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QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME LEÇON

SOMMAIRE

Application du principe de la division du travail : départements ministériels. -L'administration en 1791 divisée en six ministères : justice, intérieur, contributions et revenus publics, guerre, marine, affaires étrangères. Commissions substituées aux ministères par la loi de germinal an II. Retour au système des ministères en l'an IV. - Modifications diverses dans la composition des ministères. Ministère du Trésor. Ministère de l'administration de la guerre. - Ministère des cultes. Ministère de la Maison du Roi. —La création et l'organisation des ministères appartiennent au pouvoir exécutif, sauf l'approbation des Chambres pour les augmentations de dépenses qui peuvent en résulter. Il faut distinguer dans l'action gouvernementale l'action pure et simple, et l'action qui doit être précédée d'une délibération.

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MESSIEURS,

Nous avons fait remarquer que le principe de la distinction des intérêts est conforme à la nature des choses. Si son influence dans certaines limites est nécessaire et juste, le principe de la division du travail est également une nécessité lorsqu'on songe à la grande variété des matières qu'il faut régler dans l'administration. Il fallait donc, avant tout, diviser cette énorme masse d'affaires en grandes sections, ou, pour employer un mot souvent employé en pa

reille matière, en plusieurs départements. Ce travail dont nous avons essayé une sorte d'esquisse théorique dans une autre séance, a toujours été fait, d'une manière plus ou moins heureuse, car jamais dans un grand État on n'a pu concevoir l'idée d'administrer toutes choses pêle-mêle, sans aucune distinction. Mais nous ne voulons pas remonter très-haut dans la recherche des faits historiques qui se rapportent à cette matière de détail. Je me borne à vous signaler l'essai fait par l'Assemblée nationale, car il a servi, en quelque sorte, de base à tous les travaux postérieurs, et il est encore aujourd'hui la base de la division du travail administratif, avec les modifications que le temps et la marche des choses et des idées y ont apportées.

L'Assemblée nationale s'occupa de ce travail dans la loi du 27 avril-25 mai 1791, et elle décréta la division des affaires en six ministères : justice, intérieur, contributions et revenus publics, qui a pris plus tard le nom de finances, guerre, marine, affaires étrangères. C'est là, en effet, une division plausible; s'il s'agissait d'un État de moyenne grandeur, on pourrait la regarder commé suffisante, car si elle pêche c'est par la section intitulée intérieur. Cette section, dans un vaste État, devient une immense partie du tout, il n'y a plus d'harmonie entre elle et les autres. A la place de la France, imaginez un État comme le royaume de Sardaigne, prenez un État de quelques millions d'habitants, cette division sera suffisante. Mais, dès qu'on dépasse une certaine dimension, la masse des affaires croît pour le ministère de l'inté

rieur dans une proportion effrayante, et il se trouve surchargé, tandis que les autres ministères ne croissent pas dans la même proportion.

Il y a ensuite une autre observation. En 1791, certains faits sociaux ne s'étaient pas développés encore, ils ne frappaient pas les esprits, ils n'attiraient pas l'attention comme ils l'ont fait depuis, comme ils le font de nos jours. Ainsi, le fait de l'instruction générale, le fait de l'industrie nationale, les moyens de commerce et de transport, tous ces grands faits matériels et moraux qui méritent d'occuper une si grande placé dans l'administration générale de l'État, comme ils l'occupent aujourd'hui dans la société, n'étaient pas développés alors comme ils le sont aujourd'hui. Ils n'étaient donc pas appelés alors à jouer dans l'administration générale le rôle qu'ils sont appelés à jouer aujourd'hui, et voilà comment l'Assemblée pouvait croire, au premier aperçu, que le cadre qu'elle avait adopté était pleinement suffisant, quoique ce fût un cadre qui ne devait pas tarder à paraître trop étroit.

Plus tard, en germinal an II, une idée malheureuse s'empara des esprits. Dans ce temps de grandes révolutions, de bouleversements, de désordre, l'idée de substituer le système de la polysynodie au système de l'agence individuelle n'était pas une idée nouvelle, elle avait même été pratiquée déjà en France, sous la régence. Ainsi que le mot le dit, il s'agissait de substituer à des ministres, à des agents individuels, des colléges, des comités, des commissions, et par là de détruire en quelque sorte le principe de la

responsabilité, si ce n'est de la responsabilité légale, au moins de la responsabilité morale, la puissance de l'opinion, le ressort du mérite et du démérite personnel appliqué à la chose publique. Quoi qu'il en soit, ce système fut adopté, dans la loi du 12 germinal an II, mais alors on imagina une autre division des affaires générales. Au lieu des six départements ministériels que l'Assemblée nationale avait imaginés, on en forma douze, et comme ils étaient presque tous mis en commission, car il n'y en avait que deux ou trois où il y avait un commissaire et deux adjoints, vous pouvez imaginer le grand nombre d'agents supérieurs qui se trouvaient en action pour l'administration de la chose publique. On imagina donc une commission des administrations civiles, police et tribunaux, une de l'instruction publique, une de l'agriculture et des arts, une du commerce et des approvisionnements, une des travaux publics, une des secours publics, une des transports, postes et messageries, et puis une des finances, et puis une de l'organisation et du mouvement de l'armée de terre, une de la marine et des colonies, puis une des armes, poudres et exploitation des mines, puis enfin une des relations extérieures.

Il est inutile de faire remarquer que si le plan de l'Assemblée nationale péchait par trop de sobriété dans la division, le deuxième plan péchait par un excès dans ses divisions. Il y avait là quelques idées heureuses, comme la séparation de l'instruction publique, de l'agriculture, du commerce. Mais un ministère à part pour les postes, pour les armes, les

poudres et les mines, c'était multiplier à plaisir les rouages supérieurs, c'était pécher par excès dans une matière ou il faut toujours une certaine mesure, car l'expérience apprend qu'il n'est pas aussi facile de réaliser en pratique que d'écrire sur le papier ces divisions qui sont toujours plus ou moins artificielles. Vous ne pouvez jamais éviter un certain contact et par là un certain frottement entre les diverses parties de l'administration publique, vous avez beau faire un ministère de la guerre, il aura des rapports avec le ministère de la justice dans certains cas; vous ferez un ministère des finances, il aura des rapports avec le ministère de l'intérieur, avec le ministère de la guerre, l'instruction publique aura également des rapports avec les autres ministères; c'est dans la nature des choses. Or, dès qu'il y a contact non-seulement entre les choses, mais nécessairement entre les hommes, il y a toujours une chance plus ou moins grande de frottement et par là de froissement. Ainsi, il est bien essentiel que la division représente l'état des besoins actuels, mais il ne faut pas pousser la manie des divisions à l'excès, parce que la division n'empêche pas le contact. Or, il est vrai, dans la mécanique politique comme dans la mécanique matérielle, qu'il faut se résigner aux frottements inévitables, mais qu'il ne faut pas les multiplier à plaisir.

Aussi ce système n'eut pas de succès. Dès l'an IV, on revint au système des ministres au lieu de com- . missions, on revint aux six ministères, mais le 12 nivôse de la même année on ajouta un nouveau

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