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quatre conservateurs du peuple romain, reçurent de sa même main le saint sacrement. Je remarque qu'elle fit cette action avec assez de recueillement d'esprit, pour excuser en quelque sorte la distraction qu'elle avoit auparavant fait paroître, qu'on pouvoit imputer à la liberté de son naturel, moins contraire à la dévotion et à la piété qu'à la décence.

Le 26, le pape lui donna un superbe dîner. La table de sa sainteté étoit sur un marche-pied élevé de cinq ou six doigts de haut, couvert d'un grand tapis, et sous un dais; celle de la reine étoit plus basse de quatre ou cinq doigts, éloignée environ d'un pied de la première, et posée de sorte qu'une partie d'icelle demeurant couverte d'un baldaquin, la reine, qui étoit au milieu, se trouvoit moitié dessous, moitié dehors: le pape avoit une chaise à bras, la reine une à dossier; sa sainteté lava seule, et pendant qu'on lui versoit de l'eau, sa majesté s'inclina, et tout le monde se mit à genoux, puis elle lava, et trouvant déjà le pape à table, elle s'y mit, puis après, à toutes les fois que sa sainteté but, elle se leva, et tout le monde se mit à genoux; à la seconde fois ce fut à sa santé. Cependant le père Oliva, jésuite, fit un discours d'éloquence, qui fut suivi d'une excellente musique qui dura pendant le festin, après lequel la reine, ayant accompagné sa sainteté dans son apparte ment, et l'ayant entretenue quelque temps, elle se retira dans le sien, pour se préparer à une nouvelle cavalcade qu'on lui fit allant au palais Farnèse.

L'on ne s'est pas contenté de sa magnificence ordinaire, l'on en a peint le frontispice à fresque, on l'a orné de riches emblêmes, et enrichi des armes de la reine et du royaume de Suède, au milieu desquelles pa

roissent celles du pape; toutes les fenêtres de la place étoient éclairées d'un nombre infini de lumières, et celles du palais chacune de deux flambeaux de cire blanche.

L'on parle diversement de la libéralité du pape envers la reine; les uns disent qu'il lui a fait un fonds de quatrevingt-dix mille écus pour trois mois, à raison de mille écus par jour; les autres, qu'après l'avoir régalée dans le Vatican aussi superbement qu'il se peut, il se contente de faire distribuer tous les jours à son maître - d'hôtel pour sa table et sa maison, le pain, le vin, les fruits, les épiceries, et le foin et l'avoine pour ses chevaux, et cent écus d'argent pour servir aux autres dépenses; je crois plutôt le dernier, et que la plupart de ceux qui exagèrent sa magnificence, ne le font que pour exposer davantage l'innocence de ses actions à la censure publique, et don ner lieu de crier contre cette vaine profusion, qu'on devroit ménager à un meilleur usage pour le secours de la chrétienté.

Les actions de la reine seront ici mises à la rigueur d'un examen bien sévère, tous les particuliers qui ont fait dépense, croyant au moins s'être acquis la liberté d'en juger; sa constance, sa persévérance et sa piété en relèveront autant l'éclat, qu'une contraire conduite serviroit à la faire blâmer et à l'accuser de la dernière imprudence.

No. 2.

AVERTISSEMENT

SUR LE TESTAMENT DU CARDINAL

DE MAZARINI.

LE passage des Mémoires de Choisi, que nous allons transcrire, fait connoître les circonstances qui donnèrent lieu au cardinal de laisser ces singulières dispositions.

« Le cardinal ne passoit pas pour avoir la conscience fort timorée. Néanmoins les scrupules augmentoient à mesure que la mort approchoit. Un bon Théatin, son confesseur, lui dit net qu'il seroit damné, s'il ne restituoit le bien qu'il avoit mal acquis: Hélas! dit-il, je n'ai rien que des bienfaits du roi. — Mais, reprit le Théatin, il faut bien distinguer ce que le roi vous a donné, d'avec ce que vous vous êtes donné vous-même. Ah! si cela est, dit le cardinal, il faut tout RESTITUER. Colbert vint là-dessus, et étant consulté, conseilla au cardinal de faire une donation testamentaire de tous ses biens en faveur du roi; qu'il ne manqueroit pas, vu son bon cœur, de les lui redonner sur-le-champ. L'expédient plut à

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EUV. DE LOUIS XIV. TOME VI.

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Son Eminence; il falloit peu de choses pour calmer ses remords. Il fit la donation le troisième de mars; mais il fut deux jours fort en peine, parce que le roi qui l'avoit acceptée, ne dit mot. Ma pauvre famille, s'écrioit-il dans son lit devant Colbert, Rose et Bernouin, son premier valet-de-chambre, (je le sais de Rose,) ah! ma pauvre famille n'aura pas de pain. Colbert le reconfortoit, et lui apporta enfin le 6 de ce mois, la donation du roi qui le remettoit en possession de ses richesses immenses. Il refit aussi-tôt ce fameux testament dont on a tant parlé, par lequel il dispose de plus de cinquante millions; et le 7 et le 8, il y fit quelques changemens. Il y défend, sur toutes choses, qu'on fasse aucun inventaire de ses effets, assurément dans la peur qu'il avoit que le public n'en fût scandalisé, etc.».

« Dès que Son Eminence eut rendu le dernier soupir, (Colbert) alla trouver le roi, et lui dit que le cardinal avoit én différens lieux, près de quinze milfions d'argent comptant, et qu'apparemment son intention n'étoit pas dé les laisser au duc de Mazarin, quoiqu'il l'eût déclaré son légataire universel: qu'il falloit prendre là-dessus le mariage de ses nièces, à qui il donnoit chacune à-peu-près quatre cent mille écus, et que le surplus serviroît à remplir les coffres de l'Epargne qui étoient fort vides. Ce fut là le commencement de la fortune de Colbert. La chose demeura secrète entre le roi et lui, ét 'le surintendant i et n'en sut rien, ou ne fit pas semblant de le savoir. » £ 1 «< On dit qu'on trouva à Sedan, chez le maréchal

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de Fabert cinq millions; deux à Brisach; six à la Fère, el cinq ou six à Vincennes. Il y avoit aussi de l'argent dans son appartement au Louvre mais Bernouin, son premier valet-de-chambre, s'en saisit et ne le rendit pas. Il en fut au moins soupçonné.... Le duc de Mazarin n'eut aucune connoissance du testament, ou eut assez d'esprit pour n'en rien dire.... ».

Quoique cette dernière circonstance soit fausse, il est certain qu'on mit du mystère au testament; ce qui explique pourquoi cette pièce très-curieuse est si peu connue. On voit que l'abbé de Choisi lui-même ne la lut point. Nous ne l'avons jamais vue imprimée. On a écrit pourtant qu'elle le fut en Hollande, mais sans doute peu exactement. La copie sur laquelle nous la donnons, porte tous les caractères de l'authenticité.

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