraient en effet autoriser leurs arbitres à s'adjoindre dans ce cas un co-arbitre, car elles manqueraient ainsi aux prescrip

tions de l'article 1006 C. p. c. qui veut que le compromis mentionne toujours le nom des arbitres. Ceux-ci peuvent charger un tiers d'une opération d'instruction, il leur est formellement interdit de s'adjoindre une tierce personne pour juger, à moins que les circonstances ne permettent de la considérer comme un tiers arbitre soumis dans ce cas à toutes les règles que nous allons exposer (1).

Pour que l'arbitrage puisse valablement se continuer devant le tiers arbitre, il est indispensable que le partage soit indiscutable. La mission du tiers arbitre est uniquement de départager les arbitres ; son intervention, sans autorisation des parties ou à titre consultatif avant le partage, serait absolument nulle. Aussi l'article 1017 C. p. c. exige-t-il de la part des arbitres la rédaction d'avis distincts et motivés entre lesquels le tiers arbitre pourra se prononcer. Les arbitres pourront consigner leurs avis soit dans un seul procès-verbal signé de tous, soit dans des procès-verbaux séparés, mais le procès-verbal dressé et signé par un seul d'entre eux serait insuffisant. Cependant dès qu'il est constant que le partage existe, il n'est pas de nécessité absolue, pour que l'arbitrage puisse suivre son cours, que les arbitres aient rédigé chacun leur avis distinct et séparé. Cela serait

1. Agen, 6 février 1844. D., 45. 2. 34.

manifeste si les parties avaient investi le tiers arbitre du droit de juger sans être tenu de se réunir à l'avis de l'un des premiers arbitres (1). Les parties peuvent même dispenser les arbitres de rédiger un procès-verbal contenant leurs avis distincts (2); mais il a été jugé avec raison que cette dispense ne peut s'étendre qu'aux points sur lesquels il y a dissidence, et non à ceux sur lesquels les arbitres se sont trouvés d'accord et ont ainsi rendu un jugement définitif (3). En somme, pour l'exécution de la disposition de l'article 1017 précité, il suffit que l'opinion de chacun des arbitres soit constatée d'une manière certaine, qu'il ne soit pas douteux qu'elle a été connue du tiers arbitre et qu'il soit prouvé que ce dernier a adopté dans son jugement l'une des opinions émises par les premiers arbitres (4).

La nullité résultant du défaut de rédaction d'avis motivés et distincts de la part des arbitres serait d'ail leurs couverte (5) s'il y avait eu conférence entre eux et le tiers arbitre (6), s'il résultait de la sentence du tiers arbitre signée par lui et les premiers arbi

1. Req, 18 mai 1814. D., V. Arb., no 758.

2. Dijon, 18 mai 1892. D., 94. 2. 206.

3. Agen, 6 décembre 1844. D., 45. 2. 74.

4. Agen, 10 juillet 1833. D., V. Arb., n° 669.

5. Req., 30 juillet 1850. D., 50. 1. 218. Req., 5 février 1855. D., 55. 1. 358. Contra. Bruxelles, 27 décembre 1893. D., 95. 2. 135.

6. Req., 21 janvier 1840. D., V., Arb., n° 768.

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