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Le total de ces deux armées s'élevait donc à peine à 20 mille hommes, et c'est avec cette petite armée qu'on entreprit de dicter la loi au plus vaste empire du monde.

Voici quelles étaient, en résumé, les instructions des généraux en chef: dépasser l'embouchure du Pe-ho, débarquer, emporter les forts qui ferment l'entrée de ce fleuve, prendre une position menaçant Péking, se rendre maîtres de Tien-Tsin, et, en cas de besoin, marcher sur Péking, s'emparer de la haute direction des affaires, poursuivre la guerre aussi loin qu'on le jugerait nécessaire pour obtenir le but politique qu'on s'était proposé, la ratification des traités de Tien-Tsin, que le canon chinois avait déchirés à l'embouchure du Pe-ho, en juin 1859.

Vers la fin de 1859, les renforts anglais et français quittèrent. l'Europe pour se rendre en Chine. Le général de Montauban ne quitta la France que le 12 janvier 1860, alors que toutes ses troupes étaient embarquées, et en prenant la voie de Suez, il arriva en Chine longtemps avant son armée, qui avait pris la voie du Cap. Montauban débarqua le 12 mars à Shangaï et fit tous les préparatifs nécessaires pour y recevoir son armée, qui n'arriva que dans la dernière quinzaine de mai et au commencement de juin. La traversée avait été heureuse, on n'avait guère perdu plus de monde qu'en garnison.

Peu de jours après l'arrivée du général de Montauban, les plénipotentiaires d'Angleterre et de France, MM. Bruce et de Bourboulon, adressèrent un ultimatum à la cour de Péking, demandant une réparation solennelle de l'affaire du Pe-ho. La réponse portant un refus formel, le 8 avril, la guerre fut officiellement déclarée à l'empire de Chine.

Le général en chef de l'armée anglaise, sir Hope Grant, arrivé vers cette époque, se concerta avec le général de Montauban pour procéder à l'occupation de l'archipel de Chu-san, afin de faire servir ces îles de lieux de rassemblement aux deux armées et de base aux opérations qu'on allait entreprendre dans le golfe de Pé-tchi-li. En conséquence, 2000 Anglais et 200 Français furent immédiatement envoyés à Chu-san; ces troupes prirent terre sans coup férir et préparèrent tout pour recevoir l'armée.

Comme nous venons de le dire, vers le milieu de juin, les troupes anglaises et françaises étaient concentrées dans les ports et dans les iles autour de Shangaï. Quelques petits incidents, le naufrage de l'Isére, chargée des objets d'ambulance, de campement et des harnachements de l'artillerie; l'incendie de la Reine des Clippers, portant un hôpital de 500 lits, la pharmacie vétérinaire et des objets d'habillement et de rechange pour une grande partie de l'armée; et surtout l'obligation où l'on se trouva d'aller chercher des chevaux au Japon, mirent un petit retard dans les opérations.

Dans les premiers jours de juillet, l'armée des alliés partit des environs de Shangaï pour le golfe de Pé-tchi-li, où elle avait été précédée par des détachements d'Anglais et de Français, qui avaient pris terre, les premiers dans l'ile de Ta-tieou-houan, les seconds dans celle de Tché-Fou. L'armée débarqua dans les mêmes îles et en fit sa base pour opérer contre l'embouchure du Pe-ho.

L'embouchure du Pe-ho, le point du rivage le plus rapproché de la capitale, avait été désigné par les deux gouvernements comme l'endroit le plus favorable à un débarquement. A la suite d'une première reconnaissance, les généraux en chef avaient décidé qu'on débarquerait sur les deux rives du fleuve; que les Français prendraient terre sur celle de droite, les Anglais sur celle de gauche.

Une seconde reconnaissance en décida autrement; celle-ci conclut à l'impossibilité de débarquer une armée sur la rive droite; elle amena les généraux en chef à renoncer à opérer isolément, chacun sur une des rives du fleuve, et les persuada d'agir simultanément par la rive gauche, sur le village de Pe-Tang, considéré comme étant le point de la côte offrant le moins de difficultés à un débarquement.

Le 19 juillet, les deux généraux en chef, les amiraux anglais et français tinrent à Tché-Fou un conseil de guerre auquel assistèrent les deux ambassadeurs, lord Elgin et le baron Gros, nouvellement arrivés avec mission de remplacer MM. Bruce et de Bourboulon. Il y fut décidé que le 28 les flottes alliées se réuniraient dans le golfe de Pé-tchi-li, à hauteur du Pe-ho; qu'on emploierait les journées du 29 et du 30 à faire la reconnaissance en détail du village de Pe-Tang et de l'embouchure de la petite rivière de PeTang-ho, qui se jette dans le golfe à quelques milles au nord du Pe-ho.

