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l'édifice du système représentatif s'écroulerait à peu près complétement si elle disparaissait. Il y a entre les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, une différence essentielle, au point de vue des dangers qu'un abus de pouvoir peut faire courir aux libertés publiques et aux intérêts du pays. Le pouvoir législatif trouve des limites à son omnipotence et offre des garanties par la nature de ses attributions, car il s'occupe essentiellement de questions générales; dès lors son action ne se dirige pas sur des individus connus et désignés. Il est dans la nature de l'homme de céder trop facilement à une mauvaise passion, et l'on conçoit qu'un agent du pouvoir exerce un acte de vengeance contre un individu qu'il connaît; mais une assemblée n'érige pas facilement une mauvaise passion en principe. On a bien vu des lois iniques, mais c'était à des époques tout à fait anormales, ou bien lorsque l'organisation du pouvoir législatif avait été altérée, par exemple, lorsqu'il n'y avait plus de contrôle d'une Chambre sur l'autre. Il y a bien, sans doute, le danger que le pouvoir législatif demeure quelquefois trop étranger aux faits particuliers et devienne par là même injuste. Mais la loi peut être adoucie dans l'exécution, tandis que le pouvoir exécutif peut dénaturer une bonne loi.

D'autres garanties résultent de l'organisation en deux Chambres d'origine différente, et qui se contrôlent l'une l'autre. D'ailleurs, les actes du pouvoir législatif ne peuvent pas s'improviser comme ceux du pouvoir exécutif, ils sont connus et discutés d'avance.

Le pouvoir judiciaire n'est pas appelé à statuer d'une manière générale, et, s'il déclarait une iniquité, ce ne serait jamais à son profit, ce serait au profit d'autrui. A cette garantie, qui résulte de sa nature, il faut ajouter celles qui résultent de son organisation, soit des divers degrés de juridiction, soit de la publicité des débats, soit de ce que le pouvoir judiciaire ne peut exercer aucune action initiale, et ne peut agir que lorsqu'on a recours à lui.

Il est donc évident que, sous le point de vue des tentations de mal faire, le pouvoir exécutif est celui qui offre le plus de dangers. C'est lui qui dirige et commande les forces militaires, qui manie les deniers de l'État, qui applique les lois, si l'on peut s'exprimer ainsi, chose par chose et homme par homme. Il fallait donc, contre les abus possibles de ce pouvoir, contre ses erreurs, une garantie plus forte qu'il n'était nécessaire à l'égard du pouvoir législatif ou du pouvoir judiciaire. Sans doute, dans la sphère de ses attributions, il a besoin d'indépendance; autrement la séparation des pouvoirs disparaîtrait. Mais cette indépendance doit se concilier avec des garanties sérieuses pour le pays, parce qu'il a le plus de moyens matériels de commettre des abus. La responsabilité morale, indirecte, à laquelle l'homme n'échappe jamais, ne suffit plus ici, il faut la responsabilité légale; elle se concilie et forme un tout avec le principe de l'inviolabilité royale, qui se trouve d'autant plus à l'abri que la responsabilité ministérielle est plus fortement établie.

De ces notions générales, il résulte qu'aucun acte

de la puissance royale, quel qu'il soit, ne peut être exécutoire que sous la responsabilité d'un ministre. Mais qu'entend-on par ce mot responsabilité? La responsabilité s'applique-t-elle aux actes d'administration individuelle ou seulement aux mesures de gouvernement général? Frappe-t-elle le ministre seulement ou peut elle quelquefois atteindre l'homme lui-même? Qui accusera, qui jugera les dépositaires si puissants de l'autorité royale? Quelles seront les formes de la procédure, quelles seront les peines? Voilà de quels éléments se compose ce grand et difficile problème dont la solution n'est pas encore aujourd'hui complétement trouvée.

CENT QUATRIÈME LEÇON

SOMMAIRE

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La responsabilité peut être individuelle ou collective. Tous les membres du cabinet sont responsables des mesures générales de gouvernement, et, s'il y a lieu à accusation dans ce cas, on doit les y comprendre tous, sauf à faire ensuite la part qui revient réellement à chacun. Faits qui rentrent dans la responsabilité ministérielle : actes ministériels proprement dits; actes qu'un ministre peut commettre comme ministre, mais qui ne sont pas proprement des actes ministériels; actes qu'il peut commettre comme simple particulier. En pratique, tous les délits ministériels doivent être réduits à deux classes : les délits privés et les délits contre la chose publique. Responsabilité politique, responsabilité criminelle, responsabilité civile. - Difficulté de faire une bonne loi sur la responsabilité.

MESSIEURS,

Le principe de la responsabilité des agents du pouvoir est un des principes fondamentaux de la monarchie constitutionnelle. Il est la garantie d'un autre principe également fondamental, l'inviolabilité du roi. De ce principe nous avons tiré la conséquence que tout acte de la puissance royale, en matière de gouvernement et d'administration de la chose publique, n'est exécutoire que sous la responsabilité ministérielle. D'où il résulte aussi que la personne qui s'aviserait d'exécuter un acte qui n'aurait pas le con

treseing d'un ministre, qui n'aurait pas la garantie de la responsabilité ministérielle, deviendrait nécessairement responsable elle-même de l'exécution de l'acte.

La responsabilité ministérielle peut être individuelle ou collective, par cela seul qu'il y a une administration générale de l'État et une administration particulière de chacun des départements de l'État, par cela même qu'il y a, en d'autres termes, des ministres particuliers et un conseil des ministres, des ministres particuliers et un cabinet.

Nous avons eu déjà occasion de faire ressortir la différence qu'il y a entre les mesures de gouvernement général et les actes particuliers de chaque ministre. Je crois opportun d'insister sur cette remarque importante, un exemple achèvera d'expliquer ma pensée Le cas se présente de déclarer ou de ne pas déclarer la guerre. Voilà une des questions les plus graves, les plus fécondes en conséquences utiles ou funestes, dont les résultats peuvent être les plus imprévus. La question se présente au cabinet. Faut-il déclarer la guerre, y a-t-il justice, nécessité, de se mettre en état d'hostilité avec telle ou telle nation? Voilà une résolution qui appartient à la puissance royale, en vertu d'une disposition de la Charte, et voilà aussi une résolution qui n'appartient en particulier à aucun ministre, pas plus à celui de la guerre qu'à celui de la marine, qu'à celui des affaires étrangère. C'est une résolution de cabinet, une résolution générale. Sans doute, quand la guerre aura été déclarée, quand on passera les frontières pour se ren

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