Page images
PDF
EPUB

Les petits vagabonds de Cagliari

Par M. le Dr Mario CARRARA

Professeur de médecine légale à l'Université de Cagliari.

La criminalité enfantine de Cagliari offre un intéressant champ de recherches. En l'absence d'industries capables d'employer ces faibles forces sociales, un grand nombre de jeunes garçons de 10 à 14 ans restent inoccupés et oisifs, envahissent et infestent les rues de la ville, dont ils constituent ainsi un pitoyable élément. L'oisiveté, la misère, l'abandon de la famille, l'exemple des camarades constituent autant d'excitations au crime. Bien que ces réunions de jeunes garçons ne constituent pas de véritables associations de malfaiteurs telles que les conçoivent les polices de tous les pays, il est avéré que l'habitude quotidienne, la communauté d'intérêts et de plaisirs, l'âge et l'égalité des conditions forment entre eux ou au moins entre certains groupes des liens plus étroits que les liens d'une simple amitié, souvent renforcés par d'abominables rapports sexuels.

Nous avons étudié, le Dr Murgia et moi, une cinquantaine de ces garçons en recueillant les données, non seulement anthropologiques, anatomiques, fonctionnelles et psychiques, mais encore les faits anamnésiques.

Les mensurations purement anatomiques concernent le crâne, le visage, les membres inférieurs, la taille, et elles s'étendent à tout le corps, pour ce qui concerne des anomalies pathologiques ou dégénératives; naturellement elles ne se prêtent pas à être examinées et exposées synthétiquement. Nous avons pourtant cru devoir donner à ces mensurations, faites sur les mineurs criminels, une plus grande signification en recueillant d'autres mensurations aussi, faites sur des garçons fréquentant les écoles communales, qu'on présume être normaux.

Plus démonstratives encore que les simples mensurations sont les anomalies retrouvées chez ces enfants et qui résultent mieux que d'une description analytique de l'examen des photographies.

Notre examen a donné pour résultat que parmi eux le véritable type criminel est très rare. Non que dans chacune de ces physionomies ne puissent se trouver des anomalies dégénératives, mais elles ne se trouvent pas cumulées chez le même individu, de façon à constituer selon M. Lombroso, le type criminel. Seulement nous n'avons pu les reconnaître dans la pro(1) Communication au Congrès d'anthropologie criminelle, 1901.

portion de 10 %, c'est-à-dire dans un rapport très inférieur à celui qui constitue le type criminel, mais encore, très inférieur au nombre qui, selon les calculs de MM. Lombroso et Ferri, se trouve chez la masse de tous les criminels (40%).

Le jeune âge de nos sujets ne peut pas diminuer la valeur de cette conclusion pour ainsi dire statistique. Le type criminel justement par le fait qu'il révèle une anomalie profonde et congénitale de toute l'organisation individuelle, apparaît déjà dans les premières années, c'est-à-dire dans un âge inférieur à celui qu'avaient mes sujets.

Cette conclusion signifie donc que sous le rapport anatomique, on ne rencontre pas chez ces mineurs de véritables grands criminels; l'examen psychologique, particulièrement l'examen anamnésique, a confirmé chez tous mes jeunes sujets l'examen somatique.

Ils ne descendent pas, au moins pour la plupart, de familles profondément criminelles, à peine le 5% d'eux ont des parents dans les prisons ou dans les asiles. Et encore il faut remarquer que nous avons inclus dans ce 5% les emprisonnements pour rixe, pour contraventions, ou pour rebellion contre les agents: faits qui ne révèlent évidemment pas une criminalité bien grave.

Il est vrai que certains ont été en prison même plusieurs fois, jusqu'à 15 ou 20 fois. Mais, comme je le disais, ils ne représentent pas pour cela, selon nous, une forme de criminalité très grave; non seulement pas à cause de la nature des crimes commis, mais aussi à cause de la présence de beaucoup de facteurs économiques, familiaux, sociaux que notre enquête a mis en lumière et qui diminuent évidemment le rôle que le facteur anthropologique individuel joue dans l'étiologie de cette sorte de criminalité.

