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pouvoir exécutif a toujours été un des embarras des anciennes constitutions. Aujourd'hui même, vous le voyez, la nomination d'un Président aux États-Unis a été plus d'une fois le sujet non de révolutions, mais d'agitations assez fortes pour effrayer. Dans les républiques suisses cela n'est pas arrivé, d'abord parce que ce sont de très-petits États qui n'ont rien qui soit propre à monter les imaginations, qui`soit propre à exiger des candidats de grands sacrifices. Quel est l'habitant de la Suisse qui pourrait donner, je ne dis pas cent mille, mais seulement mille livres pour être fait landamman. C'est plutôt par dévouement qu'on accepte, car la place n'offre pas de grands avantages. Mais, dans un grand État, la question se présente avec des éléments tout à fait différents. Eh bien, dans notre système, l'action directe, immédiate, matérielle, appartient au ministère. Ce sont donc les membres du ministère qui constituent ce degré supérieur de grands fonctionnaires révocables. La royauté a le droit de les destituer, et, au moment même où leur révocation est prononcée, leur autorité devient nulle, parce qu'ils n'ont pas une force propre, parce qu'ils ne sont pas, pour ainsi dire, les maîtres du pays, parce que tous ceux qui leur devaient l'obéissance hiérarchique la doivent à leurs successeurs. Aussi vous n'avez jamais eu en Angleterre rien qui ressemblât à quelque trouble pour que le pouvoir restât à telle ou telle personne. Les questions personnelles perdent ainsi toute leur imporportance, et l'homme le plus hautement placé dans l'imagination du peuple ne conserve pas cette force

propre qui pourrait le rendre dangereux. L'Angleterre en a fourni un grand exemple. A coup sûr, il y a un général heureux qui était placé très-haut dans l'imagination du peuple, qui aurait été, dans une autre forme de gouvernement, un homme d'une puissance incomparable. Il a été ministre, il a fait un acte pour lequel il faut lui rendre justice, et qui certes vaut bien toutes ses batailles : je veux parler de l'émancipation des catholiques; et puis, comme étonné de ce pas en avant, il est retombé dans des idées que l'opinion publique ne partage pas; eh bien, il a quitté le ministère et a perdu toute puissance, et bien certainement aujourd'hui, et même lorsqu'il est rentré en Angleterre couvert de lauriers aux yeux du peuple anglais, il n'aurait eu aucune force pour troubler l'ordre établi en Angleterre, parce qu'il est dans l'essence du gouvernement représentatif de ne pas attribuer aux agents du pouvoir cette force personnelle qu'ils obtiennent dans d'autres formes de gouvernement.

Voilà donc comment, en fait, les pouvoirs exécutifs et administratifs sont distribués chez nous. Mais veuillez ne pas l'oublier, la puissance exécutive n'est pas seulement une puissance d'action immédiate, c'est une puissance complexe dont il importe de ne pas perdre de vue les diverses attributions. Ainsi agir en sens propre, c'est-à-dire, exécuter et faire exécuter les lois, pour cela, surveiller les agents, les instruire, les diriger voilà l'action directe, immédiate. Ces agents peuvent se tromper, ils peuvent se tromper volontairement ou involontairement, par

incapacité ou par fraude, par inintelligence ou méchamment; l'agent supérieur a, par la nature des choses, le droit de réformer les actes de ses subordonnés, le droit de ramener les faits de ses subordonnés dans les limites de la loi et de l'intérêt général. Mais non-seulement il a ce droit-là lorsque les subordonnés auront fait un acte contraire aux intérêts publics, mais il a nécessairement ce droit lorsque les subordonnés auront fait quelque tort à des intérêts particuliers. Un préfet dans l'exercice de sa puissance législative déléguée, blesse les intérêts d'un individu, il appartient au ministre de réformer ce qu'il a fait. Enfin si l'agent subalterne poussait le mépris de la loi jusqu'au crime, il est dans le droit de la puissance supérieure de faire toutes les démarches nécessaires pour qu'il soit poursuivi et puni, cela est dans le droit de l'administration. Cette remarque est d'une grande importance. L'administration n'a pas seulement le droit de diriger, d'inspecter, de surveiller, d'instruire, mais le droit de réformer les actes, et, s'il le faut, de faire traduire les agents devant l'autorité compétente.

Et je vais plus loin. Je dis qu'elle a le droit propre de réformer les actes de ses subordonnés. Or cela peut arriver de deux manières. Ou il s'agit d'intérêts généraux, ou il s'agit d'intérêts particuliers. S'il s'agit d'intérêts généraux, l'agent supérieur peut agir proprio motu. Ainsi un préfet a fait une chose préjudiciable à la chose publique, l'agent supérieur peut réformer cet acte sans être sollicité par personne. S'il s'agit d'intérêts privés, la partie qui se

croit lésée réclame, l'autorité supérieure examine la réclamation et la repousse ou y fait droit. Enfin il peut arriver une discussion entre deux particuliers: je parle toujours d'actes qui appartiennent à l'administration. Eh bien, il est du droit du ministre d'intervenir et de donner une décision.

Enfin n'oublions pas que, quoique, en général, dans le système français, l'administration soit confiée à des agents uniques, il arrive quelquefois qu'elle est confiée à des corps qui interviennent comme de véritables agents exécutifs et non comme conseils seulement. Ainsi, par exemple, les intendances sanitaires sont des agents collectifs qui agissent comme un individu. Il en était de même lorsque, au lieu de préfet, on avait des administrations départementales. La règle générale aujourd'hui c'est que l'agent administratif et exécutif est un individu, règle qui a, quoi qu'on en dise, ses immenses avantages, surtout parce que la responsabilité morale est très-forte lorsque l'individu agit seul. Mais il y a cependant quelques exceptions.

Voilà le tableau fort abrégé de tout ce qui est employé chez nous pour l'action en matière de puissance exécutive et administrative. Mais j'ai dit que l'action souvent doit être précédée ou suivie d'une délibération d'une certaine nature, que pour cela, la loi a établi des conseils. J'en parlerai dans la prochaine séance.

CENT UNIÈME LEÇON

SOMMAIRE

· Ancien conseil du Roi.

Conseil d'État. - Rôle

Conseil des ministres. important du Conseil d'Etat sous l'Empire. Réorganisations diverses du Conseil d'État. - Nécessité incontestée de cette institution: difficultés que présente son organisation.

MESSIEURS,

La puissance exécutive, l'administration générale de l'État, a souvent besoin de recourir aux conseils de corps plus ou moins élevés. Nous allons jeter un coup d'œil rapide et général sur cette matière du droit administratif.

Nous avons d'abord le Conseil des ministres. Le nombre des départements ministériels peut varier; mais si chacun formait à lui seul un tout à part, si chaque ministre, renfermé dans sa spécialité, n'avait pas à s'inquiéter de l'administration générale de l'État, et n'y prenait aucune part, nous n'aurions pas ce principe de l'unité de l'administration que nous avons reconnu utile et nécessaire. C'est par la réunion des chefs des grandes branches de l'administration que cette unité est maintenue, et ce Conseil existe en

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