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NOTES DE LA SECONDE PARTIE

SUR LE CHAPITRE Ier.
(HONGRIE ET PAYS ADJACENTS.)

S 1.-NOTICE HISTORIQUE.

NOTE I, pages 186-189.

Établissement et prépondérance des Magyares.

On applique indistinctement le nom de Hongrois aux peuples très-divers qui sont disséminés sur le vaste territoire des deux royaumes annexés de Hongrie et de Kroatie, et dans la principauté des Sept-Forteresses ou de Transylvanie. Les Magyares sont l'un de ces peuples, et ils ont joué naguère le rôle de promoteurs dans le mouvement politique des jeunes nationalités de cette partie de l'Europe orientale; mais aujourd'hui ce mouvement, qui a favorisé l'essor des races, semble tourner contre eux. A côté des Magyares, ou parmi eux, vivent et s'agitent trois peuples qui leur disputent vaillamment et la place et l'influence, les Slovaques au nord, les Valaques à l'est, et les Kroates au midi. Les Slovaques et les Kroates appartiennent à deux familles de la race slave, ceux-ci à la famille illyrienne, ceux-là à la famille tchèque; les Valaques sont roumains. Quant aux Magyares, ils sont les derniers venus sur le sol hongrois; en y arrivant, ils trouvèrent les Slaves qui, de temps immémorial, cultivaient ces riches contrées sous le nom de Pannoniens et d'Illyriens, et les Valaques ou Vlasks qui, au second siècle de l'ère chrétienne, avaient pris la place des Daces, exterminés par Trajan.....

Sans remonter aux temps des Scythes et des Philistins, les Magyares, il faut le reconnaître, n'avaient, pour illustrer leur

berceau, qu'à puiser à pleines mains dans l'histoire du moyen âge. Les uns, fixés et organisés dès l'époque d'Attila, à l'extrémité orientale des Karpathes, sous le nom de Szeklers, de Sicules ou Scythules (Petits-Scythes), établirent promptement leur renommée de bravoure. Ainsi en fut-il des autres qui vinrent, du vie au IXe siècle, et se constituèrent sous la conduite d'Arpad. Leur domination une fois assurée sur les Roumains de la Transylvanie, qui forma néanmoins une principauté à part, sur les Slaves des Karpathes, enfin sur les Kroates, les Slavons et les Dalmates, les Magyares, entraînés par la passion des conquêtes, furent un moment maîtres de la Bosnie et de la Serbie. Ils devaient cependant éprouver à leur tour les maux qu'ils faisaient souffrir aux peuples vaincus. Après avoir succombé au xvio siècle sous les coups de Soliman, à Mohacz, dans un combat désastreux dont encore aujourd'hui ils ne parlent qu'en gémissant, ils furent réduits, par la violence et par la ruse, à se donner à la maison d'Autriche, qui les dépouilla peu à peu de toutes leurs libertés, et voulut leur enlever jusqu'au sentiment de leur nationalité.....

Cependant, au moment même où les Magyares semblaient les plus fidèles sujets de l'Autriche, les savants qui étudiaient le passé avec admiration et surprise, les patriotes qui s'inspiraient du souvenir rajeuni de leurs aïeux, les nobles et les paysans eux-mêmes, effrayés du germanisme envahissant de Joseph II, se réveillèrent par un coup d'éclat, qui fut la naissance du mouvement connu sous le nom de magyarisme. La Hongrie changea son nom en celui de Magyarie ou de royaume magyare (magyar-orsag), sous prétexte que le mot latin hungaria n'avait point d'autre sens possible dans la langue nationale. C'était à la fois un affranchissement et une conquête. Les Magyares s'affranchissaient de la suprématie du latinisme et du germanisme, et ils conquéraient, en les absorbant, les Slovaques, les Kroates et les Valaques; du moins le magyarisme, plus orgueilleux que prudent, se proposait ce double but..... Sous la domination allemande comme au temps de l'indépendance, les Magyares, arrivés sur le sol hongrois en conquérants, avaient conservé sur les Slovaques, les Kroates et les Valaques, une suprématie à la fois politique et morale. L'aristocratie magyare, maîtresse de l'administration supérieure et du pouvoir législatif tant qu'il fut respecté, avait aussi plus d'ambition et plus de moyens d'agir que la noblesse kroate, et que le petit nombre de grandes maisons reconnues pour slovaques ou roumaines. C'est ce qui explique comment l'initiative des agitations

