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leurs, psychologiquement parlant, il n'y avait pas grande confiance; il lui fallait le sommeil provoqué et la suggestion directe.

Désirant, dès le commencement de sa médecine, se spécialiser dans la psychothérapie à laquelle le prédisposaient ses études précédentes, il vint nous trouver à la Cliniqne dans de très bonnes conditions, ayant très grande confiance en nous et persuadé que si nous voulions, nous le guéririons radicalement même en une seule séance.

Le sommeil fut provoqué très facilement. Rappelons ici que, la veille, sa certitude d'être guéri par nous le lendemain, avait déjà, d'après son dire, à moitié opéré la guérison. Le succès de cette séance de sommeil fut complet pour plus de sécurité, il revint encore le lendemain nous trouver avant de partir.

Depuis lors, au lieu d'opérer très péniblement la miction dix ou vingt fois par jour, le nombre est redescendu à cinq ou six mictions facíles. L'inhibition suggérée a donc été très bien suivie par l'organisme. Mais, en plus, et sans que nous y ayons été pour rien, notre suggestion a créé des phénomènes de dynamogénie psychique, en ce sens que ce jeune homme qui, par sa seule volonté, ne pouvait pas, auparavant, règler son besoin d'uriner, le peut maintenant, s'il se présente trop fréquent, de façon à ne pas dépasser le nombre fixé.

Cette simple suggestion psychothérapique l'a remis pour ainsi dire en possession de lui-même, lui a redonné son pouvoir d'inhibition personnelle et volontaire sur ses organes génito-urinaires qui, à la faveur de ce spasme simulant si bien un vieux rétrécissement, s'y étaient complètement soustraits pour revenir au pur automatisme fonctionnel.

La guérison dure depuis plusieurs mois tout porte à croire qu'elle est définitive, malgré la brièveté du traitement. Si ce spasme nerveux revenait, quelques suggestions de plus le déracineraient complètement.

Il serait bon d'attirer l'attention sur le traitement psychothérapique de bon nombre de maladies des organes génito-urinaires pour lesquelles opérations et traitements divers ne peuvent qu'offrir des dangers, tandis que de simples suggestions les réduiraient si facilement. Chez bon nombre de sujets nerveux, il ne faudrait recourir à une autre médecine que quand la psychothérapie aurait bien et dûment, et par des mains compétentes, été reconnue incapable de guérir ces troubles qui peuvent affecter les formes les plus diverses. Le cas que nous venons de rapporter en est un exemple frappant.

Discussion

M. Félix REGNAULT. La suggestion a une énorme influence sur la miction. Une preuve suffisante est l'expérience vulgaire des charretiers à leurs chevaux et des mères à leurs enfants. S'ils constatent que la 'miction tarde à se faire, ils la déterminent en disant: Psitt... psitt...

Le Dr Hikmet nous cite un remède populaire en Turquie contre l'incontinence d'urine chez les enfants. Il suffit de faire manger au patient

du rat rôti; mais il faut que l'enfant sache ce qu'il mange, sinon la guérison ne se produirait pas. Le dégoût qu'il éprouve lui procure une secousse nerveuse salutaire. M. Bérillon en rapproche avec raison la pratique ancienne de nos paysans qui faisaient manger une taupe rôtie à l'enfant incontinent.

Je citerai un cas curieux d'incontinence par auto-suggestion chez un névropathe. La vue d'une vespasienne éveillait en lui chaque fois le besoin d'uriner; s'il causait avec quelqu'un, il le quittait posément et se dirigeait tranquillement vers l'édicule. Mais, arrivé à quelques pas, l'idée devenant plus intense, il pressait le pas et finissait par s'y précipiter. S'il ne trouvait pas de place, il bousculait les gens et s'attirait des ennuis. La suggestion améliora son état sans le guérir.

Le jeune violoniste Kun Arpad

Par M. le Professeur Lionel DAURIAC.

Invité par M. le Dr Bérillon à examiner, de concert avec les professcurs de l'Ecole de Psychologie, le jeune violoniste Kun Arpad, je désire vous exposer brièvement mon opinion au sujet de cet enfant qualifié de « prodige ».

