Page images
PDF
EPUB

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du mardi 14 Janvier 1902. - Présidence de M. Jules VOISIN.

La séance est ouverte à 4 h. 40.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

MM. Le Menant des Chesnais, Paul Farez, Félix Regnault, Henry Lemesle, Bérillon et Paul Magnin font les communications inscrites à l'ordre du jour. Prennent la parole dans les discussions, outre les auteurs des communications, MM. Aragon, Lépinay, Jules Voisin et Lionel Dauriac.

M. Henry Lemesle prend la parole au sujet de la pétition adressée au Parlement par les magnétiseurs ; il propose de mettre aux voix la motion suivante, qui est adoptée à l'unanimité des membres présents:

En conformité des conclusions formulées par le Congrès de l'Hypnotisme de 1900, la Société d'Hypnologie et de Psychologie émet le vœu que l'hypnotisme thérapeutique, alors même qu'il est employé sous le nom de « magnétisme », soit soumis à la loi du 30 mars 1892. La séance est levée à 6 h. 45.

La définition de la suggestion

Par M. le Dr Félix REGNAULT.

Dans la communication de M. Babinski sur la définition de la suggestion, cet auteur rappelle celle qui se trouve dans le dictionnaire de Littré: « insinuation mauvaise ». Cette définition est défectueuse et abandonnée depuis longtemps; en effet, la qualité de mauvaise est très relative; ce qui est mauvais pour l'un est bon pour l'autre. D'ailleurs, depuis longtemps on parle de suggestion thérapeutique, c'est-à-dire de suggestion éminemment utile.

Pour conserver au terme suggestion la définition du dictionnaire, M. Babinski propose d'employer le mot persuasion pour suggestion utile. C'est détourner ce mot de son acception habituelle. Persuader, indique qu'on emploie comme arguments des sentiments. Il existe plusieurs mots qui ont été fort bien employés par le public, et que les psychologues ont à tort détournés de leur acception. Examinons-les en prenant un exemple. Un officier veut entraîner ses soldats à l'assaut :

Il se précipite tout simplement en avant, ses soldats le suivent machinalement, c'est de l'imitation. L'imitation pure se rapproche d'un réflexe cérébral.

Il crie: << en avant!» Le soldat avance machinalement, c'est de la suggestion. Le cri a éveillé l'idée de l'acte qui est accompli.

Il leur tient un discours pour éveiller leurs sentiments: Vous ne laisserez pas en péril l'honneur du régiment, la Patrie a les yeux sur vous, etc., il les persuade.

Il emploie des arguments: Le premier qui refuse d'avancer, je lui brûle la cervelle, ou : celui qui recule sera exécuté par les gendarmes qui surveillent les fuyards; il convainc ses soldats.

Il peut enfin employer un raisonnement serré : Vous aurez plus de chance de mourir en reculant, frappés à la fois par les balles des ennemis et celles des gendarmes, qu'en avançant. Donc il vaut mieux avancer : ceci est une démonstration.

Jusqu'à présent on a englobé : l'imitation, la suggestion, la persuasion, la conviction et la démonstration sous le terme général de suggestion. On peut continuer ainsi, à la condition qu'on veuille distinguer à l'occasion ces diverses variétés ; cela est d'autant plus important que, suivant le caractère du sujet hystérique ou hypnotisé, un de ces moyens réussira de préférence aux autres (2).

Traitement hypnotique d'un cas de névrose trémulante
chez une femme de 76 ans

Par M. le Dr Paul FAREZ

Mme V... est âgée de 76 ans; elle a deux enfants bien portants, dont l'un est âgé de 53, l'autre de 50 ans; elle est veuve depuis l'âge de 62 ans ; elle a été ménopausée à 51 ans. Jusqu'à il y a deux ans, elle a toujours joui d'une bonne santé.

Quand je la vois pour la première fois, elle présente un tremblement de la tête et des membres supérieurs. Ce tremblement, d'un rythme régulier, est moyen comme amplitude et rapidité; il s'effectue dans le sens horizontal, disparaît pendant le sommeil et s'exaspère dans les mouvements volontaires; il affecte aussi la langue et les lèvres, car la parole est trémulante; il est devenu assez intense pour empêcher cette femme de vaquer aux soins de son ménage et surtout de gagner sa vie comme par le passé en faisant des travaux de couture.

Les caractères de ce tremblement et l'âge de Mme V... donnent, de prime abord, l'impression qu'il s'agit d'un tremblement sénile. Toutefois ce diagnostic comporte certaines réserves.