Le 26, les flottes reprirent la mer, et, comme il avait été convenu, elles firent leur jonction dans le golfe de Pé-tchi-li, à hauteur de l'embouchure du Pe-ho le 28 juillet.

Le voisinage de ce point avait été désigné comme lieu de débarquement pour deux raisons: d'abord parce que c'est le point de la côte le moins éloigné de Péking, et qu'en y débarquant on avait à faire, par terre, le moins de chemin possible pour arriver dans la capitale; et puis parce que le fleuve, passant près de la capitale, était une excellente voie de communication pour alimenter l'armée. Le 29 et le 30, les reconnaissances qu'on fit de la partie de la côte du golfe de Pé-tchi-li, comprise entre le Pe-ho et le Pe-Tang-ho, rapportèrent que l'entrée du fleuve était obstruée par un triple barrage sur lequel était dirigé le feu de l'artillerie d'une grande partie des forts élevés sur les deux rives; qu'à droite et à gauche de ce fleuve, le terrain était couvert de vase et de boue, et qu'on ne com

muniquait d'un village à l'autre que par des chaussées étroites; que le Pe-Tang-ho est également obstrué par des barrages défendus par des forts établis sur ses deux rives; que le village de Pe-Tang, situé dans un îlot de cette petite rivière, communique avec le village de Singho par une chaussée qui va aboutir au Pe-ho, en amont des forts qui défendent l'entrée du fleuve ; que le terrain sur la rive gauche du Pe-Tang-ho, moins boueux et moins vaseux que celui de la rive droite, est le lieu le plus favorable pour opérer un débarquement; et enfin, que des embarcations d'un petit tirant d'eau, en remontant le Pe-Tang-ho jus qu'aux barrages, pourraient faire une utile diversion en faveur de l'attaque que dirigeraient des troupes de débarquement contre le village de Pe-Tang, admirablement situé pour servir de base aux opérations qu'on serait obligé d'entreprendre contre les forts de l'embouchure du Pe-ho.

Le 1er août, l'attaque se fit d'après les indications données par les reconnaissances: tandis que quelques canonnières menaçaient le village de front, des troupes anglaises et françaises le tournaient et enlevaient, sans coup férir, le pont qui y donne accès (voir le croquis). Les forts de Pe-Tang, armés de canons en bois, étaient abandonnés, et la population ne songeait qu'à fuir.

Le 2, les armées alliées débarquèrent tranquillement à Pe-Tang et firent de ce village leur première base d'invasion du CélesteEmpire et de sa gigantesque capitale.

Le 3, une reconnaissance poussée sur la chaussée à Sing-ho et de là du Pe-ho fit découvrir un camp de cavalerie tartare établi à cheval sur cette chaussée.

Quelques jours plus tard, une nouvelle reconnaissance constata que la cavalerie tartare occupait toujours la chaussée conduisant dans l'intérieur du pays.

Le 12 août, les alliés, décidés à pénétrer dans l'intérieur du pays, chassèrent la cavalerie ennemie campée sur la chaussée et s'emparèrent facilement de Sing-ho, d'où ils débordèrent tous les forts du bas Pe-ho, sans la prise desquels ils ne pouvaient remonter le fleuve.

Dans la journée du 13, on fit la reconnaissance de Tang-ho, village fortifié et renfermant un nombre de troupes assez considérable. Le 14, on attaqua ce village, les Anglais prirent la droite de l'atta-` que, les Français, la gauche. La forteresse n'étant fermée que par une porte à claire-voie s'ouvrant sur un pont en madriers jeté sur le fossé, l'artillerie renversa cette porte, et une fois la forteresse ouverte, les troupes chinoises l'abandonnèrent. Les alliés y entrèrent paisiblement vers neuf heures du matin, y trouvèrent 19 pièces en bronze, des armes, du matériel de guerre et les tentes que les Tartares venaient d'abandonner.

Le 17 août, des reconnaissances sur les deux rives du Pe-ho

rapportent que des forts assez bien conditionnés défendent l'entrée du fleuve des deux côtés; que, sur la rive gauche, deux forts défendent à la fois l'embouchure et l'estacade, et que sur la rive droite la défense était composée de trois forts et du village Si-kou, fortement retranché.

Sur ces données, un pont volant fut jeté sur le fleuve et une des brigades françaises alla s'établir sur la rive droite avec mission de couper toute communication entre l'intérieur du pays et les forts de Si-kou.

On avait remarqué que les forts des deux rives étaient assez bien armés et assez rapprochés les uns des autres pour se soutenir mutuellement. Le 21, on se décida à attaquer les forts de la rive gauche en commençant par le plus voisin du village de Tang-ho. Deux brigades, une anglaise et une française, une nombreuse artillerie et quelques bâtiments légers ancrés dans le fleuve, prirent part à cette attaque. Le feu de l'artillerie des batteries de terre et de mer démonta bientôt le courage des Chinois; et le premier fort fut enlevé d'assaut. Le même jour l'autre fort de la rive gauche se rendit sans soutenir l'attaque, et dans la soirée le vice-roi du Pé-tchi-li signa une capitulation par laquelle il abandonnait les deux rives du Pe-ho, ses forts, ses camps retranchés et la libre navigation du fleuve jusqu'à Tien-Tsin.

