Page images
PDF
EPUB

pagne, que la reine n'a pas fait asseoir les ayant rendus

sages.

J'envoie à V. A. S. une relation de ce qui s'est passé de plus remarquable en sa réception; je ne m'arrêterois pas à ces bagatelles, si j'avois autre matière pour l'entretenir; mais comme je lui ai mandé, l'on n'a parlé d'aucune autre affaire.

Je finirai donc en l'assurant de la continuation de mes respects, et lui souhaitant, comme je fais de tout mon coeur, une heureuse année, et une fortune digne de sa vertu et de son mérite.

Réception de la reine Christine en Italie.

Les quatre nonces ayant reçu la reine de Suède à Ferrare, avec toutes les magnificences dont cette ville a été capable, la conduisirent à Bologne, qui lui fit toutes sortes d'honneurs, l'accompagnèrent à Lorette, où elle fit ses dévotions, et où elle laissa un sceptre et une couronne d'or à la Vierge, qui peuvent être de la valeur de dix mille livres.

Ayant passé par les autres villes de l'Etat ecclésiastique qui sont sur le chemin de Rome, ayant été par-tout défrayée, régalée et honorée comme l'on auroit fait la propre personne du pape; enfin, elle arriva chez le duc de Bracciano, et lui fournit l'occasion de plaire à sa sainteté, par la grande réception qu'il lui fit, excédant même par sa magnificence les ordres qu'elle lui en avoit donnés.

Le 20, elle en partit pour se rendre à Rome incognito, d'où sur les seize heures les cardinaux de Médicis et de Hesse, légats créés pour la recevoir, étant sortis, l'al

lèrent rencontrer dans un château à huit ou dix milles de cette ville, en cavalcade, accompagnés des principaux seigneurs de cette cour, et de grand nombre de noblesse, de pages et d'estaffiers, vêtus d'une superbe livrée, de carrosses et de chevaux de main; elle descendit toutes les marches du degré pour aller à leur rencontre, et passa, par un excès de reconnoissance, sur l'avis que lui donnoit le maître des cérémonies de sa sainteté, de ne venir que sur le haut du degré pour les recevoir.

Les ayant accueillis avec beaucoup de civilité, elle se mit d'un air libre et fort dégagé au milieu, et s'appuya sur eux pour remonter en son appartement, d'où après une conversation de peu de temps, elle descendit de la même manière, et monta dans le fond d'un des carrosses que le pape lui avoit envoyés, et messieurs les légats dans le devant, et éclairée d'une infinité de flambeaux, à trois heures de nuit elle entra dans Rome par une porte qui répond au jardin du Vatican. Le grand monde qui bordoit le chemin par où elle passa, fut étonné de la voir vêtue d'un habit plus convenable à un jeune cadet d'une noblesse incommodée, qu'à une princesse; elle avoit un chapeau, une cravate de cavalier, et une casaque d'un gris brun, relevée d'un galon d'argent des plus simples. Pour se trouver en cet équipage, elle ne laissa pas de demander à voir le pape dès le soir: elle y fut introduite par les deux légats, et admise ad oscula pedum et manuum, à la manière ordinaire, à genoux, sans que le pape témoignât par la moindre action de vouloir se remuer de son trône pour la recevoir; véritablement il lui fit aussitôt donner une chaise à dossier sans bras, mais couverte d'un tapis, et deux carreaux

pour soutenir ses pieds, et aux légats deux escabeaux. La conversation fut de peu de temps, et de choses fort générales, après laquelle les cardinaux l'accompagnèrent dans son appartement, qu'on avoit préparé le plus magnifique qu'il avoit été possible.

[ocr errors]

Les deux jours suivans, du 21 et 22, qu'on destinoit à son repos et aux soins de disposer toutes choses pour son entrée, elle eut des audiences secrètes du pape de deux et trois heures, qu'elle commença toujours à genoux par le baiser des pieds et des mains de sa sainteté, et qu'elle continua assise de la manière ci-dessus remarquée.

Je laisse aux relations publiques qui sont déjà sous la presse, le récit de tous les préparatifs qu'on fit pour honorer sa cavalcade, l'ordre qu'on y tint, le rang qu'on y donna aux seigneurs de cette cour, la magnificence qu'ils y firent paroître par l'éclat et la beauté de leurs livrées, la suite de leur cortège, la montre de leurs chevaux de main et de leurs superbes carrosses, et la noble émulation qu'on remarqua à l'équipage des neveux des deux derniers papes, les princes de Palestrine et Pamphilio, , pour soutenir avec plus de lustre la grandeur romaine, et faire revivre la mémoire de leurs oncles.