La science, comme on le sait, a pour fin de réduire le plus possible le nombre des soi-disant miracles. Elle ne nie pas le rare; elle nie l'extraordinaire. Les comètes sont rares. Leur apparition n'est pas un prodige. Il n'y aura donc point à crier au miracle, s'il arrive à un jeune violoniste de sept ans, tel que le jeune hongrois Kun Arpad d'exécuter des variations de Paganini. D'abord il les a apprises. Il s'y est exercé. Ensuite il ne les joue pas comme les jouerait un Marsick ou un F. Thibaud, Il ne joue ni avec ampleur, ni avec une parfaite justesse. Mais cela tient précisément à ce qu'il est un enfant et que sa main ne présente ni le développement ni la force musculaire d'une main d'adulte. Il joue des morceaux qu'exécutent d'ordinaire des violonistes de vingt ou de trente. ans; il imite ces derniers comme un enfant imite une grande personne; il sait faire avec sa main des mouvements que les enfants de son âge sont d'ordinaire incapables d'accomplir; il se tire de la difficulté ; il reste enfant dans une partie de son jeu. En somme, il jouit d'une précocité remarquable; il possède une extrême rapidité dans le doigté et une étonnante sûreté de mémoire; la nature l'a étonnamment doté; mais il a encore de grands progrès à faire au point de vue de l'ampleur, de la justesse et de la mesure.

En outre, cet enfant compose, mais, là encore, on retrouve l'enfant de son âge. Il compose en ce sens qu'il invente des thèmes. Mais ces thèmes sont courts. Ils sont calqués sur les thèmes que l'enfant est habitué à lire. Son invention est pénétrée d'imitation. Kun Arpad est un admirable précoce. Quand il sera grand, si ces lignes lui tombent sous les yeux, il ne s'offensera pas qu'il se soit trouvé quelqu'un à Paris pour

lui refuser le nom « d'enfant prodige ». La nature ne fait pas de prodiges. Elle ne les fait pas durables. Kun Arpad, lui, qui est très enfant quand il ne joue pas de violon, et qui même, l'archet en main trahit son âge, peut si on sait lui épargner la fatigue, se promettre une longue et belle carrière d'artiste. Il est en avance sur presque tous ses contemporains d'Europe, futurs violonistes. Pour être sûr de garder toujours cette avance il demande à être surveillé, entretenu, mais non surmené.

M. Félix REGNAULT.

Discussion.

Il convient, ce me semble, de distinguer : 1o l'enfant précoce, qui exécute ce que d'autres ne réalisent qu'à un âge plus avancé,

2. l'enfant prodige qui fait ce que l'énorme majorité des humains ne peut réaliser.

En musique, l'enfant précoce sera virtuose, l'enfant prodige compositeur.

Il y a des enfants précoces, mais peut-il exister des enfants prodiges? Les enfants peuvent-ils inventer, faire œuvre originale et géniale ?

Les récits qui courent sur l'enfance de musiciens tels que Mozart et Saint-Saëns, de mathématiciens tels que Pascal et Ampère, sont-ils vrais? Ou bien ne s'agit-il que de témoignages exagérés qu'il importe de soumettre à la critique?

Les compositions d'enfance des grands musiciens ne sont peut-être que des réminiscences très nettes et sans originalité d'œuvres musicales qu'ils ont entendues. De même on se demande si Pascal enfant découvrit réellement les théorèmes d'Euclide, ou s'il en a entendu parler, et s'ils lui sont revenus à la mémoire par une réminiscence inconsciente.

M. Lionel DAURIAC. Sans doute, l'enfant précoce est celui qui, très jeune, fait ce que d'autres ne font qu'à un âge beaucoup plus avancé. Par contre, l'enfant prodige est non seulement précoce, mais il accomplit ce que les autres ne pourront jamais accomplir à aucun moment de leur vie. Pour moi, je nierais volontiers les enfants prodiges; j'estime qu'il n'y en a pas, au sens propre du mot. Que de grands musiciens aient composé, par exemple, des sonates dans leur enfance, cela ne me paraît pas invraisemblable; mais je pose en principe que leurs phrases ressemblent à celles des musiciens antérieurs; elles sortent du sein même des œuvres préexistantes. L'invention musicale est toujours dans une certaine mesure une imitation; ou plutôt, le compositeur va toujours de l'imitation à l'invention; les grandes œuvres ne sont pas toujours les dernières, mais à coup sûr elles ne sont jamais les premières. On a fait remarquer que Kun Arpad n'a aucun grand musicien dans son ascendance; mais les aptitudes musicales peuvent se transmettre sans avoir été apparentes et sans s'être dépensées au dehors. Je me rappelle à ce propos une boutade de Renán: dans un banquet qu'on

lui offrait à Quimper, il rendit un hommage public à ses ancêtres et il les remercia d'avoir pendant plusieurs générations laissé leur intelligence inculte pour permettre à leurs descendants de la dépenser en prodigues.

