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pourrait-on dire que le Député doit cesser de faire partie de la Chambre; ou bien, en prenant l'article à la lettre, doit-on dire non, il n'est plus éligible, mais il est élu, il est membre de la Chambre, il n'y a pas là une incapacité essentielle?

Mais si, comme il est arrivé quelquefois, le tribunal interdisait pendant cinq ans, cela aurait beau être appelé une suspension, le Député ne pourrait remplir ses fonctions. Cependant, lorsqu'il s'agit d'avoir une opinion positive sur pareille matière, il faudrait un texte précis pour dire d'une manière absolue que l'homme placé dans ces conditions cesse d'être Député. Or, je ne connais pas ce texte. Il y a, au contraire, le précédent d'un Député qui avait subi une condamnation et qui pendant le temps qu'a duré sa suspension n'a pas été remplacé, on serait donc conduit à adopter l'interprétation littérale de l'article du Code pénal, et à dire que la disposition ne s'applique pas à ceux qui sont membres de la Chambre. Au surplus, s'il s'agissait d'un cas se présentant souvent, on pourrait dire qu'il y a là quelque chose à faire. Je me contente de vous signaler ces petites difficultés auxquelles je n'attache pas d'importance. Mais en réalité il n'y a pas une déclaration législative tout à fait précise sur la matière. Quand il s'agit d'exclusion, l'interprétation doit être la plus favorable. En pratique, la Chambre reste maîtresse de décider le cas.

Nous arrivons à une autre espèce. Pour être Député, il faut être Français, jouir des droits civils et politiques, avoir un certain âge et payer cinq

cents francs de contributions directes. Qu'arriverat-il si un Député payant aujourd'hui six cents, huit cents, mille francs de contributions directes, n'en payait pas cinq cents deux mois après l'élection, parce qu'il aurait perdu sa fortune, ou pour d'autres raisons. Dirons-nous que c'est là une des causes qui font perdre la qualité de Député? Je ne le pense pas. Quand nous disons que celui qui perd la qualité de Français doit cesser d'être Député, qu'il en est de même de celui qui subit une peine infamante, de celui qui perdrait la jouissance de ses droits civils et politiques, nous supposons des cas où le Député perd une des conditions qui, dans tous les temps, dans tous les pays, seraient toujours nécessaires pour être Député. A coup sûr, vous n'imaginerez pas un système où l'on appelle à délibérer sur les affaires d'un pays des hommes qui ne sont pas de ce pays, ou des hommes qui seraient morts civilement. Il y a là perte des qualités essentielles, indispensables, qui sont et seront toujours exigées. Mais la condition du cens n'est pas de même nature. D'abord le cens est exigé, non comme qualité directe, mais comme présomption d'autres qualités. Le cens était de mille francs avant 1830, il est aujourd'hui de cinq cents francs; il peut augmenter ou diminuer demain. Le cens d'éligibilité, même dans le système de la Charte, n'est pas une condition sine quâ non, et la preuve c'est qu'il peut y avoir des Députés qui ne paient pas cinq cents francs. Nous n'examinerons pas ici la convenance du cens, ni de sa quotité, nous prenons les lois telles qu'elles sont et nous disons que nous

sommes conduit à ne pas mettre sur le même rang la qualité de Français jouissant des droits civils et politiques et la qualité d'homme payant tel ou tel cens. Or, cette distinction étant admise, nous ne croyons pas que la qualité de Député soit perdue parce que l'on ne remplirait plus la condition de payer le cens légal. Que trouvons-nous, en effet, à l'article 32 de la Charte? « Aucun Député ne peut >> être admis dans la Chambre, s'il n'est âgé de >> trente ans et s'il ne réunit les autres conditions » déterminées par la loi. » Ne peut être admis dans la Chambre. Mais ici, nous parlons d'un Député admis dans la Chambre, qui en fait partie, et qu'il s'agirait d'exclure. Et la loi de 1831 dit, article 59: <«< Nul ne sera éligible à la Chambre des Députés si, >> au jour de son élection, il n'est âgé de trente ans » et s'il ne paie cinq cents francs de contributions » directes..... » Je veux bien, car il ne faut jamais employer de mauvais moyens d'interprétation, je veux bien que les mots au jour de l'élection se rapportent seulement à l'âge de trente ans. Mais une fois Député, peut-il être exclu et renvoyé de la Chambre parce qu'il aura cessé de payer cinq cents francs de contributions directes? Pourrait-on dire aux électeurs : « L'homme que vous avez choisi >> remplissait toutes les conditions quand vous l'avez » élu, mais il est arrivé un changement dans sa >> fortune, nous ne voulons pas de votre élu, procédez » à une nouvelle élection. » Où mènerait ce système, ne mènerait-il pas à une espèce d'inquisition permanente sur la fortune de chaque Député? Quand les

