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écrivait M. le Dr Bérillon. Le sujet trouve facilement la personne, enlève l'épingle, se dirige vers M. Bérillon, dépose l'épingle à gauche du buvard, attend quelques secondes, puis la reprend; il la dépose à droite, attend - puis la reprend encore; il la dépose sur le buvard, puis la reprend de nouveau ; il la dépose en divers endroits de la table pour la reprendre un nombre considérable de fois. Il semble bien qu'à toutes ces nombreuses tentatives, le conducteur répondait non, sile sujet avait pensé à soulever le buvard, le conducteur se fût empressé de répondre oui. Mais le sujet n'y a pas pensé et le conducteur n'a pas pu lui suggérer mentalement cet acte formel, parce que, dans l'espèce, il ne s'agit pas plus de suggestion mentale que de lecture de pensée.

★ * *

C'est ainsi que notre conviction se forme peu à peu au cours des expé riences. Mais il ne suffit pas que notre explication soit simple, plausible, vraisemblable; beaucoup d'hypothèses possèdent ces caractères et restent indéfiniment à l'état d'hypothèses, à moins qu'elles ne soient, un jour, contredites par les faits. L'occasion se présente de confirmer notre interprétation et, par des contre-expériences, de montrer à l'auditoire qu'elle est tout à fait fondée.

Le conducteur ordinaire de notre sujet propose une expérience à laquelle celui-ci a été entraîné et que, d'habitude, il mène à bien. On appelle cela « la scène de l'assassinat ». On suppose que Mme X. a frappé M. Y à tel endroit du corps, avec telle arme, parce que M. Y. a volé à Mme Z. tel objet. Le sujet devra désigner Mme X. (l'assassin présumé), M. Y., (la victime), l'endroit de la blessure (plante du pied), l'arme employée (l'épingle à chapeau de Mme A.), Mme Z., qui a été volée, et l'objet dérobé (sa broche).

Cette expérience impressionne, par sa complexité; celle-ci n'est qu'apparente. En somme, il s'agit d'une suite de recherches successives, lesquelles, prises séparément, ne sont ni plus faciles, ni plus difficiles que toutes celles qui viennent d'être effectuées.

J'accepte très volontiers d'être, cette fois, le conducteur.

Je ne propose pas de suggestionner mentalement le sujet, sans qu'il me touche en aucune manière; je suis trop convaincu de l'échec qui l'attend et aussi du refus qu'il m'opposera. D'ailleurs, notre rôle est, dans la circonstance, de nous soumettre docilement au modus operandi exigé par le sujet, libre à nous d'en faire la critique.

Il s'obstine à maintenir ma main contre sa tempe; je m'y prête. Mais j'ai soin de rendre ma main et mon bras aussi flasques, aussi inertes, aussi passifs qu'il m'est possible; j'avance, si le sujet m'entraîne ; je recule, s'il me fait reculer; je ne fais aucun mouvement spontané ; je supprime consciemment toute espèce de contraction musculaire, de tressaillement ou d'acquiescement; je le prive de tout ce qu'il a trouvé jusqu'alors chez ses conducteurs habituels, sauf de la suggestion mentale. Je veux mentalement, de toute la force de mon vouloir, l'acte qu'il doit

accomplir. Mais le sujet tâtonne, peine, presse nerveusement ma main, apparemment pour provoquer ou pour arracher une indication, un aveų, une direction; mais ma main reste inerte... De guerre lasse, il se déclare très fatigué et avoue qu'il ne peut rien trouver.

Loin de triompher insolemment, j'explique à l'auditoire que si le sujet a échoué, c'est que j'ai systématiquement supprimé en moi tous ces mouvements minuscules qui accompagnent d'ordinaire la représentation intense d'un acte ou d'un geste. Uniquement réduit à lire ma pensée, il ne l'a point lue, comme il fallait s'y attendre. Mais on peut faire varier les conditions de l'expérience. « Je vais, ajouté-je, ne plus exercer aucune espèce de contrôle sur les contractions musculaires de mes doigts; je ne m'appliquerai qu'à vouloir mentalement. Dans ces nouvelles conditions, l'expérience réussira tout aussi bien qu'au début de la séance. Le résultat annoncé ne se fait pas attendre.

Ainsi, plusieurs fois de suite, suivant que je pratiquais l'inhibition de mes mouvements fibrillaires ou que je leur laissais leur libre développement, j'annonçais à l'auditoire que le sujet serait incapable de réussir ou qu'il allait réussir sans peine. Pas une fois, mes prévisions n'ont été démenties.