En effet, il y a deux ans, Mme V... est un beau jour prise de frissons; elle se met à grelotter et à trembler; il s'est agi, paraît-il, d'une congestion pulmonaire qui mit sa vie en danger et qui la retint au lit pendant six semaines. La convalescence dura longtemps; cette femme resta pendant quelques mois débilitée.

Six mois après cette maladie, comme elle vient de faire chez elle un

(1) Voir Babinski, Soc. neurologie de Paris, 7 novembre 1901.

(2) Voir pour plus de détails Revue de l'Hypnotisme 1900, p. 164, et 1896, décembre.

[ocr errors]

nettoyage à grande eau, elle ressent un frisson très intense et se remet à trembler; elle croit à l'imminence d'une nouvelle congestion pulmonaire. Cette affection ne se déclare pas, mais le tremblement persiste pendant quinze jours.

Un an après, elle est prise de diarrhée cholériforme qui dure huit jours et l'affaiblit au point de nécessiter le repos absolu au lit: ce tremblement réapparaît; petit à petit Mme V... devient de plus en plus incapable de se servir de ses mains, comme aussi de gagner sa vie en coulissant de grands rideaux, ainsi qu'elle l'avait fait jusqu'alors.

Il y avait plusieurs mois qu'elle était dans cet état, lorsqu'elle vit notre collègue le Dr Manfroni, venu de Turin à Paris pour compléter son instruction médicale et s'initier à la pratique de l'hypnotisme.

Le Dr Manfroni hypnotisa plusieurs fois Mme V... et, grâce à la suggestion, l'améliora beaucoup. Au moment de quitter Paris, pour aller fonder à Coni sa clinique infantile, il me demanda de m'occuper de Mme V..., ce que j'acceptai avec empressement. Mais la malade laissa passer quelques semaines avant de venir me voir et elle ne s'y décida qu'après avoir perdu en grande partie le bénéfice de l'amélioration réalisée par le Dr Manfroni.

Je note que Mme V... est très impressionnable: une émotion, une contrariété, une attente prolongée, la moindre préoccupation, exaspèrent son tremblement. Jadis, lorsque son mari mourut, elle se trouva désemparée; elle crut même qu'elle ne pourrait pas toute seule « supporter le fardeau de l'existence » et elle désira vivement mourir aussi. Toute sa vie elle a été une inquiète. Aujourd'hui, elle a des insomnies rebelles pendant lesquelles elle se lamente sur son état et entretient son émotivité. Elle n'ose même plus lire un journal, car le récit du moindre accident la bouleverse au plus haut point.

Son tremblement offre la symptomatologie du tremblement sénile; il n'est point polymorphe, comme l'est souvent le tremblement hystérique; et, d'autre part, Mme V... ne présente point de stigmates manifestes d'hystérie. Cependant nous savons que les maladies inflammatoires, fébriles, infectieuses, les intoxications, aussi bien que le surmenage, la débilité, les privations, etc., peuvent faire appel à une hystérie latente. Aussi étant donné ce qu'a présenté cette femme depuis deux ans, son état mental et son hyperesthésie psychique actuelle, je ne suis pas éloigné du tout de considérer son tremblement comme étant de nature hystérique. A la faveur d'une affection inflammatoire et de la débilité, l'hystérie se serait installée et développée ; elle aurait de la sorte conditionné et entretenu le tremblement.

Quoi qu'il en fût, je me suis mis en devoir d'hypnotiser Mme V... J'y suis parvenu avec autant de facilité que chez bon nombre de nos malades beaucoup plus jeunes; et très rapidement l'action bienfaisante de la suggestion s'est manifestée. Bientôt Mme V... dort la nuit d'un bon sommeil pendant six ou sept heures consécutives; son impressionnabilité diminue et le calme renaît dans son esprit. Pendant la journée elle reste

quelquefois une heure entière sans trembler du tout; quand le tremblement revient, elle se trouve de plus en plus capable de l'arrêter ou de le suspendre. Au bout de quelques séances, elle peut, sans en répandre une seule goutte, monter un plein bol de lait de chez la crêmière à son logement situé au quatrième étage. Finalement elle reprend son aiguille et se remet à gagner son salaire quotidien.

Cette courte observation m'amène à insister sur les points suivants et à les mettre en vedette:

[ocr errors]

I. Tout d'abord, l'hystérie peut apparaître très tard. Dans une de ses dernières cliniques, le professeur Raymond rappelait qu'il l'avait vue débuter non seulement à 30, 40, 60 ans, mais même après 80 ans.

II. En second lieu, on doit toujours penser à l'hystérie, même chez les vieillards, toutes les fois que l'on aura constaté quelqu'une de ses causes provocatrices habituelles, à savoir maladie inflammatoire, ou infectieuse, intoxication, surmenage, débilité, misère physiologique, etc.