P. S. - Il m'a été donné récemment, d'entendre à une matinée d'enfants, une jeune fillette violoniste, d'un an à peine plus âgée que Kun Arpad. Elle a joué une transcription de la Chanson du Printemps de Mendelssohn. Elle s'en est tirée, sans trop faire de fausses notes, avec des tout petits sons. Mais elle s'en est tirée. Cette enfant n'est pas donnée comme un enfant prodige, en quoi l'on a raison. Mais en l'écoutant, si je mesurais la grande distance qui la sépare du jeune Kun Arpad, le chemin m'apparaissait long, rien de plus. Il ne me semblait nullement « infranchissable ». C'est là le point. L. D.

PSYCHOLOGIE COMPARÉE

Expérience pratiquée sur un lion, à la ménagerie du Muséum, le 19 mai 1901.

Il nous a paru curieux de chercher à savoir si un grand carnassier comme le lion (sur les facultés psychiques duquel nous ne possédons que des renseignements bien indécis) serait assez « ingénieux » pour ouvrir une boîte au fond de laquelle on aurait placé un appât. Nous avons pensé que le résultat positif ou négatif d'une telle expérience pourrait être commenté d'une façon intéressante au point de vue de la psychologie comparée.

Le lion, poussé dans la cage où l'on avait placé la boîte à pâture, manifesta d'abord un sentiment d'inquiétude; on le lisait clairement dans ses attitudes, et, si j'ose dire, sur sa « physionomie ». Puis, il se rassura et, après quelques hésitations, s'approcha très doucement de la boîte, la flaira, se convainquit de l'existence de son contenu et, dès lors, manifesta un vif désir de s'emparer de l'appât. Cependant il n'essaya nullement de briser les planches; il examinait l'appareil avec beaucoup d'attention et, finalement, il prit délicatement entre ses dents le bord du couvercle et le souleva sans violence.

Il se trouvait alors devant la boîte, du côté opposé aux charnières ; il fallait donc qu'il avançât le cou au-dessus de la boîte, en tenant le couvercle, et qu'il n'abandonnât celui-ci qu'après l'avoir assez largement ouvert pour le faire retomber de l'autre côté, et il fallait qu'il le fit malgré la tentation offerte par la viande au moment où sa gueule passerait au-dessus de l'appât. Or, tous ces mouvements ont été exécutés par le lion, sans hâte, d'une façon relativement précise et, pour ainsi dire, raisonnablement.

L'épreuve a duré trois minutes.

Un procès-verbal de cette expérience à été établi, signé par tous les assistants et placé dans les archives de notre Institut.

P. HACHET-SOUPLET.

COURS ET CONFÉRENCES

Un cas d'hystéro-traumatisme (')

Par M. le professeur RAYMOND

L'homme que je vous présente est un ouvrier terrassier, âgé de vingthuit ans. Il y a cinq mois, victime d'un éboulement, il se trouve subitement enterré jusqu'au cou et perd complètement connaissance. On le dégage et on le transporte dans son lit. Il revient à lui trois heures après. Il sent alors une douleur dans le côté gauche, puis le lendemain. dans le genou gauche. Tandis que la douleur du côté cède à une friction médicamenteuse, celle du genou augmente de jour en jour et empêche notre homme de se lever. Un médecin fait des pointes de feu, sans qu'il en résulte aucune amélioration. Un autre médecin, appelé ensuite, craint un commencement d'ankylose; il endort le malade au chloroforme, met la jambe en flexion sur la cuisse et maintient le tout par un bandage qu'il enlève au bout de vingt-quatre heures; il est obligé alors de faire des efforts considérables pour remettre le membre inférieur en extension. Celui-ci, depuis lors, est resté complètement raide. Ajoutons que notre malade dort, très mal la nuit; il ne cesse de rêver de médecins et il craint qu'on ne lui fasse du mal. '

Cette jambe gauche présente un raccourcissement très net; elle est en état permanent de contracture et le malade marche tout déhanché. L'impotence fonctionnelle réside surtout dans l'articulation du genou. Il y a, en outre, un amaigrissement en masse des régions voisines; il s'agit donc de parésie avec contracture. Notons enfin que le pied est ballant.

Or, cette contracture qui n'affecte guère que les muscles périarticulaires du genou est vraiment singulière et aucune affection organique ne saurait la réaliser.

Si je plante une épingle dans la peau de la jambe gauche de cet homme, non seulement il n'éprouve aucune douleur, mais il ne sait même pas que je l'ai piqué. Il en est de même pour son bras gauche. Sans doute, si j'ausculte son cœur au moment où j'enfonce mon épingle, je m'aperçois que les battements sont accélérés: s'il s'agissait d'une anesthésie organique, ma piqûre n'exercerait aucune action sur les battements cardiaques. En outre la pupille de notre malade se dilate au moment de la piqûre et, si l'on mesure la pression sanguine dans la

(1) Présentation de malade faite à la Cliniqué des maladies du système nerveux, à la Salpêtrière.

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