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que l'affaire mérite d'être examinée de nouveau par le ministre, elle le déclare par son renvoi. Le renvoi ne signifie pas et ne peut pas signifier autre chose, car, s'il signifiait quelque chose de plus, les pouvoirs seraient évidemment confondus, et la Chambre gouvernerait directement. La Chambre serait définitivement corps administratif si elle pouvait faire autre chose que prononcer le renvoi de la pétition dans le sens que j'indique.

Mais, direz-vous, si les ministres se faisaient une loi de ne donner aucune attention aux recommandations de la Chambre, le droit serait dérisoire. Non, car une fois que la Chambre s'apercevrait de cette intention, elle a de nombreux moyens pour que ses pouvoirs, à elle, soient respectés et pour que les ministres ne se mettent pas en hostilité directe avec elle. C'est donc une recommandation qui a du poids lorsqu'elle émane de la Chambre. Mais il n'est pas moins vrai d'un autre côté que, si c'était autre chose qu'une recommandation, le pouvoir exécutif n'existerait plus; la Chambre exercerait elle-même les fonctions de maire, de préfet, de ministre, elle exercerait enfin les fonctions du pouvoir exécutif.

QUATRE-VINGT-SIXIÈME LEÇON

SOMMAIRE

Droit d'initiative. Il doit appartenir aux trois branches du pouvoir législatif, et lorsque les Chambres ne l'ont pas directement, elles essaient d'y arriver par tous les moyens; mais le pouvoir exécutif est le mieux placé pour l'exercer, et quand il appartient à tous c'est presque toujours lui qui l'exerce en réalité. - Dispositions des Constitutions de 1791, de 1793, de l'an III, de l'an VIII, de la Charte de 1814 et de la Charte de 1830. Mode de présentation de propositions par les membres de l'une et de l'autre Chambre.

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MESSIEURS,

Les attributions générales de la Chambre des Députés, nous l'avons déjà dit, sont la part qu'elle doit prendre à la confection des lois, et le vote de l'impôt. Ce ne sont pas ses seules attributions, mais ce sont les principales.

La loi est la manifestation de la volonté de l'autorité suprême sur les affaires du pays. Il faut pour cela plusieurs opérations distinctes. Il faut d'abord concevoir la loi, la formuler et la proposer; elle doit être alors soumise à une discussion, à un examen dans telles ou telles formes, d'où il résulte qu'elle peut être amendée, c'est-à-dire rendue meilleure ;

enfin, amendée ou non, elle est adoptée ou rejetée. De l'ensemble de ces opérations résulte la formation de la loi, en ce qui regarde du moins la Chambre des Députés la loi, d'ailleurs, n'existera que par le concours des trois branches du pouvoir législatif.

Il faut d'abord, disons-nous, concevoir, proposer la loi. C'est là ce qu'on appelle le droit d'initiative. Or, c'est là un de ces droits qui constituent le pouvoir souverain, et, d'un autre côté, c'est un droit bien important que de pouvoir attirer l'attention du pouvoir législatif sur une matière, ou de pouvoir empêcher la délibération sur cette même matière. Il faut, en effet, considérer le droit d'initiative sous son double point de vue, positif et négatif, pour en apprécier toute l'importance. Et il n'est pas étonnant que cette question ait vivement préoccupé les hommes d'État et les publicistes. Faire une loi, c'est donner la sanction du droit positif aux besoins du pays. Ainsi, philosophiquement parlant, l'initiative véritable est dans le pays même, et c'est ainsi que souvent les mœurs, les habitudes, suppléent aux lacunes du droit positif; c'est ainsi que le système des assurances terrestres, inconnu lors de la rédaction du code de commerce, s'est introduit dans les ha-" bitudes, dans le développement industriel du pays.

Quand le législateur veut procéder d'une manière rationnelle, c'est sur cette initiative nationale qu'il fixe son attention, pour coordonner la législation positive avec les vrais besoins du pays. De là cette règle si souvent répétée, que celui qui veut trop devancer son temps se place, en quelque sorte, hors

du pays, comme celui qui, sans tenir compte des faits sociaux, s'obstine à ne voir la société que comme elle était jadis. L'un fait des lois qui n'ont aucunes racines dans le pays; l'autre les fait avec des racines qui existent encore, mais tombent déjà en pourriture et ne peuvent plus rien soutenir.

Ainsi, demander à qui doit être confié le droit d'initiative, c'est demander qui connaît le mieux les besoins du pays, ses besoins matériels et moraux, ses instincts, son but, son avenir, et qui offre le plus de de garanties pour cette œuvre si grande, pour cette sorte de sacerdoce social, la proposition de la loi. Il faut que ces deux conditions soient réunies pour qu'on puisse se flatter d'arriver à la solution du problème.

Eh bien, en ne considérant que la première de ces deux conditions, on serait amené à se dire que le pouvoir exécutif, que le gouvernement est toujours le mieux placé; celui qui a les moyens de se procurer en un instant tous les renseignements possibles, auquel aboutissent tous les faits du royaume, est évidemment mieux placé que des particuliers qui ne connaissent bien que leur localité.

Mais la deuxième condition du problème se résout-elle de la même manière? Connaître n'est pas toujours vouloir, et où est la garantie que le pouvoir exécutif, investi seul de l'initiative, saisira le pouvoir législatif de toutes les propositions nécessaires, qu'il proposera des innovations qui diminueraient son autorité ou seulement dérangeraient ses habitudes? Il ne faut donc pas qu'il soit investi seul de ce droit

qui devient alors, à la fois, positif et négatif. C'est là la raison capitale, l'argument sans réplique, pour prouver que le droit d'initiative ne doit pas être confié exclusivement à une seule branche du pouvoir législatif, mais doit appartenir à toutes les trois. C'est pour que le droit d'initiative ne devienne pas un veto préalable sur toutes les questions. Les autres arguments sont secondaires.

Aussi, les assemblées qui n'ont pas l'initiative directe essaient-elles d'y arriver par tous les moyens, en allant même quelquefois jusqu'à repousser des lois dont elles approuveraient d'ailleurs le principe. Ce droit est si conforme à la nature des choses, qu'il existe dans tous les pays où le gouvernement représentatif s'est complètement développé. C'est, de plus, un moyen d'éviter les hostilités entre les diverses branches du pouvoir législatif, et en fait, lorsqu'il est attribué à toutes, c'est presque toujours le pouvoir exécutif qui l'exerce réellement.

Chez les peuples anciens, l'initiative n'appartenait guère aux assemblées délibérantes. Les peuples anciens, nous l'avons déjà dit plusieurs fois, ne connaissaient pas le système représentatif. Leurs assemblées ne siégeaient pas d'une manière permanente, régulière. Dès lors, le premier venu ne pouvait avoir l'initiative; elle appartenait à un magistrat ou à un conseil permanent et moins nombreux. De même, au moyen âge, dans plusieurs républiques et dans les cantons démocratiques de la Suisse, l'initiative était exercée par un petit conseil. Ainsi, à Genève, le conseil général n'avait ni l'initiative, ni le droit d'amen

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