Je ne parlerai même qu'en passant des ornemens propres et singuliers à sa réception, qu'on mit dans l'église de Saint-Pierre ; elle étoit toute parée de brocatelle, qui ne servoit qu'à rehausser les tapisseries de Raphaël, dont l'on avoit mis à chaque pilier une pièce entre les armes de cette princesse, relevées en broderie, avec la couronne fermée, et des tableaux et des emblêmes ingénieux qu'on avoit ornés de la même sorte pour honorer sa conversion.

Enfin, tout étant préparé le 23, elle se rendit sur les midi en la vigne du pape Jule, accompagnée des deux légats, d'où étant partis sur les midi avec tous les cortèges, elle fut rencontrée hors la porte del Populo, du sacré collége en corps, et étant à cheval au milieu des deux plus anciens cardinaux-diacres Ursini et Costaguti, auxquels les légats cédèrent pour lors leur place, elle fut menée comme en triomphe au son des trompettes, tambours et timbales, et des décharges de tout le canon du château Saint-Ange jusqu'à Saint-Pierre, dont le chapitre en corps, accompagnant le doyen revêtu pontificalement, s'avança jusque dans la place pour la recevoir.

L'on eût desiré un peu plus de modestie et de retenue de la part de la reine, en une action qui devoit être plus de pénitence que d'éclat, et que le pape l'ayant voulu retenir par la splendeur de la magnificence du siècle, elle au moins se fût souvenue qu'elle étoit encore comme catéchumène, qu'elle alloit ad limina apostolorum comme pénitente, et qu'à la vue de toutes les nations, elle alloit abjurer entre les mains du vicaire de Jésus-Christ les erreurs qu'elle avoit professées; mais à ne rien dissimuler, elle ne prévint pas en cette action le jugement et l'opinion publics aussi favorablement qu'il eût été à desirer, et elle ne donna que trop de lieu à la censure.

L'on la vit ensuite aller négligemment et avec peu de piété à l'adoration du saint sacrement, qu'on avoit exposé à Saint-Pierre, devant lequel s'étant mise à genoux, et fait son oraison fort courte, elle se leva pour se rendre en la salle royale du Vatican, où le pape, en l'attendant, tenoit le consistoire public; s'approchant de

son trône, elle se mit à genoux, et lui ayant baisé les pieds et les mains, dans le moment qu'elle se fut relevée, sa sainteté en descendit, et se retira pour laisser encore indécis de quelle manière, en ces sortes d'occasions, les têtes couronnées doivent être traitées, quel rang, quelle place, quel siége l'on leur doit donner, et si l'exemple de Charles VIII doit être tiré à conséquence, qu'on prend ici diversement, et qui ne fait point encore de règle dans le cérémonial.

Le 25, jour de Noël, auquel le pape a accoutumé de dire la messe publiquement dans Saint-Pierre, sa sainteté lui voulut donner la confirmation lui-même et la communion.

A main droite de l'autel l'on avoit dressé un marchepied relevé de deux degrés, couvert et entouré de velours à grand passement d'or, sur lequel l'on avoit mis une chaise à bras pour la reine, et trois carreaux pour mettre sous ses pieds ou pour s'agenouiller; le pape étant venu à l'autel, et assis en sa chaise sur le marche-pied, les cardinaux de Médicis et Sforza l'allèrent prendre pour la conduire à sa sainteté, devant laquelle s'étant mise à genoux, elle reçut le chrême et le nom de ChristineMarie-Alexandrine; ayant été reconduite dans sa place par les mêmes cardinaux, l'on commença la messe, pendant laquelle ous a trop grande curiosité de voir et remarquer ce qui se passoit, ou la naturelle inquiétude de son esprit, lui ôtèrent l'attention, l'application, et toute la dévotion qu'on espéroit de sa première ferveur.

A la consécration, les deux mêmes cardinaux la vinrent querir pour la conduire au trône du pape, qui la communia, et ensuite, lorsqu'elle fut en sa place, tous les cardinaux-diacres, l'ambassadeur de Venise, et les

« PreviousContinue »