nationales, en face du germanisme, a dû venir de la race magyare, et comment, au lieu d'être slovaque ou valaque, ou même kroate, le mouvement politique de la Hongrie a commencé par être exclusivement magyare.....

A partir de 1837, commence dans l'histoire du magyarisme une époque d'incertitude et de découragement. L'irritation croissante, les protestations officielles portées par les Illyriens et les Roumains dans la diète, et par les Slovaques jusqu'au pied du trône impérial, le morcellement, la dissolution imminente du royaume, frappent enfin quelques esprits qui, à l'origine, s'étaient euxmêmes laissé séduire par les brillantes illusions du patriotisme conquérant.....

H. DESPREZ.- La Hongrie et le mouvement magyare, 1847.

Pour plus amples détails sur les deux premières périodes historiques, le lecteur consulterait avec fruit l'ouvrage de M. KOCH: Tableau des révolutions de l'Europe, 1807, spécialement pages 75, 110, 133, 241-245 du tome Ier; 85, 214-218, 319 du tome II; 14-16, 26, 59 du tome III.

Il y trouverait aussi l'indication des meilleures publications sur l'histoire des Hongrois.

NOTE II, page 189.-Système constitutionnel.

Comme tous les peuples d'Orient, les Hongrois ont traversé des périodes d'affreuse tyrannie; mais au milieu des plus rudes persécutions politiques, ils ont su garder leurs libertés communales et provinciales. En vain la maison d'Autriche a introduit, tant qu'elle a pu, son génie absolutiste dans les hautes branches de l'administration; la diète suprême et les diétines des provinces ou comitats ont constamment repoussé, sous toutes ses formes, la bureaucratie autrichienne.

Chaque diétine hongroise, sous le nom de congrégation, s'assemble une ou plusieurs fois l'an, pour délibérer et décider en souveraine sur tout ce qui concerne l'administration intérieure du comitat. La session générale s'ouvre par la lecture du protocole de la congrégation précédente. On discute les rescrits et l'adminis

tration du roi, la répartition de l'impôt, le recrutement, les travaux publics, les besoins de l'industrie indigène, les demandes des comitats voisins, etc., etc. La diétine est présidée, au nom du roi, par le ober-gespan, littéralement le haut caissier, ou par le vice-gespan. Ces deux titres, qui équivalent aux noms de comte et de vicomte, désignent en Hongrie l'administrateur suprême d'un comitat et celui qui le supplée dans les affaires secondaires.....

Les ober-gespans sont magnats du royaume : réunis aux autres comtes hongrois, ils composent dans l'assemblée nationale la première table, dite table des magnats, où siégent également tous les prélats du royaume, tant latins que grecs-unis et non unis. Outre cette première table, qui représente les intérêts de la haute noblesse et ceux de l'épiscopat, l'assemblée nationale renferme encore la table des Etats ou des députés du peuple, c'est-àdire de la petite noblesse, des villes libres et du bas clergé. Malheureusement, les villes ne sont point représentées dans ces États en proportion de leur importance, puisqu'elles n'y ont toutes ensemble qu'une seule voix collective. Le motif de cette exclusion est que presque toutes les villes, étant peuplées d'Allemands et d'étrangers, sympathisent faiblement avec les populations indigènes, d'où il suit que, dans l'intérêt de leur propre conservation et afin de pouvoir résister au despotisme autrichien, les peuples de la Hongrie doivent restreindre, autant que possible, les droits politiques des cités. La réunion des deux tables des magnats et des députés compose la diète ou comitia. Les représentants se rendent armés à cette assemblée; c'est un dernier souvenir de la barbarie féodale et des temps où la diète n'était qu'un rendez-vous de guerre, destinée à faire voter par les guerriers sur un champ de mars national, au milieu du bruit des armes, une nouvelle campagne contre les Allemands et les Turcs.

