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L'Aquitaine s'étend depuis la Garonne jusqu'aux monts Pyrénées et cette partie de l'Océan qui touche à l'Espagne, entre le soleil couchant et le septentrion.

CHAPITRE II.

Proposition d'Orgetorix aux Suisses, pour la conquête des Gaules, et sa conjuration avec Castique et Dumnorix, pour se rendre maîtres chacun de leur pays.

ORGETORIX fut le plus noble et le plus riche des Suisses. Porté du desir de régner, du temps que M. Messala et M. Pison étoient consuls, il fit une conjuration de la noblesse, et persuada à ceux du pays de sortir de leurs frontières, avec toutes leurs forces. Il leur représenta qu'il leur étoit aisé de posséder l'empire de toutes les Gaules, vu qu'ils surpassoient tous les autres en courage, et leur persuada cela d'autant plus facilement, que les Suisses étoient resserrés de toutes parts par la nature du lieu; d'un côté, par le Rhin très-large et très-profond, qui divise le pays des Suisses d'avec celui des Allemands; de l'autre, par le mont Jura très-haut, qui est entre la Franchecomté et la Suisse; enfin, par le lac de Ge

nève et le Rhône, qui divise notre province d'avec les Suisses.

Ces choses-là faisoient qu'ils pouvoient moins s'étendre çà et là, et faire moins facilement la guerre à leurs voisins. Pour laquelle cause ces hommes desireux de combattre étoient touchés d'une grande douleur. Car pour la grande quantité de monde qu'ils étoient, et pour la gloire et le desir qu'il étoit en eux de faire la guerre, et de témoigner leurs courages, ils pensoient avoir des limites trop resserrées, d'autant qu'ils n'avoient en longueur, que deux cent quarante mille pas, et en largeur cent quatre-vingt mille.

Persuadés par ces choses-là, et touchés de T'autorité d'Orgetorix, ils résolurent de préparer tout ce qui étoit nécessaire pour leur départ (1): d'acheter grand nombre de chevaux et de chariots, faire quantité de semailles, afin qu'il y eût abondance de grains pour le voyage, et de renouveler l'alliance et la paix avec les Cités voisines.

Ils crurent que l'espace de deux ans suffiroit pour toutes ces choses, et d'un commun consentement ils arrêtèrent leur départ au troisième.

(1) Lorsqu'on fait de grandes entreprises, il faut pourvoir à tout ce qui est nécessaire pour les exécuter.

Orgetorix est choisi pour donner ordre à tout, et se charge de l'ambassade vers les Cités.

Il persuade dans ce voyage à Castique (1), (fils de Catamantalede Francomtois, de qui le père avoit régné plusieurs années dans la Franchecomté (2), et qui avoit été nommé ami du Sénat et du peuple Romain), de s'emparer de la royauté de son pays, que son père avoit possédée auparavant.

Pareillement il persuade à Dumnorix d'Autun, frère de Divitiac, qui en ce même temps étoit le premier de son pays, et qui étoit trèsagréable au peuple, de tâcher à faire la même chose, et il lui donne sa fille en mariage.

Il leur montre à l'un et à l'autre qu'il est très-facile d'exécuter leur dessein, parce que lui même se rendroit maître de son pays. Qu'il n'y avoit point de doute que les Suisses ne fussent les plus puissans de toutes les Gaules, et il leur promet de leur aider à se faire rois, par le moyen de ses troupes et de

son armée.

Etant persuadés par ce discours, ils font serment et s'entredonnent la foi, et espèrent

(1) L'ambition de régner cause des ligues et des fac

tions.

(2) Sequani.

qu'ayant tous trois usurpé la royauté, ils pourront posséder l'empire de toute la Gaule, le moyen de ces trois peuples qui étoient très-vaillans et très-puissans.

par

CHAPITRE III.

Conjuration d'Orgetorix découverte, et sa

mort.

COMME cela fut rapporté aux Suisses avec preuve, ils contraignirent Orgetorix de se justifier en prison, selon leur coutume.

La peine du feu (1) devoit suivre sa condamnation; mais le jour de sa défense étant pris, il assembla au jugement toute sa famille jusqu'à dix mille hommes, et fit venir au même lieu tous ses partisans et ses débiteurs, desquels il avoit grand nombre, et par leur moyen il s'exempta de répondre.

Comme la ville émue de cela tâchoit à se faire justice par les armes, et comme les Magistrats faisoient venir des champs grand nombre d'hommes, Orgetorix mourut, non

(1) Le feu étoit la peine des perturbateurs du repos public.

sans soupçon qu'il se fût lui-même procuré la mort, ainsi que les Suisses pensent (1).

CHAPITRE IV.

Orgetorix étant mort, les Suisses ne continuent pas moins leur entreprise; ce qu'ils font pour cela, et les chemins par où ils pouvoient entrer dans les Gaules.

APRÈS sa mort les Suisses ne tâchent pas moins de faire ce qu'ils avoient arrêté, afin de sortir de leur pays.

Lorsqu'ils se crurent suffisamment préparés à cela, ils mettent le feu à leurs villes, jusqu'au nombre de douze, à quatre cent villages, et à tous leurs autres édifices particu liers. Ils brûlent tous leurs grains, à la réserve de ceux qu'ils devoient porter avec eux, afin que l'espérance de retourner à la maison leur étant ôtée, ils fussent plus prêts à s'exposer à toute sorte de périls.

Ils ordonnent que chacun emporte pour trois mois de farines de sa maison, et persuadent aux peuples de Bâle (2), à ceux de Tut

(1) Le séditieux meurt pour l'ordinaire d'une façon ou d'autre dès le commencement de son entreprise.

(2) Rauraci

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