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française a des droits à la célébrité, c'est surtout par la grandeur de la discussion qui y fut portée sur cette question, en 1790. C'est là qu'on trouve un des plus beaux monuments de l'éloquence française. Mirabeau avait Barnave pour adversaire; il ne partageait pas l'avis de ceux qui voulaient dépouiller la Couronne du droit de déclarer la guerre. Mirabeau n'était pas seulement un orateur, un habile faiseur de phrases, c'était un homme de méditation et un homme d'État. Le premier des discours qu'il prononça sur cette question est un modèle de discussion large et élevée; le second est un modèle de polémique. Dans l'intervalle d'une séance à l'autre, on avait colporté par les rues un pamphlet intitulé: Grande trahison du comte de Mirabeau. Il en tira l'exorde de son dernier discours, dans lequel il déclara qu'il ne quitterait la tribune que mort ou victorieux. Vous connaissez sans doute cet exorde : «< Moi aussi on m'a porté en triomphe, » et pourtant on crie aujourd'hui la grande trahison » du comte de Mirabeau. Je n'avais pas besoin de cet >> exemple pour savoir qu'il n'y a qu'un pas du » Capitole à la roche Tarpéienne. » Malgré tout le déchaînement des passions du temps, l'opinion de Mirabeau fut adoptée.

C'est donc le pouvoir royal qui déclare la guerre. Jadis la déclaration de guerre se faisait avec certaines formes solennelles. Aujourd'hui, lorsque les bonnes relations qui existaient entre deux peuples viennent à cesser, l'usage veut que le commencement des hostilités soit précédé de la publication d'un manifeste. C'est un hommage rendu à la fois à

la civilisation et à l'opinion publique. C'est l'exposé des motifs de la guerre.

Mais cette déclaration de guerre faite par le Roi, est-ce un engagement sans remède, sans retour possible de la nation dans une entreprise qu'elle désapprouve peut-être? La libre disposition de ses richesses et de son sang appartient-elle au Roi? Non sans doute. Il faut ici le concours du pouvoir législatif, c'est lui qui donne l'argent et les soldats. Que veut donc dire ce droit de déclarer la guerre attribué au pouvoir exécutif. Il veut dire que c'est au pouvoir exécutif qu'il appartient d'apprécier la nécessité d'avoir recours à ce grand moyen. On conçoit bien que les questions de guerre et de paix ne puissent être discutées à la tribune; les plus petites causes de mésintelligence pourraient ainsi amener des ruptures, les accommodements, les transactions seraient souvent rendus impossibles. C'est donc dans l'intérêt du pays que le droit de déclarer la guerre a été remis au pouvoir exécutif, mais les moyens de faire la guerre appartiennent au pouvoir législatif. La Couronne ne peut, sans le concours des Chambres, lever un homme, ni lever un écu. Les assem-✩ blées délibérantes ont donc aussi leur part d'influence dans les questions de guerre. L'accord du pouvoir royal et du pouvoir législatif est indispensable sur ce point comme sur tous les autres.

QUATRE-VINGT-SEIZIÈME LEÇON

SOMMAIRE

Si le droit de déclarer la guerre appartient au pouvoir exécutif, c'est le pouvoir législatif qui fournit et peut refuser les moyens de la faire. Formes de la déclaration de guerre. Manifestes; communications aux

puissances étrangères. - Lettres de marque. Droit de représailles.

Embargo. Cartel;

suspension d'armes; - armistice;

- trève;

traité de paix. Le droit de faire les traités appartient à la Couronne, mais il trouve également sa limitation dans le droit qui appartient au pouvoir législatif de discuter les clauses qui supposeraient un impôt ou qui pourraient porter atteinte à quelques droits publics.

MESSIEURS,

Ce n'est pas sous le système représentatif que Charles de Lorraine aurait pu lever trente mille hommes et les mener contre Metz, parce qu'un abbé avait refusé de payer les droits au fisc pour un panier de fruits. Que de guerres acharnées n'ont pas eu de causes moins frivoles! C'est le duc de Buckingham qui entraîne l'Angleterre dans une lutte contre la France pour revoir la reine qu'il aime. C'est une discussion entre Louis XIV et Louvois sur la hauteur ou la largeur d'une fenêtre de Trianon qui aurait, dit-on, fait déclarer la guerre à l'Allemagne. Sans

doute, il ne faut pas chercher toujours la cause de ces grands événements dans de si petits motifs. Je crois qu'il faut voir les choses de plus haut. Certes, les petites passions, comme les grandes, ont joué leur rôle dans les questions de paix et de guerre. Mais, d'un autre côté, la cause de l'événement a pu souvent n'être pas là où un auteur de mémoires, esprit plus ou moins superficiel, a cru la voir; elle a pu être bien autrement profonde, quoiqu'on ne s'en soit pas toujours bien rendu compte. Ainsi, si nous prenons Louis XIV et que nous l'observions de près, nous voyons un esprit de suite admirable, nous voyons un projet toujours le même, suivi jusqu'au bout avec une grande puissance; et le résultat, malgré les grandes erreurs de la fin de son règne, il l'a obtenu, c'était de faire des peuples de l'Occident et du Midi une masse groupée autour de la France. Quand on voit tous les faits tendre ainsi à l'accomplissement d'une pensée persévérant à travers toutes les vicissisitudes d'un règne, il est assez difficile de croire qu'un des grands événements qui ont servi au développement de ce projet ait eu pour cause un défaut de dimension dans une fenêtre.

Quoi qu'il en soit, toujours est-il que, dans le système représentatif, grâce à cette puissante garantie dont j'ai parlé, le droit de guerre ne saurait être un caprice. Vous en avez l'exemple et la preuve sous vos yeux. La France a une guerre en ce moment; à la vérité elle ne préoccupe pas vivement les esprits et même n'exige pas un grand développement des forces nationales. Il n'est pas moins vrai que la France

a fait une conquête en Afrique, et que là il y a guerre entre les peuplades indigènes et le conquérant. Or, dans ce cas comme dans les autres, le droit de décider si la guerre aura ou non lieu appartient à la Couronne; mais il n'est pas moins vrai que la question a formé le sujet d'une grande discussion dans les Chambres. Les régiments français n'auraient pas quitté la France, si déjà le cabinet français n'avait pressenti quelle était la tendance de l'opinion et quel serait le vote de l'assemblée, et ces mêmes régiments auraient regagné les côtes de la France, si l'assemblée eût refusé les fonds nécessaires. Il y a donc là droit d'un côté, limite et garantie de l'autre.

Quant aux formes de la déclaration de guerre, sans remonter à l'antiquité, l'histoire nous apprend que jusqu'au XVIIe siècle on avait assez l'usage de déclarer la guerre avec une sorte de solennité; cela se faisait souvent par des hérauts d'armes; la guerre était regardée comme une sorte de duel, on s'envoyait un cartel de nation à nation, comme aujourd'hui on s'envoie quelquefois un cartel d'individu à individu. On employait un héraut d'armes comme on emploie aujourd'hui une tierce personne pour amener une rencontre. Mais ce mode est tombé peu à peu en désuétude, et la déclaration de guerre se fait ordinairement par un manifeste. C'est un exposé des motifs; au moment de mettre la main sur le glaive, au moment de substituer la force au droit, on éprouve le besoin de paraître au tribunal de l'opinion publique européenne, et de lui montrer qu'on a des motifs suffisants de faire la guerre. Je le sais, les

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