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encore à leur insu: enfin qu'il étoit accusé du magistrat d'Autun), César croyoit qu'il avoit assez de droit de le punir, ou de commander à ceux du pays d'en faire eux-mêmes la justice. Une seule chose contredisoit à cela, qui est que César connoissoit la grande affection de Divitiac frère de Dumnorix envers le peuple Romain, l'extrême amour qu'il avoit pour luimême, sa fidélité incomparable, sa justice, sa tempérance, et qu'il craignoit de l'offenser par le supplice de son frère.

C'est pourquoi avant que de passer outre il l'envoya appeler et ayant fait sortir ses truchemens ordinaires, il s'entretint avec lui par le moyen de Valerius Procillus qui étoit le premier de la province de la Gaule, son intime ami et en qui il se confioit de toutes choses. Il le fait souvenir de ce qu'on avoit dit en sa présence touchant Dumnorix dans l'assemblée des Gaulois, et lui déclare ce qu'un cha cun puis après lui en avoit dit en particulier. Il lui demande et le prie de trouver bon, la cause étant bien examinée, ou que lui, ou que la ville en ordonne.

Divitiac embrassant César avec larmes, commence à le prier de pardonner à son frère: il dit qu'il sait que ces choses-là sont vraies, et que personne n'en reçoit plus de douleur que

lui, parce que dans le temps qu'il avoit beaucoup de crédit en son pays et dans le reste de la Gaule, et que son frère n'y pouvoit rien à cause de sa jeunesse, il lui avoit fait sa fortune, et qu'il employoit maintenant tous ses biens et toutes ses forces, non-seulement pour diminuer son crédit, mais encore pour le perdre entièrement. Toutefois qu'il étoit touché et de l'amour fraternel et de l'opinion du peuple, d'autant que s'il arrivoit quelque mal à son frère de la part de César, il n'y avoit personne qui ne crût qu'il y auroit contribué, vu le rang qu'il tenoit en ses bonnes graces; d'où il arriveroit que les esprits de toute la Gaule s'aliéneroient de lui.

Comme il demandoit ces choses-là à César avec un peu plus de paroles et en pleurant, César lui prend la main et le consolant il le prie de ne lui en parler plus. Il dit qu'il fait tant d'état de son amitié (1), qu'il remet à son desir et à ses prières l'injure faite à la République et son propre ressentiment.

Sur cela il fait venir Dumnorix: il appelle aussi son frère et lui dit les choses qu'il blâmoit en lui; il lui fait voir ce qu'il en avoit

(1) Il n'y a rien qu'un prince doive conserver plus chèrement que les amis.

appris et quelles étoient les plaintes que ses propres concitoyens en faisoient; il l'avertit d'éviter tout soupçon à l'avenir, et l'assure qu'il lui pardonne le passé à la considération de son frère Divitiac. Cependant il lui donne des gardes afin qu'il puisse savoir ce qu'il fera et avec quelles personnes il communiquera.

CHAPITRE XIV.

César perd une belle occasion de défaire les Suisses, par la faute de Considius.

Le même jour César ayant eu avis par ses espions que les ennemis étoient campés au pied d'une montagne à huit mille pas de son camp (1), il envoya reconnoître quelle en étoit l'assiette et la montée tout autour, et on lui rapporta qu'elle étoit facile.

Sur la troisième veille (2) il commande à T. Labienus son lieutenant de s'aller promptement saisir du sommet de la montagne avec deux légions, lui donnant pour guides ceux qui avoient été reconnoître le chemin, et il lui découvre quel étoit son dessein.

(1) Ce sont deux lieues. (2) C'est vers minuit.

Lui-même vers la quatrième veille (1) va droit aux ennemis par la même route qu'ils avoient tenue, et envoie devant toute sa cavalerie.

Il envoie avec les coureurs P. Considius qui étoit estimé et fort expérimenté à la guerre et qui avoit servi dans l'armée de L. Sylla et du depuis en celle de M. Crassus.

Au point du jour, comme T. Labienus s'étoit saisi du haut de la montagne, que lui n'étoit éloigné du camp des ennemis que de quinze cents pas, et que les ennemis (comme du depuis il l'apprit par les prisonniers) n'avoient point eu nouvelles de son arrivée ni de celle de Labienus Considius vient à lui à toute bride l'assurer que les ennemis étoient maîtres de la montagne dont il avoit desiré que Labienus se saisît, et qu'il l'avoit connu aux armes et aux drapeaux des Gaulois.

César retire ses troupes sur une éminence qui étoit proche et rangea son armée en bataille.

Labienus s'étant saisi de la montagne attendoit les nôtres et ne combattoit point suivant l'ordre qu'il avoit reçu de César, de ne point donner qu'il n'eût vu ses troupes près du

(1) C'est vers les deux heures après minuit.

camp des ennemis, afin de les attaquer de tous côtés et en même temps.

Enfin le jour étant déjà grand César apprit par ses espions que les siens étoient maîtres de la montagne, que les Suisses avoient décampé, et que Considius tout effrayé de peur lui avoit rapporté pour une chose reconnue à l'œil ce qu'il n'avoit point vu du tout.

CHAPITRE XV.

César continue à poursuivre les Suisses et les défait entièrement dans un seul combat.

Le même jour il suit les ennemis en la distance qu'il avoit accoutumé et assied son camp à trois mille pas du leur.

Le lendemain parce qu'il ne restoit plus que deux jours pour distribuer du blé à l'armée, et qu'il n'étoit éloigné que de dix-huit mille pas (1) de Beaune, qui est la plus grande et la plus riche ville de la seigneurie d'Autun, il crut qu'il falloit avoir soin des vivres, et quitta les Suisses et alla à Beaune.

Cela est rapporté aux ennemis par les

(1) Ce sont environ cinq lieues.

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