Entouré de la garde hongroise, le roi ouvre la diète par un discours sur l'état actuel du royaume et de ses relations extérieures, puis il se retire, et la diète commence à délibérer avec une franchise et une rudesse de langage digne des enfants de la steppe. Responsables de leurs votes devant ceux qui les ont élus, les députés doivent écrire chaque semaine à leur comitat ce qui se passe à la diète. Quatre fois par an, les électeurs de chaque comitat se rassemblent en congrégation pour lire publiquement la correspondance de leurs mandataires, scruter leur conduite, et les remplacer par d'autres, s'ils en sont mécontents. Les effets bienfaisants de

cette responsabilité ne s'étendent pas, il est vrai, en Hongrie, jusqu'aux ministres de la couronne. Ceux-ci n'ont aucun compte à rendre à la diète pour la gestion des deniers publics. De plus, le roi, qui n'a pas l'initiative des projets de loi, a pourtant le droit de veto absolu, et sans sa signature aucune décision de la diète n'est valide. Il est vrai que la diète vote l'impôt de la guerre et le contingent des troupes, et elle peut refuser ces deux articles, si le gouvernement suit une voie anti-nationale. Ainsi tenue en bride, la royauté ne peut commettre que des abus partiels, ce qui n'empêche pas que ses prérogatives ne soient excessives. Aussi la diète cherche-t-elle par tous les moyens à les restreindre.

Ce n'est pas toutefois dans la prépondérance royale que se trouve le principal défaut de la charte hongroise; le vice radical de cette constitution est le monopole politique accordé à l'aristocratie. La magnifique institution des diétines, où primitivement tout citoyen quelconque, pourvu qu'il fût libre, venait parler et voter, n'est plus qu'un champ d'intrigues dans lequel les nobles ont seuls le droit d'agir. On a estimé qu'il y avait en Hongrie près de 500,000 gentilshommes, dont la plupart, vivant dans la misère, sont réduits à se faire artisans, cochers ou valets: on conçoit que de tels citoyens n'aillent aux congrégations que pour y voter en faveur de leurs maîtres; quant à ceux qui sont sans maîtres, ils vendent, comme en Angleterre, leurs votes pour de l'argent, pour un bon dîner, souvent pour un verre d'eau-de-vie....

Malgré les criants abus de cette liberté sauvage, il y a dans le système hongrois des vices encore plus déplorables. Ces vices dérivent tous de l'état d'asservissement où sont tenus le bas peuple et la classe agricole. Heureusement la noblesse elle-même sent ce mal, et à chaque diète nouvelle des réformes de plus en plus décisives s'accomplissent dans la législation, en faveur des paysans. La diète de 1832, qui a été une sorte d'assemblée constituante pour la Hongrie régénérée, a commencé héroïquement la lutte contre l'intérêt aristocratique et les préjugés des indigènes. Elle a posé des principes d'où doit sortir un jour l'émancipation de toutes les classes de la nation. Le paysan a déjà acquis en Hongrie des droits considérables, un code nouveau le protége contre son seigneur; il peut racheter, pour une somme assez modique, les corvées et redevances dont sa terre se trouve grevée. La bourgeoisie des villes est chaque jour mieux garantie dans ses stipulations commerciales. Les nobles peuvent maintenant être arrêtés pour dettes. Enfin, la liberté de la presse, bien qu'elle ne soit pas légalement reconnue,

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