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TESTAMENT ET CODICILES

De très-illustre et éminentissime seigneur, monseigneur JULES, cardinal MAZARINI, duc de Nivernois et Donziois, des 3, 6 et 7 mars 1661.

AUJOURD'E

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UJOURD'HUI troisième jour de mars 1661, sur les neuf heures du matin, au mandement de très-illustre éminentissime monseigneur Jules, cardinal Mazarini, duc de Nivernois el Donziois, étant de présent au château de Vincennes, les notaires gardes-notes du roi notre sire, au Châtelet de Paris, soussignés, se sont transportés audit château, au département de son éminence, où étant ont trouvé mondit seigneur cardinal-duc au lit, malade de corps, mais sain d'esprit, mémoire et entendement comme il leur est apparu.

Lequel a dit et déclaré, qu'il reconnoît que tous ses biens, meubles et immeubles, et autres généralement quelconques, de quelque nature et qualité qu'ils soient, viennent et procèdent des libéralités et magnificences de sa majesté.

C'est pourquoi il a cru ne pouvoir mieux faire que de remettre, comme par ces présentes il remet ès mains de sa majesté tous sesdits biens, meubles et immeubles, et autres généralement quelconques, de quelque nature et qualité qu'ils soient, et en quelques lieux qu'ils soient et se trouvent situés et assis, et en quoi qu'ils se puissent consister, sans aucune exception ni réserve; laquelle

présente déclaration et délaissement, son éminence fait en faveur de sa majesté, par donation à cause de mort, disposition testamentaire ou autrement, en la meilleure forme et manière qu'elle peut et doit valoir; voulant que sa majesté soit et demeure saisie de tous lesdits biens du jour du décès de son éminence, qui espère que sa majesté aura la bonté de disposer desdits biens, suivant les pensées et desseins de son éminence que sa majesté a bien voulu recevoir de sa bouche, laissant néanmoins sa majesté en la pleine liberté de ladite disposition, ainsi et comme bon lui semblera, comme maître et seigneur de tous lesdits biens, lesquels à cette fin il donne et lègue par ces présentes à sa majesté.

Ce fut fait, dicté et nommé par son éminence auxdits notaires, et à elle par l'un d'eux l'autre présent, relu en la chambre de son éminence, ayant vue sur la cour du donjon, les jour et an susdits, et a mondit seigneur cardi nal signé la minute des présentes, demeurée vers Lefoin, l'un des notaires soussignés.

Aujourd'hui date des présentes, au mandement de trèsillustre et éminentissime monseigneur Jules, cardinal Mazarini, duc de Nivernois et Donziois, pair de France, les notaires gardes-notes du roi notre sire, au Châtelet de Paris, soussignés, se sont transportés au château de Vincennes, où étant en une chambre regardant sur la cour vis-à-vis le donjon, ont trouvé mondit seigneur cardinal-duc au lit, qui étant malade de corps et très-sain d'entendement a dit, que la longueur de sa maladie, l'incertitude de la vie, et la nécessité de mourir, l'ont obligé de penser à son testament et ordonnance de dernière volonté, qu'il a dit et nommé auxdits notaires, ainsi qu'il en suit:

Premièrement, il remercie l'auteur de tous biens, de la grace de l'avoir fait naître dans la religion catholique, apostolique et romaine, qu'il reconnoît seule, véritable et l'unique voie du salut.

En second lieu, il remercie la même bonté divine de tant de graces singulières et signalées qu'il lui a plu lui donner dans le cours de sa vie, et nommément de ce qu'il l'a choisi parmi un nombre infini de sujets de plus grand mérite, pour l'élever à la plus éminente dignité de son église, suppliant sa divine miséricorde que cette élévation ne tourne point aujourd'hui à sa confusion, pour n'avoir assez utilement employé pour sa plus grande gloire, les talens qu'il lui a plu lui donner, dont il demande pardon du plus profond de son cœur à sa divine majesté, et de toutes les autres fautes dont il se reconnoît infiniment coupable envers elle, mais dont il espère la rémission par le mérile du sacré sang de Jésus-Christ répandu pour notre rédemption.