Plus de cinq cents pièces de gros calibre et beaucoup de munitions de guerre étaient restées entre les mains des alliés; et l'ennemi démoralisé fuyait dans toutes les directions, en laissant un millier de morts et de blessés sur le terrain du combat. Les pertes des alliés furent comparativement insignifiantes.

Le 22, les flottes alliées s'engagèrent dans le Pe-ho et débarrassèrent son entrée. Les 23 et 24 août, les canonnières montèrent le fleuve jusqu'à 50 kilomètres en amont de son embouchure, près de Tien-Tsin, où les armées alliées allèrent bientôt les rejoindre.

Tien-Tsin a une population de 500 à 600 mille âmes, et sert d'entrepôt à un immense commerce; sa position sur le Pe-ho et sur le canal impérial y fait affluer de toutes les parties de l'empire les denrées qui alimentent la capitale ainsi qu'une grande partie du Pétchi-li. Les murailles de cette ville auraient permis d'opposer une certaine résistance; mais la population, loin d'être hostile aux alliés, les reçut avec bienveillance.

C'est dans cette ville, dont l'occupation pouvait affamer la capitale, que la diplomatie voulait poursuivre ses travaux. Les envoyés du Fils du Ciel se montrèrent d'abord assez conciliants; on s'était mis d'accord sur les points principaux, et tout paraissait conclu, mais lorsque le moment de signer fut venu, le négociateur chinois déclara n'avoir point de pouvoir suffisant pour traiter avec les étrangers.

Les alliés comprirent alors qu'on ne pouvait espérer de traiter avec le gouvernement chinois qu'à Péking même; mais s'engager à 150 kilomètres dans l'interieur des terres pour atteindre la capitale de ce vaste empire, avec les faibles forces dont ils disposaient, paraissait pour le moins une entreprise audacieuse. La mollesse et l'indifférence des populations et l'impuissance où s'étaient vues les troupes chinoises de résister aux troupes alliées, avaient démoralisé les uns et exalté la confiance chez les autres. Les généraux alliés résolurent donc immédiatement de marcher sur Péking.

Une grande route dallée conduit de Tien-Tsin à Péking en longeant le fleuve sur presque tout son parcours. Les alliés, décidés à suivre cette route, se mirent en marche sur trois colonnes; la première partit le 9 septembre, la deuxième le 10, la troisième le 11. Elles marchèrent par petites journées, et le 15 les trois colonnes se réunirent à Khro-se-you où l'on reprit les négociations entamées à Tien-Tsin.

Lord Elgin et le baron Gros annoncèrent aux généraux que, conformément à une convention définitive qu'ils venaient de conclure avec les Chinois, les troupes alliées devaient s'arrêter à 8 kilomètres de Tang-Tchou, que les entrevues avec les commissaires impériaux auraient lieu dans cette ville, et qu'ensuite les représentants de l'Angleterre et de la France, accompagnés d'une escorte d'honneur, se rendraient à Péking pour ratifier les traités et échanger les signatures.

Le 17 septembre on marche sur Tang-Tchou, les Français avec un millier d'hommes seulement, les Anglais avec toutes leurs forces moins les troupes employées à la garde du matériel laissé à Khrose-you. Chez les alliés, la confiance était telle, qu'on avait envoyé d'avance à Tang-Tchou des officiers et quelques personnes attachées à l'armée, pour y préparer le nécessaire aux deux armées.

Les troupes alliées arrivèrent dans la matinée à Ma-lao; le village était désert et offrait des traces encore fraîches d'un immense bivac de cavalerie. Cet indice, assez significatif cependant, n'éveilla pas les soupçons. Les envoyés précédant l'armée n'étant pas revenus et n'ayant adressé aucun rapport aux généraux, on ne se défia point de la ruse des Chinois.

Le 18, de grand matin, on partit de Ma-lao pour le point désigné par les ambassadeurs. Les Anglais, qui marchaient en tête, avaient à peine fait quelques kilomètres qu'ils virent toute une armée de Tartares en bataille devant eux. Plus de doute, les nouvelles ouvertures de paix n'étaient qu'un piège. Le général Grant fit prévenir le général de Montauban en l'engageant à hâter la marche, afin d'arriver le plus promptement possible en ligne pour engager le combat. Après quelques pourparlers, les deux généraux conviennent du parti à prendre: on résolut de tomber immédiatement sur l'ennemi,

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