Le milieu familial, en effet, bien qu'il ne soit pas un milieu vraiment criminel, est pourtant dans la plupart des cas, un · milieu abominable. La misère tarit vraiment la source des affections familiales les plus instinctives, et chaque enfant ne représente vraiment autre chose dans une famille qu'une bouche à nourrir. Etant enfants, ils furent envoyés pendant une ou deux années à l'école où ils n'apprirent rien, et après, étant trop grands pour aller à l'école, ils furent placés auprès d'un patron pour apprendre un métier. Ici, intervient alors le facteur individuel, qui naturellement n'est pas normal; car au lieu de poursuivre le travail entrepris et de s'en faire une profession

plus ou moins productive, il se révèle chez eux un phénomène qui se produit régulièrement dans le sens criminel : ils ne trouvent jamais, comme on dit, « l'arbre bon pour se pendre » soit qu'ils trouvent le salaire trop bas, soit que les patrons leur donnent des coups, ou soit qu'ils ne réussisent pas dans leur travail. Pour le moindre prétexte, ils passent indifféremment d'une profession à une autre, puis, la délaissant tout de suite après l'avoir embrassée; ce qui montre que la faute n'est pas imputable à la nature du travail, mais à la nature de ses enfants et à leur insurmontable paresse.

Il faut pourtant reconnaître, et nous avons pu le constater, que nul encouragement affectueux ne les soutient, ni les guide dans ces premiers pas de la vie professionnelle. Aux premières difficultés, aux premières révoltes contre la dure discipline du travail, la famille les met dans l'aternative de donner tout l'argent qu'ils peuvent gagner, ou d'être renvoyés de la maison. La plupart adoptent volontiers la seconde alternative, et quittent la maison, dressant leur tente dans la rue, où, grâce au climat de Cagliari, ils passent toute leur vie, le jour et la nuit. Alors commence véritablement pour eux la vie vagabonde sous l'apparence d'une profession très rudimentaire et très répandue à Cagliari de « Picciocchi des crobi» « garçons à corbeille ». Grands et petits, déguenillés d'une façon incroyable, munis de leur corbeille traditionnelle, ils offrent leurs services de commissionnaire au bourgeois cagliaritain. Quelquefois ils cumulent cet emploi avec un autre qui n'est pas beaucoup plus lucratif, celui de vendre des allumettes, et tâchent de gagner de cette façon les sous nécessaires pour acheter un peu de soupe, ou de figues pour se nourrir. Dans cette vie d'oisiveté et de compagnonnage, le crime, sous forme de vol, devient l'habitude quotidienne; « nous volons », nous confessait ingénument l'un d'eux, «< car nous n'avons rien à faire. » Ce sont en effet des larcins de comestibles, d'objets presque sans valeur, qu'ils trouvent sous leurs mains, charbons, bois, œufs, peignes, paniers. La misère de ces larcins correspond vraiment à la misère du pays qu'ils habitent, et à l'étroitesse de leur champ intellectuel. Le produit du vol ou l'argent qu'ils retirent de cette vente, est d'ordinaire joyeusement mangé en compagnie; quelques-uns pourtant portent l'argent ainsi gagné à la maison, se vantant de l'avoir gagné en travaillant.

Mais bien qu'aggravée par une énorme récidive leur criminalité ne va pas plus loin. Bien rarement les crimes de sang

mettent leurs tâches rouges dans leur vie. Leurs altercations finissent ordinairement à coups de poing, rarement à coups de pierre. Ils n'ont jamais dans leur poche étrange exception chez le peuple italien - ni couteau, ni autre arme offensive.

Une autre forme de criminalité, si on peut la considérer comme telle, qui s'adjoint à celle-ci, est la criminalité sexuelle. Bien que cette partie de nos recherches ait été difficile et délicate et peu sûre, nous avons pourtant pu vérifier, et par les déclarations de quelques-uns d'eux et par la présence des maladies vénériennes, la précocité des rapports, soit hétérosexuels, soit homosexuels favorisés par la promiscuité dans laquelle ces garçons passent la nuit dans le fond des barques, dans les cavernes, sous les portiques. Un d'eux, àgé de 14 ans, accompagnait sa sœur à peu près du même âge, sur les navires et partageait avec elle les gains infâmes. Presque tous sont religieux et accomplissent les pratiques religieuses. Tous sont illettrés, même ceux qui vendent les journaux, les reconnaissant au format, et cela malgré la loi sur l'instruction obligatoire, qui existe depuis 25 ans en Italie.

