Page images
PDF
EPUB

fuyards de L. Emilius décurion (1) de la cava. lerie Gauloise.

Les Suisses (soit qu'ils crussent que les Romains se retirassent par crainte, à cause que le jour précédent ils ne les avoient point attaqués, quoiqu'ils occupassent les éminences: soit qu'ils espérassent de leur couper les vivres) changeant de conseil, et rebroussant chemin, ils commencèrent à poursuivre et à escarmoucher les nôtres par l'arrière-garde.

César voyant cela, retire ses troupes sur une éminence qui étoit proche, et envoya sa cavalerie pour soutenir l'effort des ennemis. Cependant il met ses quatre vieilles légions sur trois lignes, vers le milieu de la montagne; et sur le haut, au-dessus de lui, il plaça les deux légions qu'il avoit depuis peu levées dans la Gaule citérieure (2), avec toutes ses troupes auxiliaires, et garnit d'hommes toute l'éminence. Il fit aussi porter tout le bagage à un endroit, et ordonna qu'il fût fortifié par ceux qui étoient en bataille sur le haut de la montagne.

Les Suisses ayant suivi avec tous leurs chariots, retirèrent aussi tout leur bagage dans

(1) C'étoit un officier de cavalerie.

(2) C'est la Lombardie.

UV. DE LOUIS XIV. TOME VI.

17

un lieu, et ayant repoussé notre cavalerie avec leurs escadrons fort serrés, ils attaquèrent rudement notre première ligne avec leur phalange (1).

César ayant fait retirer premièrement son cheval de devant lui, et puis ceux de tous les autres, afin que le péril étant rendu égal, il ôtât à un chacun l'espérance de fuir, et ayant encouragé les siens, il fit donner.

Les soldats romains, lançant d'en haut leurs javelots, rompirent facilement la phalange des ennemis, et les ayant ouverts fondirent sur eux l'épée à la main.

Ce qui empêchoit fort les Gaulois (2) en ce combat étoit que leurs écus étant percés et cousus d'un seul coup des javelots, à cause que la pointe s'étoit repliée, ils ne pouvoient ni les arracher, ni combattre facilement, leur main gauche en étant si fort empêchée, que plusieurs aimoient beaucoup mieux jeter leur écù par terre en secouant le bras et combattre découverts. Mais à la fin n'en pouvant plus pour les blessures qu'ils avoient reçues,

(1) La phalange étoit un gros bataillon très-difficile à percer, à cause que les soldats y étoient fort pressés et couverts de leurs boucliers.

(2) Par les Gaulois César entend en cet endroit les Suisses.

ils commencèrent à lâcher le pied et à se retirer dans une montagne qui étoit environ à mille pas de-là (t); de laquelle s'étant saisis, et les nôtres les poursuivant, les Boyens et ceux de Stulinghen au nombre d'environ quinze mille, qui couvroient l'armée des ennemis et qui soutenoient leur arrière-garde, investirent les nôtres et les prirent en flanc. Ce qu'ayant apperçu les Suisses qui avoient gagné cette montagne, ils vinrent derechef à la charge, et recommencèrent le combat.

Les Romains sur cela tournèrent leurs enseignes et firent front de deux côtés : la première et la seconde ligne pour résister à ceux qu'ils avoient déjà vaincus et chassés, et la troisième pour soutenir l'effort de ceux qui venoient à eux.

Ainsi ce double combat dura fort longtemps, et fut fort opiniâtré; mais enfin les ennemis ne pouvant plus soutenir l'effort des nôtres, les uns se retirèrent comme ils avoient commencé sur le haut de la montagne, et les autres se mirent à couvert de leur bagage et de leurs chariots. Car pendant toute la bataille qui dura depuis sept heures jusqu'au soir personne ne vit tourner le dos à son ennemi.

(1) C'est environ un quart de lieue.

On combattit même au bagage jusque bien avant dans la nuit, parce que les Suisses avoient mis devant eux leurs chariots en forme de rempart, du haut desquels ils lançoient des dards sur les nôtres, et quelques-uns passoient des piques et des hallebardes à travers les chariots et les roues, et ainsi nous blessoient. Mais enfin après avoir long-temps combattu, les nôtres se rendirent maîtres du bagage et du camp, où l'on fit la fille d'Orgetorix prisonnière, avec un de ses fils.

De ce combat il resta environ cent trente mille hommes qui marchèrent toute la nuit sans se reposer, et qui arrivèrent le quatrième jour sur les terres de ceux deLangres, les nôtres n'ayant pu les suivre tant à cause des blessures de leurs soldats, que pour la sépulture des morts à laquelle ils employèrent trois jours.

CHAPITRE XVI.

César continue à suivre ce qui restoit des ennemis. Ils se rendent à lui, et il leur commande de retourner en leur pays.

CÉSAR dépêcha aussitôt lettres et courriers à ceux de Langres, qu'ils se gardassent bien de les secourir de vivres ni d'aucune autre

chose, et que
droit au même rang que les Suisses.

s'ils les assistoient il les tien

Trois jours après il commença à les suivre

avec toute son armée.

Les Suisses réduits à la nécessité de toutes choses, lui envoyèrent des Ambassadeurs pour traiter de leur reddition : lesquels l'ayant rencontré sur le chemin, s'étant jetés à ses pieds et lui ayant demandé la paix avec larmes, César leur commande de l'attendre au lieu où leurs gens étoient pour lors, et ils obéirent (1).

César y étant arrivé, leur demande des otages, leurs armes et les esclaves qui s'étoient retirés vers eux.

Pendant qu'on cherche et qu'on amasse tout cela, la nuit étant survenue, environ six mille hommes du canton qui s'appelle Verbigenne (soit de crainte qu'on ne les fît mourir après avoir rendu les armes, soit par espérance de se sauver, s'imaginant que dans une si grande multitude de gens qui se rendoient, leur fuite pourroit être couverte ou entièrement ignorée) sitôt qu'il commença à faire brun sortirent du camp des Suisses, et tirèrent vers le Rhin et les terres des Allemands.

(1) Le vainqueur donne la loi aux vaincus telle que bon lui semble.

« PreviousContinue »