Les sujets qui pratiquent ces sortes d'expériences ne sont pas tous dans le même état psychologique. Au début, ils exercent, pour ainsi dire, automatiquement et machinalement cette faculté qui les étonne eux-mêmes; leur subconscient interprète le subconscient du conducteur ; ils ressemblent au pendule de Chevreul; ils subissent, sans la soupçonner, la direction que leur imprime la dynamique musculaire de la personne dont ils tiennent la main: tout se passe à l'insu de leur pleine et claire conscience. Mais, au fur et à mesure qu'il multipliera ses expériences, ce sujet comprendra que tout ce qu'il peut apprendre du conducteur, il l'apprend par le toucher et par le sens musculaire; aiguillonné par le besoin et l'habitude du succès, il concentrera toute son attention sur ses sensations digitales ou palmaires: il sera à l'affût du moindre tressaillement et il l'interprètera avec la pleine conscience de ce qu'il fait. Puis, comme certains conducteurs sont à la fois sans défense et sans méfiance, ce sujet sera tenté, non plus seulement d'enregistrer leurs contractions musculaires inconscientes, mais, il les appellera, les suscitera, les provoquera; par certaines pressions brusques et saccadées, en utilisant la fatigue et l'énervement du conducteur, il saura soutirer de celui-ci toutes les indications utiles. Arrivé à cette étape, le sujet n'est plus guère qu'un habile prestidigitateur.

Quant au jeune homme à l'occasion duquel sont écrits tous ces commentaires, je ne le crois pas encore arrivé à la dernière étape; mais il me parait aussi n'en être déjà plus à la première.

On peut distinguer aussi plusieurs sortes de conducteurs. Les uns ont une volonté molle, leur représentation mentale du mouvement est

faible; ils n'ordonnent pas avec tout leur être ; ils ne « rendent » pas, comme on dit vulgairement; ils sont d'un médiocre secours et, avec eux, l'expérience échoue le plus souvent. Quant à ceux qui se mettent sur la défensive, s'observent, inhibent toute espèce de mouvement, ils sont aussi de mauvais conducteurs: je l'ai fait un certain nombre de fois au cours de la séance dont il s'agit ici, mais dans un but uniquement expérimental, afin de démontrer qu'on devait dissocier et distinguer deux facteurs à savoir la suggestion mentale pure, d'une part, les mouvements musculaires de l'autre. Les conducteurs véritablement bons se donnent sincèrement; ils n'ont aucun désir de critique; ils n'essaient même pas de comprendre le mécanisme du rôle qu'ils jouent; ils se contentent de vouloir pleinement, avec toute l'énergie dont ils sont capables, tel acte déterminé et, aux interrogations tactiles du sujet, ils ne manquent pas de répondre musculairement par oui ou par non. Il y a plus. Quand le conducteur est un convaincu qui désire ardemment le succès de l'expérience, il la favorise de toutes ses forces, mais, inconsciemment, je l'accorde, par des mouvements musculaires plus intenses, par des oui et des non beaucoup plus catégoriques. Si enfin le conducteur est un parent ou un ami du sujet, s'il est une sorte de barnum, si l'on se trouve dans une salle de spectacle, si des questions d'amourpropre, de réputation et surtout d'intérêts pécuniaires sont en jeu, conducteur échappera difficilement au soupçon de jouer simplement le rôle de compère. Il est si facile en effet que, par suite d'une convention établie entre le conducteur et le sujet, tel tressaillement musculaire signifie oui et tel autre non! Or nous avons vu que, pour un sujet intelligent, doué d'un esprit inventif, ces simples réponses affirmatives ou négatives, suffisent pleinement à la réussite des expériences en apparence les plus difficiles.

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Si, au lieu de venir très sincèrement se soumettre à notre examen, le sujet avait envoyé de Salonique des relations de ses nombreuses expériences ou s'il les avait publiées dans un copieux article de Revue, beaucoup de personnes, bien intentionnées et très sincères, je le reconnais, mais facilement crédules, n'auraient pas manqué de proclamer triomphalement: « Voilà de nouvelles preuves indiscutables de lecture de pensée ! » Au contraire, il a eu, les uns diront la candeur, nous, nous dirons la loyauté de venir en personne nous demander notre appréciation. Nous devons à la fois l'en féliciter et l'en remercier. Il nous a fourni l'occasion de remettre une fois de plus les choses au point et de séparer l'ivraie du bon grain; nous avons montré que là où tant de gens persistent à voir des faits nouveaux et étranges, il s'agit de phénomènes, réels sans doute, mais pas le moins du monde surnaturels et, en tous cas, très facilement explicables; dans une certaine mesure, nous avons rempli le rôle sanitaire d'une sorte de Conseil d'hygiène intellectuelle; nous avons participé à l'œuvre que Durand de Gros appelait la Scientification du merveilleux. D'autre part, nous avons rendu service

au sujet lui-même; car, en l'éclairant sur la valeur exacte de ce qu'il considérait comme une extraordinaire faculté, en lui montrant qu'il n'y a là rien qui soit inédit ou qui doive révolutionner les esprits, nous lui avons peut-être évité des déconvenues et des déboires ultérieurs. Par surcroît, notre démonstration a eu la bonne fortune de ramener à la saine interprétation des faits, plusieurs assistants qui, jusqu'alors, avaient été des zélateurs ardents des explications extra scientifiques. Décidément, nous n'avons pas, ce soir-là, perdu notre temps...