Ils comprennent instinctivement eux-mêmes le rôle que joue l'influence des amis et des camarades à les pousser aux délits

ce que le véritable criminel n'admet jamais. Au contraire ils rejettent volontiers sur les amis la cause de leur criminalité non seulement pour s'excuser, mais vraiment par la conscience qu'ils ont de mal faire; et plus d'un exprimait le désir (d'autant plus remarquable que l'émigration ne correspond aucunement aux tendances des Sardes) de s'embarquer sur un navire et d'aller travailler en Tunisie ou en Sicile. Et même volontairement un d'eux se fit envoyer dans une maison de correction de Naples, pour rompre définitivement avec les anciennes relations, le plus grand stimulant au crime.

En prison presque tous déclarent qu'ils se trouvent mal, pas tant par l'alimentation que par l'isolement.

Ils ne sont donc pas pour ce qui ressort de nos recherches, des criminels nés, mais plutôt des criminels d'habitude, ou d'occasion, des criminaloïdes (LoMBROSO). Et ce qui confirme cette conclusion, c'est le fait qu'en devenant adultes, ils perdent presque tous leurs tendances criminelles. Quand avec l'âge les rapports d'amitié, de compagnie, de complicité sont rompus, ils finissent pour la plupart par trouver une occupation fixe et par en vivre bien misérablement, mais sans avoir recours au crime.

De sorte que, tandis que cette grande armée enfantine paraîtrait menacer Cagliari d'une véritable armée de criminels adultes, en réalité, au contraire, la criminalité de cette ville en rapport avec le nombre de ses habitants, ses conditions économiques et son degré de civilisation, n'est ni très grave ni très abondante. Ce qui, tout en étant consolant, nous fait, regretter, qu'il n'existe pas encore des institutions aptes à améliorer la condition sociale de ces enfants et à atténuer dans la plus grande mesure possible leurs tendances à l'oisiveté, à la paresse et au vagabondage par une bonne prophylaxie enfantine.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Le lundi 16 Juillet 1901. - Présidence de M. Jules VOISIN.

Orthopédie mentale et morale.

La suggestion pédagogique dans le sommeil hypnotique et à son défaut, dans le sommeil naturel.

par M. le docteur BOURDON (de Méru).

Au milieu du mouvement psychologique qui s'accomplit et auquel la Société d'Hypnologie et de Psychologie prend une si grande part, on ne saurait trop faire ressortir, parmi les nombreuses applications de la psychothéraphie, celle, si importante, de la suggestion hypnotique comme moyen pédagogique à des sujets mauvais, vicieux ou malades.

Avec l'intuition d'un génie précurseur, Durand (de Gros) avait bien dit, dès 1860: « L'éducation et la médecine de l'âme trouvent dans le braidisme, (c'est-à-dire l'hypnotisme) des moyens d'action d'une puissance inouïe, qui, à eux seuls, portent la découverte de Braid au rang des plus glorieuses conquêtes de l'esprit humain... » Et encore : « Le braidisme nous fournit la base d'une orthopédie intellectuelle et morale qui, certainement, sera inaugurée un jour dans les maisons d'éducation et dans les établissements pénitentiaires... » Puis encore : « Le rachitisme de l'intelligence, les déviations du caractère trouveront en lui (l'hypnotisme) leur orthopédie. >>

C'était beaucoup, certes, que cette conception, que cette prévision d'une haute portée, il y avait le mérite incontestable de l'initiateur, la valeur de l'idée par rapport au fait, mais cela ne suffisait pas pour ranger, dans le domaine des faits positifs, les applications pédagogiques de la suggestion hypnotique, il fallait en un mot la réalisation.

Le mérite en revient surtout au D' Bérillon qui, le premier, a systématiquement soigné par l'hypnotisme des enfants vicieux ou malades

« PreviousContinue »