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cinq ans sur 22 aliénés traités par la suggestion hypnotique, 14 avaient été complètement guéris. En 1896, au Congrès de Munich, la statistique de ses guérisons comportait 42 cas (').

Toutefois, Auguste Voisin avouait qu'il n'avait guère pu hypnotiser plus de dix aliénés sur cent. Cette proportion est considérable si l'on songe qu'avant lui tous les aliénés étaient réputés réfractaires à l'hypnotisme; elle est infime si l'on considère le grand nombre des malades que l'on pressent devoir être améliorés par la thérapeutique psychique et devant lesquels on enrage de demeurer presque impuissant, faute de pouvoir les suggestionner.

Or, si un aliéné, pris à l'état de veille, se montre ouvertement hostile à toute intervention thérapeutique et refuse avec entêtement de se laisser hypnotiser, si, d'autre part, sans manifester de résistance, il offre un esprit ou trop obsédé ou trop distrait, n'insistez pas outre mesure, ne perdez pas un temps précieux, ne risquez pas de vous énerver, de vous impatienter et de vous décourager. Attaquez-vous au malade pendant qu'il dort de son sommeil naturel; consentez à appliquer une technique, sans doute, longue, minutieuse et délicate, mais, en somme, simple, commode et à la portée de tous. Votre suggestion pourra ainsi impressionner fortement votre aliéné en dehors de son consentement, à son insu, pour ainsi dire malgré lui, à un moment où il sera presque sans défense et n'essayera guère de résister; vous l'aurez devant vous calme, tranquille et passif; vous lui appliquerez en toute sécurité la thérapeutique morale, soit simplement palliative, soit véritablement curative.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 21 Mai 1901. - Présidence de M. Jules VOISIN.

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La séance est ouverte à 4 h. 30.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

M. le Secrétaire général annonce à la Société qu'un de ses membres, M. le Dr Déjerine, agrégé, médecin de la Salpêtrière vient d'être nommé

(1) Marchant sur les traces d'Auguste Voisin, de nombreux médecins ont obtenu des succès en appliquant la thérapeutique psychique au traitement de l'aliénation, en particulier, MM. Burkhardt, Burot, Bérilion, Dufour, Van Eeden, Farez, Grasset, von Krafft-Ebing, Ladame, Lombroso, Van Renterghem, Repoud, Séglas, von Schrenck-Notzing, Tokarsky, Jules Voisin, etc.

professeur d'histoire de la médecine et de la chirurgie à la Faculté de Médecine de Paris. La Société vote à l'unanimité des félicitations à M. le Professeur Déjerine et charge M. le Secrétaire Général de les lui transmettre.

MM. Henry Lemesle, Félix Regnault, Lionel Dauriac, Watteau et Bérillon prennent successivement la parole pour faire les communications portées à l'ordre du jour.

La séance est levée à 6 h. 35.

Ce qu'il faut entendre par la suggestion

Par le Dr Félix REGNAULT

Il semble que la définition de la suggestion soit fort simple. Pour tout le monde, suggestionner signifie imposer sa volonté au moyen de simples ordres. Mais en psychologie la suggestion s'est étendue à nombre de faits qui sont pourtant bien différents.

Prenons des exemples.

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IMITATION. Certains sujets en état de fascination ou de somnambulisme, imitent servilement tous les mouvements, les gestes et les paroles (écholalie) de l'opérateur. De même certains aphasiques conservent le pouvoir de répéter ce que l'on dit. Si on commande à un sujet << marche » et que ce sujet répète « marche » sans bouger, cet acte d'imitation est bien différent de celui de suggestion qui consiste à obéir et à marcher. On ne confondra pas ces deux faits en les définissant de même.

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AUTOMATISME.

Les pensées et les actes automatiques, nombreux chez le sujet normal, sont également fréquents à l'état hypnotique. Les somnambules exécutent des actes, ont des pensées en apparence intelligents, mais en réalité automatiques qu'on ne peut confondre avec la suggestion.

Prenons une expérience d'automatisme bien connue. On met un mouchoir dans les mains d'un somnambule, il se mouche, puis plie son mouchoir, le met enfin dans sa poche.

Pour le suggestionner, il aurait fallu lui donner l'idée de se moucher; le commandement interprété par le cerveau entraîne l'acte : il y a participation active du cerveau.

Au contraire, la sensation passive du mouchoir dans la main amène mécaniquement une série d'actes: c'est de l'automatisme.