III. En outre, certains tremblements sont, chez les vieillards, abandonnés à eux-mêmes sous prétexte qu'on les a étiquetés séniles et qu'on les attribue à l'affaiblissement ou au grand âge. Dans certains de ces cas, ils peuvent être de nature hystérique et comme tels justiciables de la suggestion que l'on devrait bien employer au moins dans les cas douteux.

[ocr errors]

IV. Bien plus, on tend aujourd'hui à englober dans un genre unique que l'on dénomme Névrose trémulante les trois espèces de tremblements héréditaire, hystérique, sénile. Le tremblement sénile proprement dit est donc à l'heure actuelle considéré comme une névrose. L'avenir nous dira si la suggestion ne peut pas améliorer cette névrose sénile même lorsqu'aucun signe ne peut faire penser à l'hystérie franche. Pour n'être qu'hypothétique cet espoir n'est point illégitime, puisque la suggestion s'est déjà montrée efficace dans certains autres cas de névrose trémulante non sénile et non hystérique, ainsi que j'en ai par exemple rapporté une observation il y a quelques années.

V. Enfin, par un de ses côtés, le cas que je viens de rapporter, réfute une opinion erronée d'après laquelle certains enfants et une minorité d'adultes pourraient seuls être hypnotisés. Le grand âge ne confère pas aux vieillards une immunité à l'égard de l'hypnotisme. Outre Mme V... qui avait, on s'en souvient, 76 ans lorsque je l'ai soignée, je pourrais signaler le cas d'une autre femme, âgée de 70 ans, et dont j'ai eu à m'occuper, il y a deux ans, pour une obsession passionnelle avec mélancolie, dégoût de la vie et idées de suicide. A la stupéfaction d'un confrère de province qui m'avait appelé en consultation auprès de cette malade, je l'ai endormie très facilement dès la première séance. A son réveil elle éprouva un tel bien-être qu'elle s'écria toute extasiée: « On dirait que je suis dans le Paradis ! » J'accorde que cette dernière malade avait l'allure d'une hystérique. J'y insiste même pour contribuer

à montrer qu'en dehors des enfants, des jeunes filles, des femmes adultes, et même des hommes faits, l'hystérie peut encore, en dépit de l'opinion courante, se manifester chez les personnes d'un âge très avancé.

Fausses grossesses nerveuses

Par M. le Dr LE MENANT DES CHESNAIS

L'expression courante de grossesse nerveuse est incomplète au point de vue scientifique puisqu'elle caractérise un état où la grossesse n'existe pas. Il en est de même de l'expression: fausse grossesse, sans autre qualificatif, puisqu'il y a une autre fausse grossesse : celle où par une dégénérescence de l'ovule ou de ses enveloppes il se forme simplement dans l'utérus une prolifération vésiculaire connue sous le nom de môle.

Appelons donc fausse grossesse nerveuse l'ensemble de ces phénomènes dont j'apporte deux observations avec le désir de provoquer parmi nous une discussion au point de vue psycho-physiologique. Notre Société, en effet, est une sorte d'avant-garde scientifique composée de pionniers dont le but, quelles que soient les opinions philosophiques de chacun de nous, est de rechercher en toute occasion, les rapports qui existent entre la vie psychique et la vie organique, afin de préciser par des faits l'influence que le moral peut avoir sur l'harmonie fonctionnelle de notre organisme, et dans la pathologie des affections nerveuses.

Voici tout d'abord mes deux observations :

Une dame de 40 ans a eu d'un premier mariage une fille aujourd'hui âgée de 18 ans. Remariée il y a 7 ans, elle regrette vivement de n'avoir pas d'enfants de ce second mariage.

Elle me consulta un jour sur un retard de ses règles. Comme sa santé générale est bonne, j'émets l'opinion de la possibilité d'une grossesse, et je remarque la grande joie qu'elle en éprouve. Les mois suivants, les règles continuent à ne pas paraître, et ma cliente ne doute plus de sa grossesse.

Cependant au sixième mois, comme je lui fais remarquer que son ventre paraît, à travers ses vêtements, peu développé, elle s'empresse de me répondre qu'elle est bien sûre d'être enceinte, puisqu'elle sent de temps en temps les mouvements de l'enfant. En même temps, elle ne manifeste aucun désir d'un contrôle qui aurait pu trancher la question.

Enfin au neuvième mois, un soir, elle me fait appeler. Depuis quelques jours, il lui semble que son ventre a baissé, elle se souvient qu'il en fut de même lors de sa première grossesse. Depuis le matin, elle ressent des petites douleurs dans les reins, et une pesanteur dans le bas-ventre.

« PreviousContinue »