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QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME LEÇON

SOMMAIRE

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Applications du principe de la distinction des intérêts. - La commune occupe une place intermédiaire entre la famille et la société. - Le fait de la commune a survécu à tous les changements, à toutes les révolutions. - Division de la France en départements substituée à la division en provinces. Naturalisation rapide de cette nouvelle division qui était la consécration de l'unité nationale. Division des départements en arrondissements subdivisés en communes. Le changement de délimitation d'une commune, moins important au point de vue politique et administratif, que le changement de délimitation d'un département ou d'un arrondissement, pourrait avoir des conséquences plus douloureuses pour les administrés s'il était fait arbitrairement. La division par cantons n'a d'intérêt qu'au point de vue de l'administration judiciaire. - Divisions territoriales aux points de vue militaire, ecclésiastique, judiciaire et universitaire.

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MESSIEURS,

La distinction des intérêts, la division du travail, tels sont les deux principes qu'il faut appliquer pour arriver, dans l'administration de l'État, à des résultats satisfaisants et tels qu'ils puissent également contribuer à la prospérité de l'ensemble et de chacune des parties qui le composent. C'est là ce que nous avons essayé de démontrer dans notre dernière séance d'une manière générale, théorique, en quelque sorte,

pour partir ensuite de ces considérations générales et examiner les faits de notre droit positif, l'application plus ou moins complète de ces principes.

Le bon sens nous indique et l'histoire nous apprend que les éléments primitifs dont se composent les sociétés civiles, sont réellement les communes. C'est la commune qui est, en quelque sorte, l'élément générateur du pays, de la société civile, la commune, qui, à la vérité, est elle-même une sorte d'embryon d'une société civile, puisqu'elle est une agglomération et une organisation d'un certain nombre de familles. Lorsqu'on étudie la commune dans son origine, dans sa nature propre, on s'aperçoit qu'elle occupe une place intermédiaire entre la famille et la société, non-seulement intermédiaire d'une manière matérielle, mais intermédiaire par son organisation, par sa nature propre, par sa nature intime. La commune se rapproche, sous un certain point de vue, de la famille, sous d'autres points de vue, de l'organisation politique des sociétés. Elle a quelque chose qui rappelle la famille dans ces intérêts qui sont susceptibles d'être traités en commun, même rigoureusement sans l'intervention de la représentation, dans cette organisation qui s'occupe ou peut s'occuper non-seulement des choses générales, mais encore de petites espèces, de petits détails. Et puis elle a quelque chose qui participe de l'organisation politique proprement dite, parce que, dans la commune aussi, on peut appliquer le principe électif, le principe représentatif, parce que, dans la commune aussi, on peut, jusqu'à un certain point, trouver un in

térêt général qui domine les intérêts particuliers de chaque famille. Tout cela est à un degré fort inférieur à ce qui arrive d'analogue dans les sociétés civiles, mais enfin la commune, sous un certain point de vue, est, en quelque sorte, une miniature de la grande société civile, comme, sous un autre point de vue, elle se rapproche de l'administration de la famille. Aussi le langage paraît-il avoir consacré cette observation. Dans les petits États, dans les États qui se rapprochent de la commune, on dit même, à la différence de ce qui se passe dans les grands pays, nous sommes en famille, nous traitons nos affaires. en famille. On peut le dire de la France, de la Russie, mais c'est une expression tout à fait métaphorique, tandis que, dans ces petits États, l'expression peut être prise à la lettre. A plus forte raison la commune proprement dite éprouve-t-elle ce sentiment de relation intime qu'éprouvent les membres d'une même famille. La commune, encore une fois, occupe nonseulement matériellement, mais moralement, une place intermédiaire entre la famille et l'organisation politique de 'Etat.

Ceux de vous qui m'ont honoré de leur attention dès le commencement de ce cours peuvent se rappeler ce que nous avons dit dans la première partie sur l'origine et la formation de la commune, et cette partie si importante et à la fois si attrayante de l'histoire, cette partie bien étudiée nous amène à la même conséquence, c'est-à-dire, à reconnaître dans la commune cet État intermédiaire dont je parle. Quand vous voyez un certain nombre

d'hommes ayant un même intérêt, intérêt de s'opposer aux violences de la force brutale, intérêt de protection pour leur travail, pour leur industrie, se réunir, mettre en commun les fonds nécessaires pour élever des murailles, pourvoir à leurs moyens de défense, etc., tous ces petits faits bien étudiés vous retracent, en quelque sorte, une organisation de famille, mais qui a en elle-même les germes d'une organisation politique. Et quand vous suivez l'histoire de la commune dans ses développements, vous voyez qu'ici l'esprit de famille prédomine, et que la commune reste commune, que là l'esprit politique prend le dessus, et que la commune devient en quelque sorte un État, une république du moyen âge, une république qui s'agrandit, s'étend, fait des conquêtes. Mais comme cet esprit de famille y domine toujours et que l'esprit politique n'y est jamais arrivé à une haute puissance, comme elle ne peut pas se dépouiller de cette qualité intermédiaire dont je parle, quand même elle s'elève au rang d'État proprement dit, elle conserve toujours des traces de son origine: c'est toujours une municipalité qui peut faire des conquêtes, mais ne cesse jamais d'être une famille. Ainsi dans le monde ancien, c'est la municipalité romaine qui fait des conquêtes, et dans le moyen âge, Florence et les autres villes d'Italie n'étaient que des familles.

En France aussi c'est la commune qui a été l'élément générateur de l'ordre de choses nouveau. Nous avons déjà expliqué comment la féodalité d'un côté, la commune de l'autre, se sont trouvées en présence,

comment le pouvoir royal a servi de frein aux uns, d'appui aux autres, et comment peu à peu s'est formée l'unité nationale à laquelle nous sommes arrivés. Et c'étaient toujours ces mêmes communes, les délimitations ont pu changer partiellement, leur orgasation a pu être modifiée, mais ce fait primitif de la commune n'a jamais cessé, il n'y a jamais eu d'interruption. La France a souvent changé de gouvernement, la monarchie n'a pas été toujours la même, eh bien, le fait de la commune est toujours resté, les limites de quelques-unes ont pu changer, les formes et l'organisation ont pu être modifiées, mais le fait de la commune a survécu à tous les changements, à toutes les révolutions possibles.

En même temps qu'arrivait-il? L'unité nationale se faisait par l'agglomération, l'incorporation nonseulement de communes, mais d'États. Ainsi, vous le savez tous, la France actuelle est le résultat de ces agglomérations, de ces incorporations. Et ces États qui venaient se réunir à la France, et ces grands fiefs qui s'incorporaient à la France ont fini, à la vérité, par perdre leur unité politique propre, ils ont été heureusement incorporés dans l'unité française, mais cette incorporation n'a jamais été tout à fait absolue, absolument complète, pas même après Louis XIV, qui a si puissamment contribué à la fondation de l'unité nationale. Vous savez tous, en effet, que la France était divisée en provinces dont chacune rappelait le travail historique de l'unité nationale française, le rappelait ou par ses coutumes, ou par la législation qui était en vigueur, ou par les priviléges

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