Les actes du médium sont automatiques et non point dus à la suggestion. L'expérience de Chevreul révèle bien cette origine si on tient un pendule à la main et qu'on le fixe avec attention, on lui communiquera des mouvements oscillatoires dont on n'aura pas conscience.

Cette expérience qui nous révèle l'existence d'actes automatiques et inconscients, explique ceux plus accentués qui se produisent:

Dans l'expérience de Cumberland, recherche d'un objet en tenant par

la main celui qui l'a caché : on se guide sur les mouvements inconscients de la main, qui sont d'autant plus forts que l'on se rapproche de la cachette.

Chez les sourciers. Recherche des sources et des trésors on se guide sur les mouvements de la baguette divinatoire tenue dans la main. Ces mouvements sont communiqués par le sourcier lui-même bien qu'il n'en ait pas conscience.

Dans l'expérience des tables tournantes, ce sont les personnes attablées qui font elles-mêmes tourner les tables.

Chez les médiums. Ils répondent aux questions qui leur sont faites, ou encore écrivent ces réponses. Il s'agit encore d'automatisme inconscient et non de suggestion; car il est évident que personne ne lui suggère ses réponses; bien mieux, souvent ces dernières suggestionneront l'entourage. Le médium est dans un état hypnotique qui rappelle celui du somnambule. Chez lui comme chez le sujet soumis aux expériences de Chevreul et de Cumberland, comme chez le sourcier et l'amateur de tables tournantes, il y a un dédoublement de la personnalité, l'une, consciente, assiste avec étonnement aux actes automatiques et inconscients de l'autre.

Une curieuse expérience met en évidence l'automatisme de nos pensées. Si on demande à quelqu'un de penser à une carte, on évoquera les figures les plus simples, le roi, la reine, etc... Si on présente des cartes disposées en éventail, on prendra de préférence celles qui sont au milieu. Et on est persuadé avoir choisi. En réalité, la pensée estici automatique, elle a agi suivant le mode le plus simple, le moins pénible. Et celui qui en profite pour deviner la carte pensée ou choisie est-il un suggestionneur? Non, car il n'a rien suggéré, mais il a simplement tiré profit de sa connaissance de l'esprit humain : c'est un adroit psychologue.

HABITUDE. Qu'il s'agisse de pensées ou d'actes, il convient de définir l'habitude, la tendance à la répétition de toute excitation neurique. Quelle que soit la cause de la première excitation, automatisme, imitation, suggestion ou raisonnement, toute pensée ou tout acte une fois produits tendent à devenir habituels. Ainsi on redit à satiété le même refrain, le même calembour, le même mot d'esprit, etc., etc. Il importe de ne pas confondre des pensées et des actes d'habitude avec la suggestion.

Prenons un exemple dans le livre de M. Binet sur la suggestibilité. Ce psychologue arrive par d'ingénieuses expériences à créer des habitudes de pensée ('). Il donne à examiner à des enfants une série de lignes de plus en plus grandes, puis il en montre deux ou trois égales. Certains enfants, accoutumés à la progression, peuvent les affirmer de plus en plus grandes. On les a trompés en leur créant des idées directrices ou mieux, des habitudes, mais on ne les a pas

(1) A. BINET : La suggestibilité. Paris, Schleicher, éditeur.

suggestionnés. L'idée directrice, elle-même, est fondée sur un jugement juste: mais une fois l'habitude acquise, celle-ci s'est substituée à la raison. Pour qu'il y ait suggestion, il faudrait que l'expérimentateur affirmât à l'enfant que la ligne est plus grande alors qu'elle est égale. Ces faits devraient être rangés au chapitre répétition des actes et habitude et non à celui suggestion.

Pour montrer combien l'analyse des faits psychiques est parfois complexe, prenons une expérience du même genre; le vulgaire jeu de pigeon vole. Il y a à la fois dans ce jeu : 1o de la suggestion, car on affirme, par exemple, « cochon vole » pour faire lever les mains, 2o de l'imitation, car on lève la main pour que les autres fassent de même, et 3° de l'habitude d'actes, car on fait lever plusieurs fois de suite les mains en énonçant des animaux qui volent réellement, puis on en dit un qui ne vole pas, et les mains continuent à se lever. Ce jeu, en apparence si simple, est donc une expérience psychologique très complexe.