Après avoir remercié Dieu comme le principe de tous biens, il a estimé que ce ne seroit pas déroger à sa gloire, de témoigner aussi avec la disproportion néanmoins qu'il y a et qui doit être des créatures au créateur, la reconnoissance qu'il doit aux bons maîtres que Dieu lui a donnés, et premièrement au roi défunt, de glorieuse mémoire, lequel après l'avoir appelé à son service, avoir employé ses instances et sa nomination pour le promouvoir au cardinalat, lui auroit fait l'honneur inestimable d'ordonner, qu'il fût parrain du roi aujourd'hui glorieusement régnant, et enfin le jugea digne de l'administration de ses plus importantes affaires, et de remplir une place que venoit de laisser par sa mort le plus

grand, le plus glorieux et le plus habile ministre que la France ait eu.

A la reine-mère, dont la bonté infinie a bien voulu lui confier la même administration pendant sa régence, et dont il se peut dire avec vérité, que la fermeté d'ame incroyable a sauvé l'Etat d'un des plus grands périls qu'il ait jamais couru.

Au roi, qui ayant approuvé le choix fait de sa personne par le feu roi son père et par la reine sa mère, a bien voulu lui continuer le même honneur et le rendre participant des bénédictions que le ciel a versées abondamment sur sa personne sacrée, par les succès glorieux et avantageux qu'il a donnés à ses armes depuis son avénement à la couronne, par le calme et le repos qu'il a rétabli dans son Etat peu de temps après sa majorité, par la glorieuse paix que sa majesté a donnée à ses peuples, - affermie et consolidée par son auguste mariage avec la plus grande et la plus parfaite princesse de la terre, et enfin par cette même paix que sa majesté a procurée depuis à tout le reste du monde chrétien, non moins par le respect et la gloire de son nom, que par sa médiation que tous les princes et potentats qui étoient en guerre ont recherchée ou reçue avec estime; en sorte qu'il est vrai de dire, que depuis mille ans la chrétienté n'a point joui d'un si grand calme qu'est celui dont elle jouit à présent par les soins et l'autorité du roi.

Comme dans tous ces grands succès, il a plu à Dieu qu'il ait servi de foible ministre de ses volontés et des ordres du roi, il doit d'autant plus s'abaisser devant la face de sa majesté divine pour reconnoître sa véritable bassesse, et combien peu il étoit capable de lui-même de servir d'instrument à de si grandes choses sans sa parti

culière divine assistance, la principale satisfaction que son éminence espéroit après la glorieuse conclusion de ces grands ouvrages, et le retour de leurs majestés à Paris, étoit de donner toute son application et tous ses soins à faire incessamment exécuter les bonnes intentions de sa majesté, pour rétablir l'ordre dans l'administration universelle du dedans du royaume, où il s'est glissé beaucoup d'abus par la longueur de la guerre, que la prudence oblige de tolérer ou n'a pas permis de réprimer, de crainte de quelques plus fâcheux mouvemens au-dedans, pendant qu'il falloit nécessairement soutenir au-dehors les efforts ennemis d'une puissance très-considérable; mais Dieu ne lui ayant voulu accorder après tant d'autres cette dernière satisfaction qu'il s'étoit proposée, et l'ayant visité par une longue et fâcheuse maladie, qui lui a ôté tout moyen de s'appliquer autant qu'il eût été nécessaire à une affaire de cette importance pour le bien de l'Etat et pour l'avantage des sujets du roi, il se console dans la pensée et l'espérance (comme certaine), qu'il a que sa majesté en ayant déjà pris la résolution par ses foibles conseils, elle l'entretiendra avec sa sagesse et bonté toute royale.

Son éminence se trouve encore obligée de dire, que rien ne lui a donné plus de déplaisir dans le cours de sa maladie, que de n'avoir pu travailler à un soulagement considérable des surcharges qu'ont souffertes les peuples, lesquels ayant témoigné leur zèle et leur obéissance par les grands secours qu'ils ont donnés au roi en toutes occasions, durant le cours d'une guerre de vingt-cinq années, il ne doute point que sa majesté ne prenne un soin particulier de faire exécuter les bonnes intentions qu'il Jui a vues sur ce sujet, et par le motif de la tendresse

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