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huitièmes) le nombre des Pairs qui doivent être présents, le droit de descendre dans l'échelle des peines. On peut voir tous ces détails dans le projet de loi.

J'insiste sur le dernier point, le droit de descendre dans l'échelle des peines. Je ne crois pas que des peines irrémédiables puissent jamais être appliquées dans de pareils procès, précisément parce qu'il s'agit d'affaires qui ne peuvent jamais dépouiller entièrement leur caractère politique, et que, quand il s'agit d'affaires politiques, il est difficile pour tout le monde de se mettre au-dessus des passions du moment. Quel besoin d'ailleurs de recourir aux peines extrêmes? Un homme entouré de tout le prestige que donne la puissance et qui tombe flétri, ruiné, privé de sa liberté, couvert de la haine et du mépris de ses concitoyens, ne subit-il pas un châtiment qui ne saurait atteindre un simple particulier. Est-il besoin de recourir contre lui à la dernière des peines, à la peine de mort? Il faut qu'il vive au contraire pour subir sa déchéance, s'il est coupable. Et s'il était victime d'une erreur, s'il tombait sous l'action de passions violentes et injustes, il faut que le malheur qui le frappe ne soit pas à jamais irréparable.

Nous ne pousserons pas plus loin cette analyse du projet de loi sur la responsabilité ministérielle, qui a été présenté en 1836 et n'est pas encore définitivement adopté. Les matériaux sur ce sujet ne manquent pas, on peut utilement les consulter, car presque tous les rapports et exposés des motifs contiennent et rappellent les principes fondamentaux du gouvernement représentatif.

Nous avons vu, Messieurs, comment tout s'enchaîne dans notre organisation politique, comment les trois pouvoirs, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, libres chacun dans la sphère de ses attributions, indépendants, séparés, sont loin cependant de vivre et d'agir isolément. Ce qui leur sert de lien c'est l'autorité royale, Le Roi participe dans une certaine mesure, soit directement, soit indirectement, aux trois pouvoirs, à leur organisation, à leur action; d'un autre côté, ils ont les uns sur les autres une action mutuelle, un contrôle réciproque. Ainsi les Chambres n'administrent pas, mais, pour obtenir les moyens d'administrer, il faut leur rendre compte, leur montrer comment on administre. Le pouvoir judiciaire n'administre pas, ne fait pas la loi, mais il l'interprète si elle est obscure, il maintient l'uniformité de législation et de jurisprudence, et ce qu'il décide doit être respecté par tous.

Il y a donc contact perpétuel entre les diverses parties de la machine, contact suffisant pour que le mouvement soit commun, mais non ralenti. Le contrôle qu'exercent réciproquement les uns sur les autres les divers pouvoirs de l'État ne peut ni ne doit en aucun cas devenir une sorte d'usurpation de l'un sur l'autre, une absorption de l'un par l'autre. La Chambre des Députés, par exemple, voit qu'un département est mal administré, elle ne change pas pour cela le préfet, elle ne peut s'emparer d'une attribution qu'elle serait inhabile à exercer, elle fera tomber un ministre si elle le veut, mais elle ne fera pas tom

ber, directement du moins, un préfet. L'administration, de son côté, peut ne pas approuver les résolutions des Chambres; elle peut dissoudre la Chambre des Députés, mais elle ne peut ni nommer les Députés, ni se passer du concours des Chambres. On est ainsi obligé à des concessions mutuelles, et voilà comment s'exerce le contrôle des pouvoirs qui, indépendants au fond, subissent des influences de diverse nature.

Voilà comment, dans l'état normal, agit, travaille, fonctionne le système représentatif; voilà quelles sont les garanties de la liberté. Telles sont les parties essentielles de notre organisation sociale et politique. Nous pouvons en apprécier maintenant la nature et l'étendue, voir de quelles modifications elles sont susceptibles dans l'avenir et ce que le progrès du temps peut amener.

En finissant, nous répéterons ce que nous avons dit dès les premières leçons de ce cours. La France travaille pour arriver la première, et comme l'éducatrice, en quelque sorte, des autres nations, à résoudre un grand problème, à concilier la forme du gouvernement constitutionnel avec le principe de l'égalité civile. Jusqu'ici tous les édifices politiques qui avaient aspiré à l'unité, s'étaient appuyés sur certaines inégalités sociales, admises comme nécessaires, et dans lesquelles ils devaient trouver leur fondement et leur force. Rien de semblable chez nous. La Révolution de 89 a fondé en France le grand et immortel principe de l'égalité civile, et sur cette base immuable doit être posé l'édifice de la liberté consti

tutionnelle. C'est là le problème nouveau; il y a là une grande et magnifique question. Si la France parvient à la résoudre, ce sera un grand bienfait pour le monde entier. Les tendances, les sympathies pour le principe de l'égalité française se répandent et se manifestent de plus en plus; mais ceux qui seraient le plus portés à l'admettre doutent encore de la possibilité d'asseoir sur cette base le système constitutionnel, et reculent devant d'autres conséquences qui amèneraient des perturbations et des désordres inévitables. Appliquons tous les années jeunes ou mûres de notre vie à la recherche de ce beau problème que je crois soluble. C'est la meilleure manière de nous rendre dignes de vivre dans un pays comme le nôtre.

FIN DU TOME QUATRIÈME ET DERNIER.

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