Nous avons examiné plus haut les mouvements automatiques; ceuxci peuvent se répéter et devenir habituels. Prenons l'expérience suivante de M. Binet: l'enfant regarde à gauche un métronome et tient dans sa main droite qui doit être comme morte, une des deux extrémités d'un balancier. Un écran sépare ce dernier du métronome. L'expérimentateur dit à l'enfant de compter attentivement les battements du métronome et, saisissant l'extrémité du balancier, il accompagne ces battements de mouvements isochrones. Après avoir ainsi amorcé le mouvement, il abandonne le balancier. La main de l'enfant qui serre ce dernier, accoutumée au mouvement, peut continuer à le produire d'une façon inconsciente.

Ces mouvements varient chez le même sujet suivant les expériences; ils sont d'autant plus constants que le sujet est plus jeune.

Ces mouvements automatiques, répétés par habitude, sont bien différents de mouvements analogues qu'on obtendrait par suggestion car ceux-ci auraient pour point de départ l'ordre donné au sujet de balancer son bras. Il y aurait participation active du cerveau qui interpréterait cet ordre.

On peut modifier l'expérience en mettant une plume dans la main d'un enfant et en la lui cachant par un écran. Cette main doit être molle, on la prend et on lui imprime quelques mouvements graphiques, puis on l'abandonne doucement à elle-même. La main peut alors continuer l'impulsion acquise et exécuter un gribouillis.

Si on répète l'expérience, elle se perfectionne et on peut arriver à l'écriture médiumique.

Ceci est encore de l'automatisme et non de la suggestion. Le gribouillis est formé de jambages tous semblables; il est produit par des mouvements de la main automatiques et se répétant par habitude. Quand ce gribouillis devient de l'écriture, le cerveau intervient; il fournit des pensées que la main exprime par des lettres et des mots variés.

Mais ces pensées elles-mêmes sont automatiques; aucun ordre ne les a suggérées.

La répétition des mouvements s'observe également à un certain degré d'hypnose. Pour les produire, on prend les bras du sujet et on les fait tourner en cercle l'un autour de l'autre : ce mouvement continue indéfiniment. C'est là un acte passif et automatique continué par habitude.

Au contraire, la suggestion consisterait à ordonner au sujet de tourner ses bras indéfiniment.

Les actes automatiques des somnambules sont aussi d'ordinaire habituels; ce sont des actes répétés qui ont déjà été accomplis pendant la vie normale. Ils se produisent sans qu'on les ait suggérés.

Certains pourront trouver ces questions bien stériles. Il importe pourtant de les résoudre, ne fut-ce que pour éviter de vaines discussions qui ne reposent que sur un manque d'entente dans les définitions. Mais de plus, l'analyse des faits, la comparaison, le classement sont d'importance capitale en psychologie. Le progrès dans cette science comme dans les sciences naturelles tient à une bonne classification (').

Guérison par la suggestion hypnotique d'un rétrécissement spasmodique du canal de l'urèthre durant depuis trois mois.

- par MM. les docteurs BERILLON et WATEAU.

Un jeune étudiant en médecine, licencié en philosophie, âgé de 20 ans, souffrait depuis près de trois ans de spasmes nerveux du canal de l'urèthre. L'urine s'écoulait en un mince filet ou même goutte à goutte, et la miction nécessitait de grands efforts, à tel point qu'il lui fallait quelquefois exercer avec les mains une forte compression sur le ventre: quelquefois même, mais rarement, malgré tous ses efforts, il n'arrivait pas à rejeter une seule goutte d'urine pendant trois heures consécutives, et, alors, il était en proie à de très vives souffrances. Des crises de cette dernière sorte s'étaient répétées quatre à cinq fois.

Néanmoins, dans ces crises, il n'osait consulter de médecin, de peur de sondages ou d'opérations, se sachant nerveux et attribuant ces phénomènes en grande partie à sa nervosité. D'autre part, une personne très autorisée lui avait dit qu'il ne fallait jamais se laisser sonder qu'en cas d'extrême nécessité. Son médecin habituel lui répétait qu'il n'y avait pas moyen de soigner un paquet de nerfs comme lui, qu'il n'avait qu'à se figurer ne plus être malade et qu'il ne le serait plus en réalité. Mais l'auto-suggestion pure et simple fut toujours impuissante : d'ail

(1) Ce travail fait suite à celui publié dans la même Revue, en décembre dernier, p. 164 Valeur de l'hypnotisme comme moyen d'investigation psychologique.

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