Députés arrivent après une élection générale, l'assemblée dans la vérification des pouvoirs est indulgente, et l'expérience a prouvé que presque tous les corps politiques, dans ces vérifications de pouvoirs, s'attachent plutôt à des questions de bonne foi qu'à des questions légales. Il y a peut-être aussi un peu de cette considération qu'aujourd'hui c'est mon tour et que demain ce sera le vôtre, qu'il s'agit de vérifier les pouvoirs des uns et des autres. Mais d'ailleurs à cette première arrivée, les discussions politiques ne se sont pas encore élevées; si la guerre peut se pressentir, elle n'a pas éclaté. Mais lorsque plus tard les opinions se sont formées, que la Chambre s'est partagée en deux, trois ou quatre divisions, lorsque au milieu de tous ces débats s'est révélé le tantæne animis cœlestibus iræ, vouloir alors exercer une espèce d'inquisition sur la fortune de chacun, ce serait méconnaître l'esprit de l'institution et sans aucune utilité; car quand il arriverait que sur 459 Députés, il y en eût une dizaine qui ne payassent pas le cens, y aurait-il là un bien grand inconvénient? Que pourrait-il arriver d'ailleurs? On voudrait, sinon exclure, du moins inquiéter le Député qui ne paierait que tout juste le cens; on lui ferait un dégrèvement de quelques francs, ne fût-ce que pour faire naître un débat. Et tout cela sans aucune utilité réelle; ce serait toujours un Français jouissant des droits civils et politiques, qui était parfaitement en règle au moment où il a été admis et qui réunissait toutes les qualités essentielles pour pouvoir continuer à siéger dans la Chambre. Ces considérations me font penser

que le changement dans la fortune du Député n'entraînerait pas la cessation de ses pouvoirs de Député pendant la législature à courir.

Un cinquième moyen c'est l'option. Nous avons déjà dit qu'on ne pouvait être Député que par l'élection d'un collége électoral. Si donc un Député est élu par plusieurs colléges, la loi lui enjoint d'opter pour celui des colléges qu'il préfère. C'est la disposition de l'article 63 de la loi de 1831. Ici c'est une perte de la qualité qui n'est pas absolue, le Député renonce seulement à ce qu'il a de trop.

Je passe à un moyen plus important, la démission. Et la démission peut être expresse ou tacite.

La démission expresse ne peut être reçue que par la Chambre elle même. « La Chambre des Députés, dit >> l'article 66 de la loi de 1831, a seule le droit de re>> cevoir la démission d'un de ses membres. >> Les motifs de cette disposition ne sont pas difficiles à deviner. D'abord il ne faut pas oublier que chacun de ces grands corps de l'État doit être, pour ainsi dire, maître de lui-même quant à la présence ou à l'absence de ses membres. Qu'arriverait-il si la Chambre n'était pas seule chargée de recevoir la démission de ses membres? C'est qu'on pourrait agir dans l'ombre sur les Députés pour obtenir des démissions, et que la Chambre saurait seulement par la convocation d'un collége qu'elle va perdre un membre et en recevoir un autre. Cela ne serait pas conforme au principe d'indépendance des trois pouvoirs. Il faut que la Chambre puisse vérifier si la démission a été libre, si elle est appuyée sur des motifs raisonnables

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