La lecture de pensée chez les animaux.

par M. LÉPINAY, professeur à l'Ecole de Psychologie.

M. le Dr Farez vient de nous exposer avec beaucoup de clarté et de précision l'examen qu'il a fait d'un jeune homme liseur de pensée. Il nous a démontré que ce prodige n'avait rien de surnaturel, mais qu'il usait en somme d'un subterfuge; que la main du conducteur qu'il prenait et s'appliquait à la tempe, constituait un récepteur merveilleux et involontaire, lui transmettant les moindres mouvements, les moindres impressions, mouvements et impressions qui lui permettaient de deviner. Et bien, si, parmi les bipèdes, la lecture de pensée, est l'exception, parmi les quadrupèdes c'est la règle.

Nos chiens et chats, pour ne citer que ces deux espèces, nous en donnent de merveilleuses preuves tous les jours.

Ils agissent à la manière des escrimeurs, ils nous fixent et arrivent rapidement à deviner nos projets, nos ordres, nos intentions.

Il est bien évident qu'ils ne devinent pas plus que le bipède, mais ils interprétent notre regard; ils comprennent rapidement si c'est la colère, ou la bienveillance, si nous allons frapper ou caresser, dans le premier cas ils fuient, dans le second ils s'approchent. Il est probable que « le célèbre chien de Jean de Nivelle, qui fuit quand on l'appelle, » était un liseur de pensée recevant moult corrections.

Les animaux interprétent nos gestes, aussi petits soient-ils, et comprennent si nous allons sortir, leur donner à manger, etc., etc.

On a exposé nombre d'animaux liseurs de pensée et toujours les observateurs ont constaté qu'en réalité ils interprétaient un geste, un clignement d'yeux de leur barnum.

Cependant on vient de montrer dans des cercles des plus fréquentés de Berlin, un chien basset qui paraît être un véritable liseur de pensée.

Le chien a été mis plus de 20 fois, par des personnes différentes, son maître présent ou absent, devant un jeu de cartes ou un certain nombre d'objets divers, à chaque fois et, sans la moindre hésitation, après avoir fixé les yeux de celui qui pensera à l'une des cartes ou à l'un des objets, il a pris et apporté l'une ou l'autre.

Ce chien est doué du don d'interprétation au plus haut degré, mais, bien entendu, il n'a pas une double vue.

Séance du mardi 17 décembre 1901. Présidence de M. Jules VOISIN.

La séance est ouverte à 4 h. 40.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

La parole est donnée successivement à MM. Maurice Bloch, Bérillon et Paul Farez pour les communications inscrites à l'ordre du jour.

M. le secrétaire général prononce l'éloge du Dr Tokarsky (de Moscou) qui fut un des présidents d'honneur du 2o congrès de l'hypnotisme et l'un des représentants les plus autorisés de la psychothérapie en Russie. La séance est levée à 6 h. 45.

L'auto-microsthésie et l'incoordination motrice

par M. le Dr Maurice BLOCH.

A la suite d'un auteur allemand qui a décrit sous le nom de microsthésie une maladie du toucher, caractérisée par l'altération des sensations de poids et de volume, je vous ai demandé de désigner avec moi sous l'appellation d'auto-microsthésie, le même symptôme lorsque le malade au lieu de rapporter ses sensations à des objets ou à des personnes étrangères les rapporte à lui-même.

Je vous ai rapporté à ce sujet l'observation d'une dame qui se plaignait de trouver à la palpation son thorax rétréci, sa tête diminuée, en un mot de maigrir, alors qu'il n'en était rien.

Je désire aujourd'hui signaler à votre attention l'histoire d'un tabétique. M. P... est âgé de 45 ans. ; c'est un ancien syphilitique. Il présente les signes essentiels du tabès douleurs fulgurantes, abolition des réflexes, symptôme d'Arghyll-Robertson, incontinence d'urine, etc. Grâce à une rééducation soignée, il est parvenu à corriger son incoordination, mais pendant trois mois il n'a pu marcher que très difficilement en raison disait-il de l'étroitesse et de l'exiguité de ses pieds.

Le malade avait parfaitement conscience de son erreur, mais, pour guérir, il a eu besoin des secours de la suggestion.

J'ai pensé que ce nouveau cas d'auto-microsthésie pourrait peut-être éclairer le problème de la basophobie, c'est pourquoi j'ai cru utile de vous le signaler.

Psychopathie religieuse. Le Martyre de Robert d'Arbrissel Par M. le Dr Henry LEMESLE, professeur à l'Ecole de Psychologie

Afin de conserver leur vertu, les premiers Pères de l'Eglise, fuyant la femme, se sauvèrent au désert. Le XIe siècle à son déclin vit s'élever un esprit plus solidement trempé qui réprouva cette manière de capi

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